lundi 30 août 2010 par penvins
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Au XIXème siècle on doit la paternité du XXéme qui n’est encore que tout fraîchement défunt. C’est la raison pour laquelle j’ai dévoré ce livre emblématique d’une époque où la mort était encore présente dira-t-on, d’une époque où les affres de deux guerres mondiales ne l’avaient pas fait fuir comme par contrecoup hors de la portée des vivants.
C’est un lieu commun que d’identifier le romantisme à la mort, au roman noir et au désespoir, on en voit souvent l’aspect négatif sans bien se rendre compte que le suicide est ici (comme souvent) non pas une fin tragique, mais un bonheur attendu, une jouissance. Epoque morbide, mélancolique, certes, mais certainement pas dénuée de plaisirs, tout au contraire, époque qui aspire au plus grand des plaisirs, celui de retourner au bonheur parfait du néant. Epoque qui garde le souvenir de la Révolution et des espoirs qu’elle a suscités.
C’est une formidable idée que de remettre en scène un auteur que l’on avait oublié et qui éclaire merveilleusement son siècle. Un vrai travail d’éditeur qui bien sûr possède son sujet mais surtout aime à vous le faire partager.
On ne lira ici que des extraits comme dans toute anthologie et l’on aura formidablement envie de lire l’œuvre entière et de la replacer dans son contexte historique et littéraire, non que l’éditeur ne le fasse mais il nous donne tellement soif d’y aller voir de plus près que l’on a besoin d’en mieux connaître les véritables ressorts.
Il y a sans doute des raisons personnelles au romantisme frénétique de Pétrus Borel, il y a surtout des raisons sociales à la révolte des Bouzingos comme les appela Le Figaro et l’on ne peut se contenter d’invoquer la folie comme on le fait parfois pour Nerval sans aller rechercher ce que cette époque avait de particulier qui faisait tant aimer la mort et le néant à ses meilleurs écrivains. Sans doute s’agissait-il d’une époque de régression, d’une tentative de retour en arrière où la tentation du rétablissement du pouvoir absolu le disputait encore au rétablissement de la République.
Il y a évidemment dans cette passion pour la mort l’expression d’un fort sentiment de culpabilité après la Terreur et surtout après le meurtre du Roi. C’est comme si après la parenthèse de l’Empire et les batailles meurtrières qui l’ont accompagné ! la honte inexprimée d’avoir tué le Père trouvait dans la littérature et dans le mouvement culturel qui l’accompagne un moyen de dire : « ce que nous avons fait nous ne le regrettons pas, le plus grand plaisir de l’existence c’est elle, la mort, qui nous le procure. »
Il y a d’ailleurs dans la description de la foule assistant à l’exécution d’une orpheline comme le rappel de ces heures peu glorieuses de l’Histoire de France : Toute la tourbe, le cou tendu, était sur la pointe des pieds. Quand le coutelas tomba, il se fit une sourde rumeur [.]
On les retrouvera avec tout l’humour de Pétrus Borel quand, dans Pastereau, le héros demandera au bourreau : je voudrais simplement que vous me guillotinassiez.
Chez Pétrus Borel sans doute plus que chez n’importe quel autre écrivain, ce sentiment de culpabilité est omniprésent et l’on notera dans deux textes Monsieur de l’Argentière et Jacquez Barraou que c’est l’enfant qui est tué comme s’il s’agissait de punir le véritable coupable, on tient sans doute là les vrais fondements du romantisme. Il n’est pas étonnant alors d’y trouver mêlé cette idéalisation de l’amour et de la femme, la seule femme possible, c’est celle que l’on ne peut atteindre et c’est la mère. Champavert c’est l’histoire de l’amour vain de Borel pour une femme plus âgée que lui.
Mme Putiphar avec la mise en scène de Mme de Pompadour et de la Révolution sera une dénonciation radicale de l’absolutisme royal, on rejoint là le drame œdipien qui s’est joué sur le plan politique.
Mais bien sûr ce rejet du père ne peut aboutir, Pétrus Borel échouera lamentablement aussi bien dans ses tentatives littéraires que dans sa vie « professionnelle », il sera révoqué de ses fonctions d’inspecteur dans l’administration algérienne. Il avait quitté la France métropolitaine pour l’Algérie contribuant ainsi à se faire oublier. Toute proportion gardée ce retrait de la scène littéraire fait penser à celui de Rimbaud et évoque une sorte de suicide symbolique. Un suicide nécessaire puisque : une œuvre comme celle-là n’a pas de second tome : son épilogue, c’est la mort.
Il ne sera reconnu que beaucoup plus tard : Il fut célébré beaucoup plus tard par de nombreux écrivains parmi lesquels, Charles Baudelaire, Jules Vallès, Paul Eluard, Tristan Tzara et André Breton. écrivent les éditeurs dans leur présentation.
Pétrus Borel - ainsi que le décrivent parfaitement les éditeurs de cette anthologie - est un être profondément révolté et résolument républicain qui n’est pourtant pas dupe de l’horreur de la société bourgeoise qui s’installe, une société de marchands et d’épiciers qu’il dénonce vigoureusement. Sans la sensiblerie de Victor Hugo, son romantisme oppose à la bourgeoisie une critique radicale, il s’en prend aux causes : le haut commerce détrousse le négociant, le négociant détrousse le marchand, le marchand détrousse le chambrelan, le chambrelan détrousse l’ouvrier, et l’ouvrier meurt de faim. (Rhapsodies). Et sa conclusion est simple : Dans Paris, il y a deux cavernes, l’une de voleurs, l’autre de meurtriers ; celle des voleurs c’est la bourse, celle des meurtriers c’est le Palais de Justice.
Mais pourquoi donc les éditeurs écrivent-ils sur la 4ème de couverture que : lire aujourd’hui celui qu’Eluard plaçait entre Sade et Lautréamont, constitue un véritable acte de salubrité intellectuelle ?
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