Allia, 2010
«Le besoin de délimitation configure notre être au mépris de notre désir dinfini.»
Le ParK
Que se cache sous ce vocable à lorthographe mystérieuse et menaçante? Et bien tout simplement un parc, mais un parc dun genre inédit, mélange entre autres de Disneyland, de camp dinternement ou de zoo. La caractéristique de ce lieu étrange où se mêlent linsolite et leffroyable, cest dêtre un condensé de toutes les formes de parcs imaginées jusquici par lhomme: «Le ParK est un parc. Mais pas un parc comme les autres. Il existe toutes sortes de parcs, pour les plantes, les animaux, les hommes, les entreprises, les véhicules, et même pour les appareils hors service, des parcs de loisirs, de détention, de stationnement, de protection. Le ParK est tout cela, et plus encore. Sa majuscule signale la singularité absolue. Ce lieu exprime en quelque sorte lessence universelle des parcs réels et possibles. Cest le parc de tous les parcs, la synthèse ultime qui rend tous les autres obsolètes, le concept universel, linvariant formel. Tout ce qui peut caractériser en général un parc se retrouve dans Le ParK, mais sous une forme inédite et quelque peu fantastique. Daucuns diront abominable.»
Le ParK se trouve sur une île privée de 624 km2, au large de Bornéo. On y accède par bateau depuis les ports de Malaisie ou par avion depuis le reste du monde. Lidée de créer ce centre de loisirs pas comme les autres a germé dans la tête dun oligarque russe dénommé Kalt, lequel a fait fortune dans lindustrie de larmement et du divertissement, «secteurs économiques qui, en dépit de leur apparente hétérogénéité, ne sont pas si étrangers lun à lautre, eu égard aux techniques de vente et aux stratégies de distribution quils impliquent.» Loriginalité du ParK tient à la confusion, sur un seul et même site, des différentes espèces denclavement humain. Ce qui donne lieu à des mélanges de très mauvais goût, comme le prouve la description qui en est faite: «Son concepteur a voulu rassembler en un seul parc toutes ses formes possibles. Le ParK associe ainsi, en une tonalité neuve, une réserve animale à un parc dattractions, un camp de concentration à une technopole, une foire aux plaisirs à un cantonnement de réfugiés, un cimetière à un Kindergarten, un jardin zoologique à une maison de retraite, un arboretum à une prison. Mais il ne les associe pas de manière à ce que chacun de ces éléments maintienne son autonomie et continue de fonctionner à part. Il les combine entièrement, joint tel caractère à tel autre, jette des ponts, mélange les genres, confond les bâtiments, agrège les populations, intervertit les rôles. Il sagit donc de mettre en rapport ce qui na justement pas de rapport, hormis sa référence minimale au parcage. De là naît un paysage synthétique qui mixe fête foraine et dystopie urbaine, un terrain dessais pour lhybridation architecturale et sociale. Se produisent ainsi de curieux télescopages. Par exemple, aux différents points deau de la réserve africaine, autour desquels sont discrètement dissimulées des plates-formes dobservation, les prisonniers dun camp de travail viennent sabreuver le soir à leurs risques et périls. Le train fantôme achève son parcours tumultueux sur les quais froids et brumeux dune gare sibérienne où lattendent des soldats au regard méchant, qui tiennent en laisse des chiens-loups piaffant dapparence sanguinaire. Dans une reproduction parfaite dune prison de larmée américaine en Irak, les visiteurs peuvent jouer aux tortionnaires et filmer avec leur téléphone portable leurs funestes exploits.» Et on en passe et des meilleures
Ne se rend pas au Park qui veut. Le site touristique nest accessible que pour une une élite fortunée (le ticket dentrée sélève à 15000 dollars
). De toute manière, «la nature des attractions proposées peut choquer le plus grand nombre», ce qui nen fait pas un lieu de villégiature grand public. Les 100 visiteurs autorisés quotidiennement à franchir le portail dentrée découvrent des attractions qui font froid dans le dos, comme par exemple le Todeskamp I, où se mélangent joueurs de casino et déportés de guerre, le Conservatoire des Cris, dans lequel les visiteurs peuvent entendre résonner les «infinies nuances de la souffrance humaine», ou encore le Reptilarium Inc, dans lequel des fonctionnaires vaquent à leur travail de bureau au milieu de toutes sortes de reptiles.
Dans Le
ParK, le philosophe et écrivain Bruce Bégout décrit un monde du divertissement poussé à lextrême. Se côtoient dans un espace restreint Mickey Mouse, des déportés, des majorettes ou des animaux sauvages. Le voyeurisme et la perversité des visiteurs font le succès dune attraction touristique qui se veut le parfait contre-pied dun monde devenu aseptisé. Bref, il faut, pour capter lattention, révulser, choquer, mettre à mal le confort du spectateur blasé en fusionnant parc dattractions classique et camp dinternement.
Le crédo de Bruce Bégout, cest que lhomme a du mal à supporter son ouverture absolue au monde. Labsence de limite le déstabilise, au point quil cherche à tout confiner dans des cadres bien définis. Le parcage devient dès lors la solution ultime à la crainte paralysante de linfini. Métaphore de notre société du tout-spectacle et de la mise en scène permanente, ce texte danticipation vaut surtout par ses côtés glacials, intrigants et angoissants, ainsi que par le profond malaise quil suscite. Addition de petits chapitres descriptifs sans réelle intrigue, Le ParK aurait toutefois gagné à être un peu plus touffu pour être pleinement convaincant.
Florent Cosandey, 15 octobre 2010
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