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Le couple et l’enfant

Aldo Naouri, Editions Odile Jacob, 1995

mercredi 17 août 2005 par Alice Granger

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Editions Odile Jacob, 1995.

Publié il y a dix ans, ce livre d’Aldo Naouri n’a rien perdu de son intérêt, avec l’aspect dérangeant qui se dégage d’une pratique ayant réussi plusieurs décennies durant à concilier, autour de l’enfant, le point de vue médical et l’écoute psychanalytique, deux manières d’aborder les symptômes qui sont d’habitude incompatibles. Aldo Naouri, lorsque des parents lui amènent un enfant en consultation, certes s’avère un médecin méticuleux, mais surtout il écoute les parents. Car de par sa formation psychanalytique, il sait que la souffrance et les maladies s’imbriquent intimement avec les faits de l’histoire dans laquelle elles s’inscrivent. Trop souvent, la médecine fait taire les symptômes en guérissant les maladies, mais bâillonne du même coup ce qui parle à travers ces symptômes et laisse intacte la souffrance elle-même. Bien sûr, Aldo Naouri soigne les maladies des enfants, mais toujours en s’intéressant à « l’autre scène », là où s’exercent des forces obscures qui déboulent sur l’enfant à partir des générations précédentes. Il est attentif au fait que la santé physique et affective d’un enfant est en relation étroite avec l’harmonie et l’équilibre régnant en profondeur au sein du couple parental, en se mettant lui-même, dans son écoute, à la place de l’enfant qui, par exemple par sa maladie, n’hésite pas et ne renonce pas à se faire entendre des deux discours parentaux dont il s’origine, tout en se tenant à égale et respectable distance de chacun d’eux.

Par l’aspect double de sa pratique qui a intégré en elle-même deux manières incompatibles d’aborder l’enfant, sa santé, sa vie, Aldo Naouri réussit à se placer à la fois du point de vue de la fonction maternelle (la spécialité pédiatrique est, dit-il, d’essence maternelle) et du point de vue de la fonction paternelle (psychanalyse, Loi d’interdit de l’inceste). C’est dire si sa pratique, se situant du point de vue de l’enfant, est au croisement du couple parental, s’originant elle-aussi des deux discours parentaux tout en se tenant à distance respectable de chacun d’eux.

Pour Aldo Naouri, la naissance d’un enfant entraîne pour le couple une mutation : il ne sera plus qu’un couple parental, une femme devenant naturellement et pour toujours mère, un homme devenant en principe père.

Cette mutation va-t-elle de soi ? C’est une question qui va traverser ma lecture.

Aldo Naouri souligne que d’avoir inventé une pratique mêlant deux discours écartelant autour de l’enfant l’a exposé au risque de se faire traiter de réactionnaire, tellement c’est dans l’air du temps de placer l’enfant en place de Roi, la sollicitude maternelle devant prévaloir dans tous les domaines et s’imposer comme paradigme de l’amour à porter à l’enfant, alors que lui soutient que cette sollicitude maternelle sans frein expose cet enfant à une angoisse obsédante et aux complications parfois graves d’une non inscription de la Loi d’interdit de l’inceste. Il y aurait cette position dominante d’enfants chéris de maman et de maman seule, et la position d’Aldo Naouri en faveur de l’inscription de la Loi d’interdit de l’inceste comme la meilleure façon de s’occuper de la santé de l’enfant et des humains en général serait un trouble-fête.

Ma question à moi, par rapport à cette fonction maternelle si folle, si toute-puissante, est : une femme, sur une base biologique, est-elle toute entière mère à partir de la fameuse mutation ?

Piège à déjouer : la dévotion parentale.

Dans notre société, l’économique confère une importance énorme au petit âge, vrai marché sur lequel on peut faire des calculs et des programmes, ceci en s’appuyant sur le fantasme maternel d’une vie sans écueil pour l’enfant, comme s’il était resté dans le ventre de sa mère.

Se plaçant du point de vue maternel, Aldo Naouri dit que la relation à l’enfant est une source inépuisable de plaisir, mais que s’y vautrer n’est pas sans conséquences. L’enfant peut-il réagir face à l’infini plaisir que lui dispense la sollicitude maternelle plus que parentale ?

Aldo Naouri commence toujours par l’enfant, qui est très tôt travaillé par un souci métaphysique, car il ne peut intégrer tant de choses sans savoir où il va avec son corps dans cette aventure sans fin. Naissance, vie aérienne, air qui envahit les poumons, lumière qui inonde la rétine, et la faim comme première sensation d’un manque, d’une disparition du placenta. Respiration, vision et faim comme preuves que le placenta a disparu, que le milieu n’est plus le même, qu’il n’a plus la perfection d’avant, mais en même temps qu’il est infiniment ouvert alors que celui d’avant était fermé. Dire comme Aldo Naouri que chaque enfant est un métaphysicien, ne serait-ce pas avancer que l’enfant, devant l’inquiétante expérience nouvelle dans laquelle la naissance l’a précipité, chercherait immédiatement les indices d’un monde qui serait comme celui d’avant, et que la sollicitude maternelle lui redonnerait dans sa toute-puissance ? Perdu, mais tout de suite retrouvé, à côté de ce monde physique inquiétant, tout de suite fourni par une fonction maternelle naturelle ? Imperfection, puis tout de suite quelque chose mis dans la bouche, « je suce, donc je suis », pour essayer de retourner là où « rien ne me manque », « à chaque étreinte de ma mère, je croirai y retourner ». Naouri parle de ces enfants suceurs parce que le sentiment de sécurité leur manque cruellement, ceci tenant à la nature des messages inconscients que les parents font transiter jusqu’à eux. Au lieu de signifier à l’enfant nouveau-né que le nouveau milieu dans lequel il est advenu est vivable et qu’il s’agit d’apprendre à y vivre sur la base d’une Loi et de règles, une mère toute en sollicitude et en dévouement va au contraire lui signifier par cette sollicitude-même que sans elle il mourrait, que c’est grâce à elle qu’il vit, donc qu’il est en puissance un mort. Cette sollicitude maternelle dévouée ne vise pas à amener l’enfant à s’acclimater et à se débrouiller dans son nouveau milieu en étant au départ accompagné, mais à prouver la toute-puissance maternelle, capable en fin de compte de garder à l’abri en elle l’enfant tout en lui présentant le monde où vivre comme le lieu où le risque de mort est permanent.

Aldo Naouri écrit que chacun de nous, donc chaque père et chaque mère en présence de leur enfant, ne pourra jamais effacer la trace des conclusions qu’il a tirées de son expérience précoce du plaisir ou de celle de sa rencontre de la mort comme disparition de l’être aimé et secourable. J’ajouterais que chacun de nous garde de manière indélébile la trace de la manière dont l’instance maternelle nous a laissé découvrir le milieu radicalement différent du milieu utérin dans lequel nous avons commencé à vivre, si elle a voulu le falsifier pour nous le présenter comme la même chose que le milieu placentaire par son pouvoir, ou bien si elle l’a laissé s’ouvrir à nous comme un milieu accueillant et vivable bien que n’étant pas sous son pouvoir.

Il est très important de dire à cet enfant que, dans ce nouveau milieu qui n’a rien à voir avec celui perdu, nous qui y habitons déjà pouvons quelque chose pour lui. Ce qui est un discours totalement différent du discours ancré dans le fantasme maternel de toute-puissance qui dit, oui tu as raison de craindre la mort, ce milieu est mortel pour toi, mais moi je sais t’en préserver, sans moi tu es mort.

Aldo Naouri utilise la métaphore de la navigation pour parler de cette aventure du couple et l’enfant. Certains, pour cette navigation, utilisent la technique du cabotage, dans une prudence qui exclut toute initiative, ils s’embarquent sans perdre de vue la côte comme si le risque était permanent. La navigation à vue est une vie au jour le jour, à la mode à partir de mai 68, c’est un départ sans souci de la destination, chacun faisant ce qu’il a envie, des gens voulant un plaisir sans limite, à portée de mains, comme le spectacle et la télé le diffusent en permanence. Dans ce cas-là, pourquoi le corps censé nous appartenir renoncerait-il aux joies qui s’offrent, et la seule chose à faire c’est d’amasser assez d’argent pour nous payer les embarcations qu’il faut direction plaisirs tous azimuts. Sauf que lorsque l’enfant paraît, cette embarcation supporte mal la charge nouvelle et le projet initial bat de l’aile. Dans une telle navigation à vue, il semblerait que la femme, dont le désir de maternité viendrait selon Naouri comme un appel irrésistible du corps, souvent voudrait l’enfant sans le père. Alors, la navigation à vue n’hésite pas à affronter l’insécurité dont elle ne préserve pas l’enfant. Cet enfant exige la sécurité dans ce nouveau milieu où il est né, sécurité qui ne doit pas être la fausse sécurité d’une opération de dénégation du changement radical de milieu, en l’absence de reconnaissance des exigences de son statut, il n’hésite pas à mettre carrément en jeu sa propre existence, par des colères, des cauchemars, voire des maladies graves, pour dénoncer l’absence de sécurité dont il sent que ses parents eux-mêmes se jouent par exemple en naviguant à vue.

Le processus de procréation est inclu dans une continuité de générations depuis la nuit des temps, et des messages se transmettent ainsi, chaque parent ayant pour mission de préserver son enfant de tout ce qui déboule, à travers lui et malgré lui, du fond de son histoire.

La grande traversée, dans cette métaphore de la navigation, est la seule qui regarde loin devant, qui ne prend le risque de l’aventure qu’à partir d’un projet bien élaboré, avec un recueil minutieux de toutes les informations, le but et la destination seront fixés au départ, les richesses à découvrir étant à la hauteur du souci de sécurité existant au début pour mettre les meilleures chances de son côté, et en emmenant à bord d’une embarcation sûre un géographe rompu à l’astronomie. Cette entreprise, qui implique de renoncer à la précarité frileuse du cabotage et à l’insouciance de la navigation à vue, est une aventure à long terme, centrée non pas sur un intérêt individuel mais au service de la communauté. Il s’agit de faire que l’enfant devienne un membre adulte de la communauté humaine habitant cet autre milieu que l’utérin, arrivé à destination. Alors, ce sont toujours les parents qui sont les promoteurs du voyage, qui sont au gouvernail du navire, tandis que le nouveau-né est entendu dans son exigence d’être accepté par ses deux parents dans son exigence de né, c’est-à-dire dans son exigence d’échapper, de partir, de cette image que sa mère, en particulier, s’était forgée de lui pendant toute sa grossesse. Au fond, cette métaphore de la navigation raconte l’aventure que c’est d’avoir la certification d’être définitivement hors du ventre maternel, qui est aussi la certification que le milieu dans lequel vivre est viable et désirable. Or, n’est-ce pas difficile de naître vraiment ? Aldo Naouri semble nous le dire à chaque ligne. Si souvent, l’enfant n’est-il pas intoxiqué par la sollicitude maternelle comme si c’était une drogue ?

Père et mère face à face : leurs statuts sont si différents, écrit Naouri, qu’il est impossible d’établir entre eux un rapport. Contrairement aux animaux, pour lesquels le processus instinctuel de perpétuation de l’espèce est à l’œuvre, chez les humains il y a l’inconscient qui commande à notre insu tous nos actes. Comme pour un ordinateur, dit-il, l’inconscient est comme un programme inaccessible à un accès direct, forgé par nous-mêmes dans nos premières années, en fonction de notre réalité environnante, des messages émis par l’entourage immédiat qui l’a reçu lui-même dans ses premières années et ainsi de suite en remontant les générations, ce qui a fait dire à Lacan que l’inconscient est structuré comme un langage.

Aldo Naouri remonte ainsi à l’homme primitif. Il y avait des hordes primitives groupées sous l’autorité d’un chef qui était le seul à avoir un accès sexuel aux femmes, jusqu’à ce qu’un mâle plus jeune le destitue. Puis un événement fait tout basculer : le meurtre de ce père par des fils frustrés pour obtenir les femmes qu’ils convoitaient, et ensuite le repas cannibalique, les fils mangeant le père pour sceller la nouvelle alliance. Mais soudain, l’horreur surgit, et pour y faire face, s’édicte la Loi de l’interdit de l’inceste, qui est une Loi essentielle pour l’espèce. Pour certains animaux, il existe un évitement de l’inceste. Au contraire, écrit Naouri, il semble que pour les huma ins on rencontre habituellement un attrait sourd et violent pour l’inceste, de sorte que la Loi qui l’interdit doit toujours être édictée. Naouri continue en disant que cette dimension du meurtre attachée au personnage paternel continue de colorer toute relation qu’homme et femme instaure vis-à-vis de son père et permet de comprendre la sourde culpabilité qu’engendre la disparition de l’interdit.

Là encore, il est à noter à quel point une femme serait inéluctablement rivée à un versant fondamentalement incestueux, comme si, après la naissance, elle faisait encore courir le risque de ramener dans son ventre en retenant à l’intérieur de sa sollicitude. Ne serait-ce pas discutable ? Une femme, après la naissance, et à la fin de la logique de grossesse, en s’inclinant devant le nouveau milieu qui s’ouvre à l’enfant et qui n’est pas la métastase du milieu dans lequel elle l’a couvé, ne pourrait-elle pas au contraire signifier à cet enfant qu’elle n’a plus d’enveloppe placentaire, que celle-ci ne s’est pas éternisée, ne s’est pas immortalisée, ne s’est pas engagée dans une mutation d’essence cancéreuse afin de retenir au sein d’elle définitivement ? Qu’une femme devenant mère serait à jamais une femme enveloppante, ayant par le biais de son enfant appris à envelopper, et ensuite le père signifiant à l’enfant tire-toi de là c’est moi qui ai le droit de me nicher dans cette enveloppe, ne serait-ce pas aussi un fantasme masculin ? Peut-être les hommes, depuis tous petits, ont-ils mal vu, s’ils ont vu leur mère, et puis les femmes, pourvues de quelque chose, c’est-à-dire de cette enveloppe, de cette puissance enveloppante, plutôt que pourvues de rien ? Peut-être les hommes ont-il du mal à admettre qu’elles n’ont rien...Alors, elles ont, à partir de cette mutation qui les fait mères pour toujours, une enveloppe qui peut renvelopper, une enveloppe immortelle, un continuum qui se transmet de générations en générations de mère en fille. Cette enveloppe, l’enfant croit pouvoir en jouir incestueusement, tant que son immaturité de nouveau-né est prise en charge par la sollicitude maternelle, mais ensuite le père va le virer, va édicter la Loi de l’interdit de l’inceste, via la mère qui va signifier à l’enfant qu’elle préfère envelopper le père, accueillir le père en elle. En somme, il y a une sollicitude maternelle chargée de toute-puissance qui est très dangereuse si elle reste dominante, sans frein, sans limite, mais si le père en détourne la plus grande partie à son profit pour la sexualité, c’est comme un doux poison consommable à dose raisonnable chaque jour par l’enfant à la manière de Mithridate. Mais dans ce raisonnement, la puissance incestueuse d’une mère n’est jamais mise en cause d’elle-même. C’est très curieux. Une mère ne pourrait donc se résoudre à laisser aller hors d’elle, hors de sa sollicitude, que si un père acceptable par elle peut la remplir à la place laissée vide...Une femme serait une enveloppe appelant au remplissage. C’est très fou. Aucune pour dire, désolée tu vois bien que cette enveloppe je ne l’ai pas en permanence, la logique de grossesse n’existe que dans un temps exceptionnel. La fonction maternelle ne pourrait-elle pas être une fonction vide ? Avec cette réalité d’un placenta disparu, d’une enveloppe qui ne s’est pas immortalisée pour imbiber la fonction maternelle par la folie d’une logique de grossesse sans limite, métastasante ? C’est très aliénant pour une femme, cette idée d’une mutation définitive ! Cela n’évoque-t-il pas de manière saisissante la mutation d’une cellule, qui devient immortelle, c’est-à-dire cancéreuse. Là, avec une fonction maternelle s’enracinant dans une logique de grossesse, et une femme devenue mère revenant à ce continuum qui la relie à toutes les mères du passé et à venir, ou plutôt à toutes les matrices enveloppantes du passé et à venir, dans un tout-puissant fantasme d’immortalité aussi bien pour l’enfant qu’elle croit garder dans son ventre que pour elle-même capable de garder au sein d’elle, n’est-ce pas très délirant ? Ne pourrait-on pas laisser advenir une femme qui, au terme du temps régi par la logique de grossesse, n’aurait rien, et qui, vue ainsi, projetterait dans le nouveau milieu, celui de la naissance, le lieu d’accueil, sécurisé à la fois par sa foi en les possibilités époustouflantes et à découvrir de ce nouveau milieu et par le fait que le père lui-même l’investit en étant pour lui-même sevré de ce retour intra-enveloppe sous couvert de sexualité et qui me semble n’être pour l’équilibre de la famille qu’une solution à la Mithridate par rapport à une situation en puissance empoisonnante. Il y a une façon de voir une femme en puissance puis en permanence pourvue d’enveloppe, pour ramener dedans par la fonction maternelle et par la sexualité en concurrence et sur la base de la Loi d’interdit de l’inceste, qui me semble nier qu’à un moment donné, celui de la naissance, cette enveloppe, au lieu de s’immortaliser comme si elle se cancérisait en sein gardant en son sein, se détruit. La logique de grossesse a une fin. Et si, alors, cette fonction maternelle s’appuyait sur autre chose que sur cette logique ? Et si elle s’appuyait au contraire sur la réalité d’un autre milieu, très différent de celui qu’elle offrait en elle, autre milieu présenté justement par le père, et qu’elle accepterait pour elle-même, en fille pas pourvue de quelque chose et admise comme telle par le garçon, et pour l’enfant comme absolument viable et digne de l’apprentissage, des efforts, de la curiosité, du désir qu’il faudra mettre en mouvement pour aller l’habiter ? Mon idée, c’est que c’est l’homme qui piège la femme dans la mère pourvue d’enveloppe, qui la fantasme retenue, mutée dans une logique de grossesse éternelle.

Mais, si vraiment pour une femme devenue mère pour toujours la fonction maternelle s’inspire d’une logique de grossesse, alors c’est évident que, comme l’écrit Aldo Naouri, il faut cette Loi d’interdit de l’inceste martelant qu’il ne faut jamais que puisse s’établir la moindre confusion entre générations, il ne faut pas que l’enfant, quel que soit son sexe, soit placé au même niveau générationnel que ses parents (position qui peut sembler réactionnaire pour la mode des parents-enfants copains, pour des parents se promenant nus devant leurs enfants ou prenant leur bain avec eux, etc....). Aldo Naouri insiste sur le fait qu’il est nécessaire de préserver l’intimité, celle des parents dont la porte de la chambre doit rester fermée à l’enfant, mais aussi l’intimité de l’enfant assez vite. De même l’éducation sexuelle doit rester à minima, sous peine de bloquer la curiosité de l’enfant dans tous les domaines. L’enfant a des problèmes chaque fois que cette Loi de l’interdit de l’inceste, qui résulte en fin de compte de la lutte des fonctions parentales si différentes, n’est pas édictée. Problèmes de santé, ou problèmes psy. C’est ainsi qu’une mère peut s’avérer profondément rejetante pour la viabilité de son enfant hors d’elle, sous une apparence de sollicitude totale, car elle ne l’imagine même pas vivre sans elle, sans ce ventre qu’elle perpétue pour lui, mère mortifère à long terme et semblant vivifiante à court terme.

Bien sûr, Aldo Naouri y insiste, les fonctions parentales spécifiques de chacun des parents sont des processus véhiculés par l’inconscient, non maîtrisables, mais que, par l’écoute, on peut pister au fil de l’histoire familiale et humaine, c’est un héritage par rapport auquel la répétition pure et simple des modèles que peuvent adopter les nouveaux parents, par exemple la nouvelle mère terrifiée à l’idée de mal faire et se mettant frileusement à faire comme sa mère faisait avec elle, n’est pas la meilleure solution pour éviter les complications. Un enfant est toujours pour les deux partenaires une occasion de remettre son histoire sur le métier, dans une tentative de la reprendre en main à travers l’enfant, tenter d’en redresser le cours toujours tordu, ou seulement l’imiter. L’important se joue sur une autre scène. Mais l’enfant ne peut être réparateur d’une histoire que s’il est leur séparateur, dit Naouri. Très curieuse phrase... Autour de l’enfant, se joue un affrontement sans merci de la mère et du père, chacun cherchant à tirer l’enfant du côté de sa propre histoire. Mais, dans cet affrontement, ne s’agirait-il pas pour chacun d’eux, à nouveau en même temps que leur enfant, de se séparer de cette fameuse enveloppe, de certifier encore la coupure du cordon ombilical ? Alors, séparateur en ce sens aussi, l’enfant ?

L’enfant remet en chantier l’histoire de chacun de ses parents, en particulier leurs relations à leur enfance, à leurs parents, et leurs problèmes par rapport à la Loi de l’interdit de l’inceste, parce que son corps est d’une sensibilité aiguë, son système nerveux n’étant pas encore totalement myélinisé. D’où sa capacité à comprendre immédiatement, par son corps, peut-être la qualité du milieu dans lequel il vit, si celui-ci est de nature régressive, insécure, ou bien sécure. Enfant à ne pas réduire au silence par la toute-puissance maternelle. L’enfant doit pouvoir, sans être bâillonné par un maternage envahissant et dénégateur du nouveau milieu différent d’un ventre, dire, par son corps, ses symptômes, ses cris, ce qu’il découvre des qualités du nouveau milieu que ses parents, les premiers, lui ouvrent.

Une femme devient naturellement mère, dit Aldo Naouri, et un homme aspire à être père, mais d’une part c’est la mère qui doit par sa parole le présenter à l’enfant, et d’autre part un père ne pourra jamais devenir vraiment père s’il n’a pas avec lui l’environnement humain. Par exemple, aujourd’hui la fonction maternelle étant devenue envahissante partout, le père n’a plus vraiment l’environnement humain avec lui, alors il n’a plus beaucoup de consistance, avec par exemple pour conséquence une dégradation des mœurs. Les pères d’aujourd’hui ont du mal à se positionner par rapport à des femmes que les progrès de notre société ont fait muter, de sorte qu’elles peuvent en effet apparaître encore plus comme pourvues d’enveloppe, comme pouvant envelopper, comme entre elles attachées au continuum reliant depuis la nuit des temps les mères. Les hommes, devant ces femmes qui n’ont apparemment plus besoin d’eux, qui jouissent dans le gynécée de leur pouvoir et de l’immortalisation de leur ventre dans la société de consommation et de plaisir à portée de mains comme dans le ventre, continuent à les voir pourvues de quelque chose...Ils voient mal...Il y a pourtant une différence sexuelle : en réalité, elles n’ont rien...

Voilà. Comme d’habitude, ce très intéressant livre d’Aldo Naouri, qui excelle à aborder les vraies et dérangeantes questions, m’a aussi permis d’avancer quelques idées...J’espère qu’il ne m’en voudra pas...En tout cas, je ne doute pas que dans cette écriture, il s’engage lui-même entièrement, avec son histoire. Et c’est ça qui est passionnant.

Alice Granger Guitard



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