samedi 19 février 2011 par Liss Kihindou
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Un roman qui vous prend en otage dès les premières lignes, voilà ce que recherchent les lecteurs qui ne demandent qu’à être captifs des serres d’un auteur, le temps d’une lecture.
Noires Blessures met en scène deux personnes qui sont en quelque sorte sur un ring : un Noir, Mamad White, et un Blanc, Laurent Kala. On remarque d’emblée la curiosité des noms qui sont comme inversés. Le Noir porte le nom de ‘‘Blanc’’ et le Blanc un nom tout africain, à l’instar du héros de L’Impasse , de Daniel Biyaoula. En langue congolaise, ce nom signifie précisément ‘‘charbon’’, c’est-à-dire ‘‘noir’’. L’un a tenté, au prix de sacrifices de tous les siens, de gagner l’ Eldorado européen, comme Soleiman et Boubakar, personnages du roman de Laurent Gaudé, car il faut sortir la famille de la misère. Il a failli y laisser sa vie. L’autre a fait aboutir sans trop de peine le projet de quitter sa France natale pour s’installer sur les terres de « ces gens », les Noirs. Cette France qui ne représente plus que ‘‘grisaille’’ et que ‘‘stress’’ depuis la disparition de son père.
L’un est l’employé de l’autre, son homme à tout faire. Ligoté à une chaise, il est sonné de coups, il est pour ainsi dire ‘‘K.O.’’, ce qui n’empêche pas l’autre, amateur de boxe, de continuer à cogner, libérant ainsi toutes ses frustrations, toutes ses peurs, déversant sur ce Noir toute la rage contenue depuis des années. Il veut lui infliger toutes les humiliations, et voici la pire d’entre elles :
Les premiers rayons du soleil éclairent la pièce d’une douce lumière. Du plat du pied, le Blanc le renverse sur le flanc, tout en sortant son sexe de son pyjama. Mamad a juste le réflexe de fermer les yeux et la bouche. Il sent le liquide chaud et salé gicler sur son visage, un jet continu qui ravive ses blessures à vif. Le Blanc aurait bu le fleuve entier qu’il n’aurait pas uriné autant. Une fois son sexe égoutté et rangé, le Blanc empoigne Mamad, le rétablit péniblement en position assise, et le coince dans un angle de la pièce qu’il prend soin de bloquer avec un canapé.
(Noires blessures, p. 103)
A ce moment de la lecture, le lecteur est un bloc d’indignation, surtout lorsque, quelques minutes seulement après son forfait, le Blanc est « ému aux larmes » à cause du chant des oiseaux dans la forêt qui semble faire écho au chœur de gospel qui s’échappe de son lecteur de disque. Quel est donc cet homme qui se montre d’une inhumanité révoltante et qui, dans le même temps, se laisse émouvoir par la nature autour de lui ? C’est alors que Laurent Kala se met à se raconter.
Le roman est donc composé de deux parties, séparées d’intermèdes pris en charge par un narrateur externe, où chacun des personnages déroule le fil de sa vie : son enfance, ses frustrations, ses échecs, ses espoirs, ses motivations. Blessures d’un peuple. Blessures de l’enfance qui, bien souvent, expliquent les dérèglements de l’adulte. Très bon roman. Tout y pèse son poids : le dit, le ton, la construction. Il mêle également, en un tout harmonieux : histoire, musique et sport.
Très belle découverte de cet auteur, que je ne connaissais que de nom, et de la littérature haïtienne avec laquelle je n’avais flirté jusque-là qu’au travers de quelques œuvres de Dany Laferrière.
Louis-Philippe Dlembert, Noires Blessures , Mercure de France, décembre 2010, 226 pages, 16.50 €. Un roman à lire !!!
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