La caverne, José Saramago
Seuil, 2002
Cipriano Algor vit avec sa fille et son gendre dans un petit village hors du temps, qui résiste tant bien que mal à une urbanisation galopante. Comme ses ancêtres, il produit à la sueur de son front de la vaisselle en faïence, quil livre ensuite à un gigantesque centre commercial. La vie de lartisan bascule le jour où son unique acheteur décide de ne plus commander de poterie. Abattu et amer, Cipriano Algor constate, impuissant, que «des saloperies dusines fabriquent des saloperies de mensonges en plastique qui feignent dimiter la terre cuite.» A travers la disparition de son métier ancestral, le vieil homme voit sa place dans la société brutalement remise en question. Le potier ne peut que déplorer le fait que «le travail nest plus ce quil était, et nous, qui ne pouvons être que ce que nous avons été, soudain nous comprenons que nous ne sommes plus nécessaires dans ce monde, si tant est que nous layons jamais été, mais croire que nous létions semblait suffire et dune certaine façon cétait éternel, pour toute la duré de la vie.»
Comment se recycler lorsque lon a 64 ans et que les concurrents produisent à une échelle industrielle? Cipriano Algor tente un pari complètement fou: il se lance dans la production de petites figurines kitch (clowns, bouffons, esquimaux, mandarins, infirmières ou encore assyriens barbus
), quil espère ensuite pouvoir vendre au centre. Pas besoin dêtre grand clerc pour se rendre compte que cette reconversion est vouée à léchec et que le potier travaille jours et nuits uniquement pour éviter de penser au fait que son monde sécroule. Pour Cipriano Algor, cesser de travailler signifie quitter la campagne et aller vivre avec sa fille et son gendre dans le centre honni. Sombre destin pour un vieil homme profondément attaché à sa terre et à ses racines. Finalement, lamour lextirpera des griffes maléfiques du centre, cette tentaculaire bâtisse de 48 étages avec magasins, restaurants, piscines, plages artificielles (!) et appartements.
Emouvante chronique dune famille campagnarde portugaise qui tente de résister au «progrès», La
caverne dépeint une société en perte de repères, mue par le futile, linutile et la surconsommation. Pour José Saramago, ce monde gouverné par les règles du marché broie lindividu et court à sa perte. Optimiste, lauteur portugais estime quil est pourtant possible de résister au courant dominant. En cela, le formidable esprit de rébellion dont il dote son personnage principal ragaillardit.
Florent Cosandey, 22 août 2008