Spécimen mâle, Iegor Gran
P.O.L, 2001
Dans Spécimen mâle, Iegor Gran sest amusé comme un petit fou à faire disparaître les femmes de la surface de la Terre. Selon lui, si un tel cataclysme se produisait, le chat naurait plus rien à manger, la pornographie serait nationalisée, la Bible serait à réécrire ou, plus loufoque, certains mâles en manque damour épouseraient des magazines féminins ou saccoupleraient avec des portes cochères. Spécial
mais très drôle pour qui est un adepte de lhumour cynique au dix millionième degré!
La moitié de lhumanité se réveille un matin et constate, pantelante, que limpensable sest produit: toutes les femmes ont disparu du globe. La volatilisation est aussi mystérieuse que subite. Après des millénaires dorganisation sociale basée sur une répartition stéréotypée des rôles entre lhomme et la femme, une ère nouvelle souvre. Lhomme est désormais seul
Tout est à reconstruire et repenser.
Mêlant habilement science-fiction et humour irrévérencieux, Iegor Gran retrace les trois décennies qui suivent le fameux Jour de la Catastrophe (JC), jour où ont été réduits en poussière les fondements de lhumanité. Lauteur imagine dune plume bouffonne les bouleversements économiques, politiques et sociaux engendrés par cette révolution qui dépasse lentendement. Il dépeint la nouvelle vie dune poignée de personnages burlesques, acteurs ineptes dun monde qui court à sa perte, débarrassé quil est de la femme féconde. Livrés à eux-mêmes, les hommes vont se résoudre à composer avec le nouvel ordre. Certains voient dun bon il leur agenda se vider des rendez-vous avec la gent féminine (plus de Fête des mères, de Journée internationale de la femme, danniversaires de mariage, etc.). Dautres sombreront dans la dépression, en raison du manque de sexe. Pour soigner ces «libido-dépendants», les médecins agréés pourront prescrire du matériel pornographique (magazines, films, calendriers, gadgets, etc.), lEtat ayant nationalisé ce «patrimoine». Certains tourneront la boule en traquant vainement les femmes, et ce, jusque dans les derniers recoins des réserves naturelles. LEglise elle-même remettra en cause le contenu de la Bible, le personnage dEve savérant peu en adéquation avec la nouvelle réalité du genre humain. Quant à elle, la langue se masculinisera peu à peu, donnant beaucoup de travail aux linguistes. De leur côté, les écrivains se résoudront finalement à composer des textes sans femmes.
Souvent grotesques et pathétiques, les personnages issus de limagination de lauteur auront à se remettre du vide abyssal faisant suite à la disparition des femmes. Tâche insurmontable? Que nenni! Faisant preuve dune terrifiante capacité dadaptation, les hommes vont parvenir à gérer la situation avec une facilité insolente et déconcertante. Au bout de trente ans de vie sans femmes, on finira même par se poser linfâme question: les femmes ont-elles existé un jour? Cartésiens, les milieux scientifiques soutiendront que non. «Nos ancêtres croyaient bien aux fantômes», argueront-ils goguenards. Véritables mufles, les hommes oublieront les femmes comme on a oublié les mammouths de lHolocène
Politiquement incorrect, Iegor Gran fait dune idée simplissime un texte fourmillant et insolite. Condamnés à sadapter à un nouveau contexte qui semble définitif, ses personnages prennent le parti le plus lâche: faire avec, sans chercher plus loin. Cette accommodation, tellement naturelle quelle en devient immorale, fait penser au manque de réaction du genre humain face au réchauffement climatique. On se dit que ce nest pas bien, tout en remettant la clim de son 4X4, jus de kiwis de Nouvelle-Zélande à la main. Bah, on peut rien y faire
Brrrh, ça fait froid dans le dos!
Florent Cosandey, 10 mai 2008