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A propos de l’exposition : Monet, Whistler et Turner
dimanche 22 mai 2005 par Yvette Reynaud-Kherlakian

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Monet, Whistler et Turner : Une parentèle ?

Je ne sais pas trop si on peut faire entrer Turner et Whistler dans l’antichambre de l’Impressionnisme et à dire vrai, je m’en fous. Il reste que la juxtaposition d’œuvres de paysagistes comme Turner, Whistler et Monet (j’ai regretté l’absence de Corot pourtant cité une fois dans un texte de présentation) m’a fort impressionnée. Non pas simplement parce qu’ils partagent un même goût pour Londres et ses paysages embrumés et que leurs pinceaux respectifs s’exercent parfois sur un même motif - avec des techniques voisines. Whistler et Monet reconnaissent Turner et chacun des deux reconnaît l’autre - et j’aime qu’un artiste approche ainsi un maître disparu ou fréquente un pair avec une attention intime mais assez distante pour rester regard autonome.

Moi, en modeste amateur, j’aime Turner, Whistler et Monet. Whistler, un peu moins que les deux autres, sans doute parce que, s’il va d’un réalisme qui découpe les choses à un pinceau plus léger qui les poétise en assouplissant leurs contours, en atténuant leur relief, en faisant glisser l’éclat des couleurs vers un enchaînement de gris, il ne me fait pas vraiment changer d’espace. Au monde que je perçois au jour le jour, il ne fait qu’ajouter des vibrations -délectables, certes-, mais qui ne font pas basculer mon regard. Whistler peut prendre bien des libertés avec la représentation des choses, il ne les dénature pas. C’est peut-être le pastel Rouge et Or : eglise della salute, soleil couchant qui illustre le mieux la limite -dans un délicieux frémissement de bleus et de roses- de cette façon de longer la frontière entre présence et absence sans jamais la franchir.
Il en va tout autrement pour Turner ou Manet.

La toile de Turner me tend un espace enveloppant, doucement tentateur. Le nuage, le brouillard sont bien plus que des thèmes de sa peinture, ils sont le signe d’un mode de présence qui va vers le retrait feutré des choses pour mieux faire voir l’omniprésence de l’espace, non pas comme vide vertigineux tel qu’il le sera chez Chirico mais comme matrice de toute chose. La toile, qu’elle désigne Le confluent de la Severn et de la Lye, une Scène de fête sur la lagune ou même L’incendie du parlement, est un enfantement. Turner intitule Colour beginning une aquarelle où le bleu va sortir, peut-être, de la longue caresse jaune, rose, blanche du pinceau. C’est que le monde est toujours à naître. L’évidence des choses est dans une perpétuelle renaissance. Nous touchons là à l’essence même de la peinture, du geste premier du peintre. Turner retient, d’un pinceau rêveur, la profusion de l’espace qu’il propose. Il sait que l’autre côté du regard, ce n’est pas le monde à l’envers, c’est la multiplicité des mondes possibles.

Monet admire Turner et goûte Whistler, amitié et œuvres. Mais il reste à égale distance de l’un et de l’autre pour ne jamais perdre de vue la chose qu’il veut peindre. Quand Monet prend et reprend le Waterloo Bridge (dont une merveilleuse aquarelle bleue), la façade de La cathédrale de Rouen, Le Parlement de Londres, - et, bien sûr, les nymphéas -, il est bien plus près de Cézanne et de ses Montagne Sainte Victoire que de Whistler et de ses Nocturnes. Ce qu’il traque à travers la mobilité de la lumière, c’est la chair - indéfiniment perdue et recommencée - de la pierre, de l’eau, de la fleur ; car c’est elle qui fragmente la couleur selon sa densité, selon son grain. Le pinceau de Monet se repaît de la résistance des choses.

Une belle peinture est péremptoire : l’ailleurs et l’autre chose existent, ils sont là, à portée de regard. A nous de les cueillir dans l’espace du tableau pour en ensemencer la perception quotidienne.

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