La route, Cormac McCarthy
Editions de lOlivier, 2007
Dans La route, Cormac McCarthy narre lodyssée dun homme et de son jeune fils à travers un pays qui a été dévasté par lApocalypse. Si les causes du cataclysme ne seront à aucun moment révélées, on peut aisément imaginer une punition divine ou une catastrophe naturelle dune ampleur inouïe. Dans des décors de fureur et de sang, lhomme et son fiston marchent vers le Sud, avec pour unique bagage un vulgaire caddie de supermarché dans lequel ils ont entassé quelques objets de fortune. Durant leur périple, ils traversent des contrées hostiles, où les cendres fument encore, rendant lair granuleux et difficilement respirable. Le parcours, laborieux et truffé de dangers, se fait dans la peur, la sueur, la pluie, le vent et la neige. Exténués par des efforts surhumains, lhomme et son fils errent dans «des nuits obscures au-delà de lobscur et des jours chaque jour plus gris que celui d'avant.» Leur existence ne tient quà un fil et se réduit à lassouvissement des besoins élémentaires: manger, dormir, se protéger du froid, des intempéries et des autres rescapés de la Catastrophe. «Aucune liste de choses à faire. Chaque jour en lui-même providentiel. Chaque heure. Il ny a pas de plus tard. Plus tard cest maintenant.» La quête de nourriture dans les ruines de maisons anéanties constitue une épreuve particulièrement pénible. Lorsque celle-ci savère infructueuse, lhomme et sont fils doivent parfois se rabattre sur des excréments danimaux. Dès lors, la découverte de boîtes de conserve du «temps davant» savère une pêche miraculeuse...
Dune plume lyrique, sèche et dépouillée à lextrême, Cormac McCarthy excelle dans la description de paysages et de destins tourmentés. Dans la parfaite lignée du Prix Nobel William Faulkner, il entraîne le lecteur dans un univers aussi terrifiant que désespéré. Aussi loin que porte le regard, les terres sont réduites à un océan de cendres grises et le soleil ne perce plus lépais brouillard sanguinolent qui barre lhorizon. Les routes sont défoncées, les forêts carbonisées et charbonneuses, les maisons incendiées. Partout, on trouve des traces de pillages, alors que des cadavres momifiés dêtres humains et danimaux samoncellent sur les bords des chemins. Les villes ont été rasées, leau des rivières est devenue noire et des carcasses de camions et de locomotives rongées par la rouille obstruent les routes. «On nest pas des survivants. On est des morts vivants dans un film dhorreur», clame le père. Du passé, de la société moderne américaine, il ne reste plus que des gravats. Lenfant na dailleurs connu que la nouvelle ère, alors que les souvenirs du père commencent à seffilocher: «Lenfant lui posait parfois des questions sur le monde qui pour lui nétait même pas un souvenir. Il avait du mal à trouver une réponse. Il ny a pas de passé.» Le duo représente peut-être le dernier spécimen des «gentils», de «ceux qui portent le feu.» Marcher vers le Sud devient alors un acte de survie. Impossible de sarrêter trop longtemps, de relâcher son attention, car les «méchants», avides de chair humaine et de violence aveugle, ne feront preuve daucune pitié.
Les dialogues entre le père et son fils sont rares et brefs. Ils nen sont pas moins intenses et émouvants dans la mesure où ils se limitent à lessentiel, à la quintessence de lexistence. Lorsque le fils demande à son père «Quest-ce que cest que tas jamais fait de plus courageux?», la réponse fuse: «Me lever ce matin.» Héroïque, le père sait que sa dernière heure approche car une maladie insidieuse le ronge. Pourtant, tel Roberto Benigni dans La vie est belle, il parvient à puiser une force inouïe pour persuader la chair de sa chair quil y a encore un avenir, que la vie vaut, quoi quil arrive, la peine dêtre vécue. Jusquà son dernier souffle, il semploiera sans relâche à transmettre à son garçon des valeurs humanistes, quête ultime et bouleversante dans un monde retourné à la barbarie. Lamour paternel maintient une lueur despoir dans le cur innocent de lenfant. «Peut-être y a-t-il encore un autre homme et un autre enfant qui vivent ailleurs?», tente-t-il de se
persuader. Peut-être même apparaîtront-ils au bout de la route? Alors que le lecteur est entraîné dans les ténèbres jusque dans les dernières pages, un éclair dun rare optimisme vient conclure le texte. Dans un dernier souffle, le père lâche à son petit quil trouvera le salut, que la bonté continuera de laccompagner sur sa route. Et là, le miracle se produit puisque lenfant est recueilli par des «gentils». Une fin poignante, déchirante, tellement simple et belle quelle tirera les larmes de nimporte quel père. Un rai de lumière dune beauté infinie, sur fond de noirceur absolue.
Florent Cosandey, 20 juillet 2008