mardi 22 février 2011 par Tristan Hordé
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Laurent Fourcaut, En attendant la fin du moi, éditions Bérénice, 2010, 12€.
Laurent Fourcaut a plusieurs vies parallèles. Spécialiste de Giono (dont il a édité plusieurs textes dans la Pléiade), bon connaisseur de la poésie contemporaine (de Jean-Pierre Verheggen à Esther Tellerman), il appartient aussi à cet ensemble qu’il nomme « les cinglés du sonnet, les fondus de la rime ». Le sonnet, une forme fixe obsolète ? Non, d’autres écrivains d’aujourd’hui en ont écrit, de Raymond Queneau (une des lectures favorites de l’auteur) et Jacques Bens à Jacques Roubaud et William Cliff. Ceux de Laurent Fourcaut sont on ne peut plus classiques, tant pour l’alternance des rimes (abba/abba/cc/deed) que pour le choix du vers, l’alexandrin. Cependant, on découvrira pas mal d’entorses aux règles énoncées par Boileau dans son Art Poétique : Apollon
Voulut qu'en deux quatrains, de mesure pareille,
La rime, avec deux sons, frappât huit fois l'oreille ;
Et qu'ensuite six vers, artistement rangés,
Fussent en deux tercets par le sens partagés.
Surtout, de ce Poème il bannit la licence ;
Lui-même en mesura le nombre et la cadence ;
Défendit qu'un vers faible y pût jamais entrer,
Ni qu'un mot déjà mis osât s'y remontrer.
Dans 5 des 120 sonnets de Laurent Fourcaut, un mot s’ajoute au quatorzième vers pour achever une phrase, par exemple : « digérer en dormant la énième ventrée / d’épouvante. » (p. 87) On reconnaîtra également des licences graphiques largement en usage dans l’histoire de la poésie, comme ores (pour or), encor, certe ; plus provocatrice la "faute" d’orthographe dans « l’un et l’autre alimente une sorte d’ascèse » (p. 124) le pluriel -ent était possible avec l’élision ensuite du e muet dans une ou dans sorte, mais Laurent Fourcaut ne la pratique pas ailleurs. On s’amusera à relever des rimes très approximatives selon les règles, comme merde / perdre (p. 116), beaucoup dites "pauvres" dans les traités, ce que souligne l’auteur : « la rime est pauvre, ami, c’est presque de la prose », mais d’autres dites "riches" et toujours plaisantes, comme l’épicentre / l’épice entre (p. 53), la Chose / la hache ose (p. 55). Quant au vers, s’il est toujours rigoureusement composé (6/6), les rejets qui coupent le mot sont légion : à travers la fumée qui nous mène à l’alme i- / vresse » ; sinon comment obtenir la rime ? Mais Laurent Fourcaut use aussi pour cela de procédés facétieux :
un morceau seigneurial faisant plus d’un kilo,
sept minutes de chaque côté sur la pierre
(c’est pour la rime), non, sur le gril, je m’enquiers
auprès du cuisinier (que son petit vélo
Le lecteur comprend vite qu’il est fort éloigné des préceptes de Boileau, et il l’est encore plus pour le choix du vocabulaire. Laurent Fourcaut se place en épigraphe sous le patronage de Jean Follain : « par la porte ouverte / la beauté du feuillage amer / et des oiseaux à gorge rouge / devant les mots humains / que gouvernait une syntaxe éprouvée . resplendissait. » Les mots humains, ici, ce sont les mots que l’on peut entendre dans une conversation dite très familière, sans pruderie c’est cool, c’est la cata, pochtron, un chiard, des gouines, etc. Ce sont aussi, puisque la sexualité occupe une grande place dans les sonnets, les mots considérés comme vulgaires ; pour désigner la verge, à côté du didactique pénis et du gentillet quéquette, on rencontre au fil des sonnets l’archaïque vit, et biroute, zob, nœud, queue, pine. On lira également des mots anciens comme ord, orde (« d’une saleté repoussante »), vieux et littéraire pour le Trésor de la langue française.
Mais quel est le "sujet" de ces sonnets ? On suit une narration d’un poème à l’autre, non pas continue, ce que cette forme fixe exclut, mais on peut reconstituer une histoire du narrateur qui, régulièrement, s’adresse à un destinataire (Pierre) pour lui apprendre où il en est dans sa vie. Ce sont les moments les plus simples de la vie que l’on suit : préoccupation du temps qu’il fait, une promenade au bord de la mer, les soins pour une grippe, etc. Une partie, la moins fournie, se passe dans le Cotentin (où vivait d’ailleurs Jean Follain), avec les moments convenus de la vie près de la mer, à la campagne : « Quel plaisir de manger dehors quand il fait beau ! » (p. 127) Mais c’est à Paris que le narrateur affirme qu’il préfère vivre : « je songe avec regret à l’antre de Rabah / dont la fraicheur et l’ombre de Paris me hèlent » ; et quand il s’en éloigne pour son travail : « le TGV me ramène vite à Paris ». Paris, ce sont les cafés des 20ème et 11ème arrondissements ("Chez Rabah", "Le Gobe Lune, le "Zanzibar" et "L’Autre Café"), du 19ème ("Le Danube") ou du 10ème ("Le Valmy"). Le narrateur y boit beaucoup de bière :
Mais vivre sans la bière ? elle ouvre des issues
dans l’air sourd ou léger, plus souvent à l’insu
de mon fort intérieur, sans rival retranché,
aussi j’en bois beaucoup, Amstel, Pelforth ou Leffe,
assez pour oublier que je suis né L. F.
et pour passer aux yeux des nanas pour branché. (p. 59)
Pourquoi passer tant de soirées dans ces bars ? D’une part, les jeunes femmes y sont très présentes, observées et désirées, ce qui n’empêche pas des considérations désabusées sur les relations amoureuses, comme celle-ci : « je vois bien qu’en fait d’amour le leurre est roi ». D’autre part, on y écoute du jazz, avec autant de plaisir que chez soi ; le jazz (Stan Getz, Erroll Garner, Quincy Jones, Monk, etc.) fait partie de la vie du narrateur, comme Haydn, Mozart ou Boccherini. On peut ajouter, c’est un des motifs récurrents de ce livre, qu’être dans un bar c’est pour quelques heures oublier que « la condition de l’homme est d’être seul » (p. 72).
Les remarques sur la dépression toujours proche et sur la solitude abondent, liées à l’absence de l’Autre :
manque de l’amour même en tant qu’il électrise
l’atonie ordinaire assaisonnée de crises
et fait de nous, en somme, êtres civilisés. (p. 56)
Liées aussi aux transformations négatives du monde :
[…] la planète est foutue,
réchauffement, déchets proliférants, où tu
veux qu’on retrouve espoir, sûr pas auprès des femmes :
l’apocalypse précipite l’hystérie,
tout cercle s’avère vicieux et donc stéri-
le, du coup l’on se rue sur l’une ou l’autre came. (p. 57)
La crudité du vocabulaire, qui peut effaroucher certains lecteurs, n’empêche pas du tout l’expression d’un lyrisme vrai il n’est guère difficile d’ailleurs de se construire sur ce thème une petite anthologie de vers presque "classiques" : « C’est un fait, je suis triste, et l’été n’y peut guère, / je ne crois plus en rien, l’horizon est barré » (p. 82), « je suis las d’être moi, je voudrais changer d’air » (p. 87), etc., et encore :
Un beau jour j’ai compris qu’il fallait oui dire oui,
comme à la fin d’Ulysse : oui je veux bien dire oui, dire
amen à ce qui vient, en exceptant le pire,
attentif aux formes du vrai désir d’autrui. (p. 120)
Être attentif à la mélancolie qui s’exprime discrètement peut conduire à inscrire ces sonnets dans une tradition lyrique, certes, mais seulement si en même temps ils sont rattachés à une tradition de travail de la forme. Laurent Fourcaut écrit « je n’ai que le sonnet pour impropre exutoire » (p. 84), mais ailleurs il se défend fermement d’accorder la priorité au thème :
pourtant l’heure est sonnée de pondre mon poème,
je veux dire un sonnet, pour ce qui du thème,
de mes soucis c’est le cadet, en bon trouvère
je prends ce qui vient et j’en bricole les vers. (p. 43)
C’est ce double aspect qui procure un réel plaisir à lire Laurent Fourcaut.
Tristan Hordé
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