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La Part de l’autre

de Eric Emmanuel SCHMIDT - Albin Michel, 2001

mardi 3 mai 2005 par Frederique R.

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« Après l'expérience de ce livre, je suspecterai tout homme qui désigne un ennemi. »

« 8 octobre 1908 : Adolf Hitler recalé.

Que se serait-il passé si l'Ecole des beaux-arts de Vienne en avait décidé autrement ? »

Et si c'était un homme ? Voilà le parti pris de Schmidt : cesser de considérer le plus grand criminel de l'Histoire comme un monstre. Et pour cela, partir de ce qui aurait pu changer le cours de sa vie : l'entrée aux Beaux-Arts. Le livre se scinde en deux, dès le début. Il est partagé. D'un côté, ce qu'Adolf H. aurait pu devenir s'il avait été admis, si sa peinture avait été reconnue, de l'autre ce qu'il est devenu. A chaque étape de l'histoire en train de s'écrire : cette double possibilité. Schmidt explore la potentialité en Adolf H. de ne pas devenir Hitler. Choquant ? C'est ce qu'on lui a rétorqué. Tu ne dois pas le faire. Tu n'as pas le droit de présenter Hitler comme un homme. Et pourtant, si c'était un homme...

Schmidt s'est fait des ennemis avec ce projet, il le dit dans le journal de l'écriture du roman qu'il publie à la fin de La Part de l'autre, ce livre lui a coûté cher. On lui a demandé des explications tout au long de sa rédaction. Pour projeter d'écrire ça, qu'Hitler était un homme, on lui a demandé des comptes. On ne comprend pas. Alors Schmidt s'explique. Après avoir écrit L'Evangile selon Pilate, après avoir écrit sur Jésus, il lui fallait écrire sur Hitler. Ca paraît incompréhensible. C'était pourtant inévitable : après avoir étudié la part de lumière, il lui fallait étudier celle de l'ombre. Il n'avait pas le choix. C'aurait été mentir que d'en rester là. C'aurait été réduire la part de l'autre en soi, c'aurait été falsifier. S'il y a une part en soi de lumière, il y a une part d'ombre, inévitablement.

« Puisque c'est dans l'humain et non en dehors de l'humain qu'ont lieu et Jésus et Hitler, mon humanisme n'existera qu'au prix de cette double poursuite. »

Montrer que ce qu'il y a de monstrueux dans Hitler ce n'est pas la folie, ce n'est pas la barbarie, c'est l'homme, la possibilité en l'homme de devenir ça, voilà le but poursuivi par Schmidt dans ce livre. Montrer qu'Hitler n'est pas un être exceptionnel, que c'est même un être très banal. Non pas un monstre inhumain, non pas « un barbare sans équivalent », juste un homme.

« Banal comme le mal. Banal comme toi et moi.  Ce pourrait être toi, ce pourrait être moi. Qui sait d'ailleurs si, demain, ce ne sera pas toi ou moi ? Qui peut se croire définitivement à l'abri ? A l'abri d'un raisonnement faux, du simplisme, de l'entêtement ou du mal infligé au nom de ce qu'on croit le bien ? »

Schmidt refuse de caricaturer Hitler, parce que l'exclure de l'humanité consiste à se disculper d'abord soi-même et à disculper ensuite l'humanité de cette part d'ombre en elle. Justifier les crimes d'Hitler par la folie ou par la barbarie, c'est proclamer que la folie ou la barbarie n'existent que chez les autres, c'est-à-dire ceux qui ne sont pas moi, n'ont rien à voir avec moi. L'attitude qui consiste à rejeter l'autre pour sa barbarie est celle dont il faut se méfier, puis combattre.

« Tant qu'on ne reconnaîtra pas que le salaud et le criminel sont au fond de nous, on vivra dans un mensonge pieux. Qu'est-ce qu'un salaud ? Quelqu'un qui n'a jamais tort à ses propres yeux. Qu'est-ce qu'un criminel ? Quelqu'un dont les actes négligent l'existence des autres. Nécessairement, j'ai ces deux pentes en moi, je peux y glisser. »

L'humanisme de Schmidt, partout sensible dans ses œuvres, passe par l'acceptation en soi de cette pente. C'est à celle seule condition que je pourrai ne pas glisser. Connaître cette pente, savoir où elle se trouve en moi pour mieux m'en tenir éloigné. Sûrement pas la nier, en refouler l'existence. Le refoulement est source d'agressivité et l'agressivité source de négation de l'autre. Refouler la possibilité en moi d'être Hitler, c'est accroître cette possibilité. Il faut, au contraire d'occulter les raisons qui ont pu pousser Adolf H. à devenir Hitler, au contraire de refuser de les entendre : les comprendre.

« Hitler est autre. Mon livre sera un piège tendu à cette idée. En montrant qu'Hitler aurait pu devenir autre qu'il ne fut, je ferai sentir à chaque lecteur qu'il pourrait devenir Hitler. »

Pour ne pas oublier et ne pas répéter l'Histoire, il faut  réintégrer Hitler dans l'humanité. Comprendre. Mais comprendre ne veut pas dire excuser. Comprendre veut dire interpréter. Or, la littérature sur Hitler, dit Schmidt, est truffée d'erreurs, signifiantes d'ailleurs parce qu'elles apportent un éclairage sur cette volonté de ne pas être Hitler, qui trop souvent influe sur celle de comprendre. Première erreur, explique Schmidt, dont il faut le dire le travail sur le plan historique est remarquable : «  la judéité cachée d'Hitler. » « Cette thèse du grand-père juif  ne tient pas scientifiquement la route » mais elle est émouvante, parce que, dit Schmidt : « Elle montre comment, après la guerre, les hommes ont voulu signifier que l'holocauste est fratricide. Si Hitler a du sang juif, il s'est tué lui-même. » Deuxième erreur : concevoir qu'il y a chez Hitler un : « antisémitisme original. » Hitler a lui-même tenté dans Mein Kampf d'y faire croire. Mais en réalité, les témoignages le prouvent : « Hitler ne fut pas antisémite avant 1918, pas antisémite avant d'avoir « besoin de l'être ». Sa jeunesse fourmille de compagnonnages pacifiques avec des juifs. » Schmidt explique qu'Hitler n'a versé dans la haine antisémite qu'à la fin de la guerre pour s'expliquer la défaite de l'Allemagne. « Voici le syllogisme : mes officiers étaient juifs et allemands ; or l'Allemagne perd la guerre ; donc on ne peut être juif et allemand à la fois. » Les Juifs ont été désignés coupables de la défaite à partir de ce syllogisme stupide, de l'explication simpliste « d'un homme qui tente de comprendre pourquoi il a passé quatre ans en vain dans les tranchées.» Troisième erreur : toutes les théories sur la sexualité d'Hitler qui reviennent à le présenter comme un être pervers, et donc encore une fois comme autre, pas comme moi en tous cas.

Il faut pourtant accepter qu'Hitler aurait pu être un autre, parce que « Réduire un homme à sa scélératesse, c'est réduire un homme à l'une de ses dimensions. C'est lui faire le procès qu'il fit lui-même aux juifs. » D'autre part, bannir Hitler de l'humanité, trouver des raisons justifiant sa différence avec moi, revient à refuser le combat. Or, c'est afin de ne pas redonner à un autre le pouvoir donné à Hitler que nous devons lui rendre son humanité. C'est à cette condition que nous pourrons lutter efficacement contre lui, c'est-à-dire contre la part en chacun de nous de lui, et que nous éviterons peut-être que l'Histoire se répète. Voilà le message difficile à émettre que délivre Schmidt, dont les derniers mots traduisent la peur de ne pas être compris...

« Qui me lira ? Qui me comprendra ? Qui me répondra ? »

Moi, Eric, et tous les enfants à qui je parlerai de ton livre, à toutes les générations de lycéens à qui je le ferai lire. Pour eux, et pour moi, merci de l'avoir écrit.

Frédérique R.



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Messages

    • tous les hommes sont des hommes mais peu sont des hommes et dans beaucoup sommeille un Hitler ou similaire qui peut surgir à tout moment sans pour cela avoir été refusé à l’une ou l’autre académie. En ce qui concerne l’article je crois qu’il est présomptueux d’écrire ausujet d’un personnage que l’on n’a pas connu personnellement.

    • A la question est ce un homme ? je repond oui (malheuresement) car ces a cause de se refu a l ecole des beaux-arts qu il est devenu l homme que l on connais tous .Si il n avait pas reagit comme ca au refu il aurait ete surement un grand homme et pas un tyran assoiffe de sang et de grandeur .Mais pourquoi a t il reagit comme ca ? sa c est la vrai question

    • "La part de l’autre". Voila le livre qui devrait être lu afin de montrer aux gens que nos actes et nos pensées nous construisent et que si Hitler est devenu ce qu’il a été ce n’est que parce qu’il à choisi ce chemin mais il reste néanmoins un homme. Juste un homme.
      Ce roman philosophique nous fait prendre conscience de l’importance de nos actes pour nous permettre d’éviter de tels atrocités (extermination des juifs), même ci cela peut encore surgir à tout instant.

  • Adolf Hitler était loin d’être banal et je trouve cela hypocrite de le qualifié comme ça. Je trouve cela gonflé de juger quelqu’un que l’on a pas c onnu et qui a été tellement critiquer . ces critiques peuveunt influender notre jugement, vous ne penser pas ? LE MAL EST EN NOUS C4EST VRAI MAIS IL NE FAUT PAS EN AVOIR PEUR !

  • Quel simplisme et quelle méconnaissance du personnage et de la psychologie en général.
    Si tous les recalés de la planète devenaient dictateurs, il ne resterait plus personne à opprimer. Simplement et définitivement risible

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