mardi 21 décembre 2010 par penvins
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Tout ce qui unit la beauté, la pureté, la vie utérine et la mort se retrouve dans ce petit récit paru pour la première fois, en 1972, aux éditions Régine Desforges puis réédité par les éditions Musardine avant d’apparaître enfin, en 2001, aux éditions Verticales. Long chemin vers la reconnaissance de ce qui pouvait être pris pour un roman érotique sur un sujet particulièrement scabreux. Car le roman est tout sauf un exercice de style destiné à satisfaire les goûts pervers d’un public dit averti. On n’écrit pas sur un tel sujet avec une telle maîtrise du style, un style qui doit beaucoup aux romans noirs du XIXème siècle, par simple distraction ou désir de plaire à un certain lectorat. Gabrielle Wittkop crée avec une infinie pudeur un personnage habité par une vraie passion pour les cadavres, on remarquera que, sur le point de se satisfaire auprès d’une vivante, son héros s’en voit empêché comme s’il s’agissait d’un acte impossible.
Si Gabrielle Wittkop dit bien toute la différence entre un corps de vivante et un corps de morte, elle insiste aussi sur la façon dont son héros perçoit l’odeur du sexe de sa seule partenaire en vie : qui m’eût peut-être rebuté si son odeur n’eût rappelé celle de la mer image et sœur de la mort. Si l’on inverse la proposition, on voit à quel point ce qui est recherché ici c’est bien sûr la douceur intra-utérine, n’écrit-elle pas ailleurs : Unis dans l’eau comme jadis dans le liquide maternel, dans la mère comme dans la mer.
Cela me paraît être une des caractéristiques fondamentales du romantisme que cette attirance pour le repli sur soi dans une position de non-vie, les allusions au liquide maternel sont ici répétées, comme un refus de naître ou plutôt une incapacité à naître tant le poids de la culpabilité est lourd. Il n’est pas difficile de deviner ce qui se cache derrière cette attirance pour la mort, ni ce qui a pu provoquer une fascination aussi explicitement sexuelle pour le suicide, il y a dans cette vie hors du commun et bien sûr dans ce texte très particulier qu’il ne faut encore une fois pas voir dans ce qu’il a de scandaleux, provocation qui pourrait apparaître artificielle, quelque chose de profondément douloureux, un traumatisme extrêmement puissant qui donne une force - énergie du désespoir - incommensurable, dangereuse, certes, mais en même temps qui n’a d’autre issue pour dire l’indicible que de forcer l’attention du lecteur, de le contraindre à une lecture attentive, millimétrée. Ce texte est bien sûr extrêmement dérangeant, d’une certaine manière il pourrait faire fuir, on pourrait même le prendre par-dessous la jambe, après tout il y a quelque chose de grandguignolesque dans cette nécrophilie, mais il y a là, en même temps, en raison même du style, l’évidence d’une nécessité, de ce que j’appelle une exigence qui en fait un texte fort en dépit de ses macabres stéréotypes.
Le texte commence par le viol - peut-on dire autrement s’agissant d’un cadavre - d’une petite fille et pourtant Lucien dira ne pas aimer les enfants, la présence d’un nouveau-né entre les bras de Geneviève lui fera dire : Je n’ai pas beaucoup apprécié cet intermède familial. Bien sûr, l’enfant le gêne puisqu’il l’entrave dans sa relation à Geneviève, mais cette explication ne saurait être qu’une pudeur, manière de détourner l’attention des causes profondes de cette répulsion, dont on trouvera une autre interprétation quelques lignes plus loin à propos de Gilles de Rais : Gilles de Rais me dégoute. Il n’y a qu’une seule chose sale : la souffrance qu’on peut causer. C’est là en quelque sorte la seule limite à sa perversion. Limite qui en dit long sur le sens intime de ce texte.
Dès lors l’attirance pour la mort et cette sexualité toute particulière peut être lue tout autrement, il ne s’agit pas de prendre son plaisir avec un mort - perversion que l’on s’empressera de condamner et qui justifiera le scandale dont ce livre a été l’objet – mais tout au contraire de se défaire - en le reproduisant à l’infini - de ce désir de mort qui accompagne désormais toute relation sexuelle. Désir de tuer le partenaire et culpabilité qui accompagne ce désir qui conduira inévitablement au suicide, l’œuvre et la vie de Gabrielle Wittkop sont habitées par cette fascination.
Ce qui frappe le lecteur à travers la répétition de ces relations morbides, c’est bien sûr la solitude dans laquelle vit Lucien, en dépit de sa volonté de s’inventer - de créer - les personnages avec lesquels il assouvit ses pulsions, ceux-ci restent de purs objets, ils ne deviennent jamais - et pour cause - des sujets.
Ce qui est en jeu dans cette fiction, c’est cela, Lucien ne peut ni vivre ni mourir, il regrette sa vierge d’Ivry, sa morte-vive, dans la catacombe de San Gaudisio, il ira jusqu’à désirer un instant le sexe d’une vivante mais les nécrophiles ont définitivement choisi l’incommunicabilité et leurs amours transcendent l’inexprimable, Lucien ne peut rejoindre le monde des hommes, il restera seul avec le souvenir de Gabrielle ( !!! ) qui avait un secret penchant pour le suicide .
Il est intéressant de remarquer que finalement le seul spectacle qui lui donnera encore du plaisir sera celui de ces deux jeunes amants aux sexes tels deux mollusques enfantins, comme un dernier retour à l’enfance - tentative de rompre la solitude - avant le châtiment des hommes lorsque la police judiciaire viendra frapper à sa porte pour « affaire [le] concernant ».
D’une certaine façon ce texte est assez limpide, l’inexprimable, ce magasin d’antiquités que [Lucien/Gabrielle a] hérité de [son] père nous est presque dévoilé à travers le scandale de la perversion nécrophile que le premier éditeur avait cru bon de mettre en avant et de justifier par une postface de J.L. Degaudenzi intitulée Nécropolis, c’est peut-être ce qui me fait préférer les nouvelles du recueil Le sommeil de la raison au style plus mûr et peut-être moins accrocheur, mais commencez par lire Le Nécrophile, vous aurez très certainement envie de lire toute l’oeuvre de Gabrielle Wittkop.
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