Le vampire de Ropraz, Jacques
Chessex
Ce roman ténébreux et dépouillé à lextrême sinspire de faits réels qui se sont déroulés en 1903 à Ropraz, un hameau de Suisse romande. Le point de départ de lintrigue sarticule autour de lenterrement de la belle Rosa Gilliéron, décédée à vingt ans dune méningite. Fille dun bourgeois local (juge de paix et député), elle vient dun milieu représentant lautorité instruite dans une campagne arriérée. Car il y a un siècle, Ropraz, cétait le pays profond, un monde rural ravagé par les croyances les plus folles, les violences domestiques, lalcoolisme et la consanguinité. Deux jours après la mise en bière, la tombe de Rosa est retrouvée profanée. Le cadavre de la belle virginale, victime de pratiques nécrophiles, a été sauvagement mutilé. Un véritable travail déquarisseur. La main gauche a été tranchée et les viscères gisent dun ventre découpé avec précision. Détachés du corps, les seins et le sexe ont été mâchés puis recrachés. Et ce nest pas tout: le dément a également emporté le cur de Rosa avec lui.
Suite à cet événement hors du commun, lhorreur et la stupéfaction envahissent la contrée comme une traînée de poudre. Chacun y va de ses superstitions et suspicions. La thèse dactes de vampirisme a la côte. Du jour au lendemain, le village de Ropraz fait la une des journaux du monde entier. Dans le canton, la panique et leffroi montent encore dun cran lorsque le «vampire» sattaque, les mois suivants, à deux autres proies récemment décédées, Nadine Jordan à Carrouge et Justine Beaupierre à Ferlens. La première a été scalpée, la seconde égorgée. Là aussi, les seins et le sexe ont été découpés, puis mangés. Cest lhystérie la plus totale au sein de la population locale. On se barricade, on se méfie, on sépie. Même si lon est en terres protestantes, les colliers dail et les crucifix font leur apparition. La chasse aux présumés coupables souvre. Le bouc émissaire, ce sera finalement le malheureux Charles-Augustin Favez, un garçon de ferme aux yeux rougis et aux canines plus longues que la moyenne, qui a été surpris dans une étable en train de se soulager sexuellement sur des bovidés. Né dans un milieu défavorisé, le pauvre bougre a le profil parfait de la victime expiatoire. Jugé en décembre 1903 par le tribunal dOron-la-Ville, l «idiot du village» est condamné à la réclusion à perpétuité, malgré le peu de preuves tangibles de sa culpabilité.
Le roman captive et effraye par la froide description des mécanismes entraînant la stigmatisation de celui qui est différent. Ce nest pas faire injure à Jacques Chessex que de dire que lépilogue, inventé de toute pièce, est par contre assez décevant. Favez senfuit de prison puis sengage dans la Légion étrangère, au sein du régiment de lécrivain Blaise Cendrars. Le «Vampire de Ropraz» aurait ensuite été tué lors de la Grande Guerre et ses cendres seraient celles du soldat inconnu, qui reposent aujourdhui à Paris sous lArc de Triomphe
Pour lanecdote, on relèvera que Jacques Chessex a construit il y a trente ans sa maison à Ropraz, avec vue sur le cimetière où fut enterré, puis déterrée, Rosa Gilliéron. Personne, dans ce hameau calviniste, ne voulait de ce bout de terrain jouxtant lendroit qui fut le théâtre, il y a près dun siècle, dune sordide profanation
Florent Cosandey, 5 mars 2007