Le monde de Ben, Doris Lessing
Flammarion, 2000
Le monde de Ben constitue la suite du très prenant Le cinquième enfant, ouvrage dans lequel Doris Lessing relatait léclatement de la famille Lovatt après la naissance de Ben, un enfant renfermé qui se distingue par sa force, son agressivité, sa pilosité et sa voracité. Lauteure anglaise reprend le récit alors que Ben est âgé de 18 ans et vient de quitter le domicile familial. Son père et ses quatre frères et surs ne lont jamais accepté et sa mère, lassée du peu dattachement manifesté par son dernier enfant, le laissa sen aller avec une bande de loubards. «Comme un chien sattendant à être rabroué», Ben se retrouve seul
dans un monde hostile.
Plus encore que dans Le cinquième enfant, Ben représente un être à part, sorte de «résurgence dun peuple primitif.» Son
physique hors norme, proche du «yeti», suscite plus de craintes et dhostilité que de compassion. Sa naïveté et sa crédulité le font tomber sous la coupe de patrons, de trafiquants de drogue et de scientifiques sans scrupules. «Il était une explosion contrôlée de besoins, dappétits et de frustration enragés», constate Ellen Biggs, une vieille femme attentionnée qui lhéberge durant quelques temps. Pourtant, malgré sa différence, Ben nen demeure pas moins un être sensible qui comprend bien plus de choses que ne limaginent les personnes qui le raillent, ou pire, en abusent. En perpétuelle quête dun peu de gentillesse et de chaleur humaine, il saccroche aux rares bonnes âmes qui lacceptent tel quil est.
Lorsquon le retrouve, Ben ère en plein cur de Londres. Son monde, cest dabord Ellen Biggs. Cest ensuite Rita, une prostituée impressionnée par sa voracité sexuelle, puis enfin Teresa, une Brésilienne qui le protégera de scientifiques cyniques qui tentent de le transformer en vulgaire rat dexpérimentation. Malgré le soutien de ces trois personnes sensibles à son sort, Ben reste cet être «anormal», cet «autre» qui, par son existence même, dérange une société qui tend à éliminer la différence. Ben naura finalement pas dautre alternative que de disparaître discrètement dun monde dans lequel il décadre trop.
Dans ce texte dune rare justesse, Doris Lessing pointe un doigt accusateur sur lintolérance de notre monde face à laltérité. Sans moralisme excessif, lauteure anglaise livre un vibrant réquisitoire contre les jugements hâtifs et les préjugés. Si lon sen tient aux folles pérégrinations de Ben à travers le monde, on peut se demander où est passé le droit à la différence. La conclusion est accablante pour des sociétés qui se disent «civilisées».
Florent Cosandey, 22 décembre 2008