Jean Lambert, revue Médium N°5, Editions Babylone
lundi 24 octobre 2005 par Alice GrangerPour imprimer
Cet article est publié dans la revue Médium dirigée par Régis Debray et distribuée uniquement par abonnement.
Article qui s’appuie sur le tympan de la basilique Sainte-Madeleine à Vézelay pour analyser les paradoxes de la transmission, entre le transfert et l’hiatus, entre la fidélité et l’invention.
Ma lecture de ce brillant article ne perdra pas de vue que cette basilique est dédiée à Madeleine. Voire à Marie-Madeleine.
D’abord, dans ce tympan, un Christ semble se lever avec puissance d’un minuscule tombeau, « trou fondateur de la mort », « un petit tombeau vaincu dont ressuscite un immense Christ puissant, dynamique, qui piétine la mort. Ce tympan transmet la résurrection en la produisant en acte. » Dans ma lecture, je dirais que ce « petit tombeau vaincu », ce « trou fondateur de la mort », c’est par là que Marie-Madeleine figure dans le tympan. C’est une femme à laquelle tout le monde veut lancer la pierre, une femme dont l’intérieur est dégradé, où il n’est pas possible de rester, elle n’a rien pour retenir en elle. Petit tombeau vaincu. Petite matrice vaincue, trouée. De là la possibilité de la résurrection. De ce « petit tombeau vaincu », qui ne retient pas, il est possible de s’élever avec puissance et d’aller voyager dans la vie. Message en train de se transmettre aux apôtres.
L’article, pas par hasard, évoque tout de suite cette Marie-Madeleine. Jean Lambert décrit les apôtres qui, dans ce tympan, ont les pieds qui reposent sur une mer ondulée, qui est, dit-il, l’eau du chaos avant la création, du déluge, de l’exode, du baptême, et ce sont des pieds qui marchent sur l’eau, encore un symbole de résurrection. Dans ma lecture, j’ajouterais que cette eau ondulée sous les pieds des apôtres est une deuxième présence de Marie-Madeleine dans le tympan. Comme présence très paradoxale. Car, ainsi que l’écrit Jean Lambert, Marie-Madeleine vient au tombeau du Christ pour embaumer son corps qu’elle croit enfermé dans le tombeau. C’est-à-dire qu’elle joue, là, à être une matrice dans laquelle elle garde, même si c’est une matrice dégradée, à laquelle jeter la pierre. C’est une femme, c’est une matrice, c’est un petit tombeau vaincu, alors logiquement elle garde en elle, c’est une chose qui se transmet de générations en générations, ce rôle matriciel des femmes. Alors, elle va embaumer le corps du mort, c’est-à-dire de celui qui revient d’autant plus en elle qu’il n’en serait jamais vraiment sorti tellement ce lieu sacré serait dominant. Elle va au tombeau parce que c’est comme cela depuis toujours. Elle va embaumer un corps. Image à connotation très sexuelle. Ou bien, aussi, très fœtale. Elle va embaumer le corps de liquide amniotique. Une femme, traditionnellement, cela fait ça, cela a le baume pour embaumer, le liquide amniotique dans lequel rester pour toujours. Or, surprise, lorsqu’elle arrive au tombeau, celui-ci est vide, et elle voit, la première, le Christ ressuscité, qui lui donne cette mission, aller annoncer à ses frères la nouvelle. L’eau ondulée sous les pieds des apôtres est l’écriture de cette bonne nouvelle qu’elle leur annonce : sur le baume, sur le liquide amniotique, il est possible de marcher, il est possible de ressusciter. Comment est-ce possible ? C’est possible parce que Marie-Madeleine introduit une invention dans sa fidélité à ce que la tradition propose comme image de la femme. Elle a bien un intérieur matriciel, désirable pour un homme et lieu gestationnel, en cela elle est fidèle au rôle que la tradition lui désigne, mais ce lieu est dégradé, on lui jette la pierre parce qu’elle est une prostituée, elle est une femme qui laisse entrer en elle nombre d’hommes, elle ouvre un hiatus, un trou, elle introduit « un petit tombeau vaincu ».
Là, je voudrais faire un petit clin d’œil à Régis Debray, en disant que Marie-Madeleine, mandatée par le Christ ressuscité pour aller annoncer à ses frères la bonne nouvelle, n’est pas une Dulcinée. Dulcinée, c’est, pour Don Quichotte, la femme qui est digne de se voir dédiée son aventure chevaleresque. Elle est sur un piédestal. Même si, de nos jours, lorsqu’un homme parle de Dulcinée, c’est un peu cavalier...Marie-Madeleine, c’est très différent ! C’est une femme à laquelle on jette la pierre. Son lieu matriciel n’est plus sacré, c’est une femme de rien, et pourtant, c’est ce trou d’où s’élève avec puissance le Christ ressuscité. Et c’est grâce à son onguent, dont elle use non seulement avec le Christ mais aussi avec ses frères, qu’elle fait passer la bonne nouvelle, c’est possible de marcher sur les eaux (amniotiques, matricielles, sexuelles).
Le Christ ressuscité, dans ce tympan, avec de part et d’autre de lui ses douze apôtres qui marchent sur l’eau ondulée, distribue des rayons. A droite, six rayons venus d’un ciel de paix vont vers six apôtres tenant un livre ouvert. A gauche, six rayons venus d’un ciel menaçant vont vers six apôtres tenant un livre fermé. Cela complique, écrit Jean Lambert, la transmission. Le livre doit-il être ouvert, ou fermé ? Ouvert et fermé ? Mais le « tombeau » de Marie-Madeleine n’est-il pas à la fois ouvert et fermé ? Ouvert sur la vie dans laquelle aller voyager, dehors irrémédiablement, et fermé en ce sens qu’il n’est plus possible d’y revenir, c’est un giron qui n’accueille plus « en arrière », qui ne permet plus de dénier l’événement de la naissance ou de la résurrection. Mais, écrit Jean Lambert, ce tympan, en énonçant deux choses contradictoires, le livre fermé et le livre ouvert, la fidélité et l’invention, le transfert et l’hiatus, établit une équivalence entre la résurrection et l’annonce. Il s’agit d’une mission. Une mission...confiée à une femme.... ! Marie-Madeleine ! Lorsque Jean Lambert écrit que « Les apôtres sont ces marcheurs d’outre-tombe ayant traversé la mort », il s’agit d’entendre ce qu’est cette mort, représentée dans ce tympan et dans cette basilique dédiée à Marie-Madeleine . La mort entre dans ce tympan parce que Marie-Madeleine introduit, comme femme, une nouveauté par rapport à ce que sont les femmes selon la tradition, elle est certes un giron, dans lequel revenir, mais c’est un giron infidèle, un giron qui voyage d’un frère à un autre, et par rapport à l’image sacrée des femmes, elle est dégradée, on lui jette la pierre. « Sont apôtres les disciples nés maintenant du livre, du message transmis par Madeleine la première ». Pour une nouvelle vie née.
Dans l’image du tympan, souligne Jean Lambert, il y a « un conflit de livre ouvert à livre fermé, un hiatus de livre achevé à livre en acte, un conflit des usages du livre, contemplé ou travaillé, un conflit interne à la transmission. Vézelay dit clairement que c’est ce conflit qui fait transmission, puisque les douze marcheurs en conflit de clôture et d’ouverture sont exactement homologues au message neuf qu’ils trans-mettent. Leur mission transmet aussi ce message : par ce conflit du clos et de l’ouvert, la transmission sort du texte par effraction et entre dans l’histoire. »
Qu’est-ce que la transmission, alors ? Ne ferait-elle que maintenir ou répéter la fondation en lui restant homologue ? Non, dit Jean Lambert. Car il se produit d’abord une brèche prophétique, un oracle de rupture et d’ouverture, sous les noms orphelins de Moïse, Jésus, Mohammed, pour les trois monothéismes. Moïse est né du fleuve, Jésus est né de la Vierge et Mohammed est orphelin. Le discours prophétique brise avec le livre. Un ensemble clos « court à sa mort si du dehors ne provient pas une invention qui le relance. Alors il déploie une fécondité remarquable en de multiples directions. » Sauf si c’est l’âge des capitulations...
« L’invention qu’apporte le fondateur responsable de la brèche inaugurale, l’oracle ou le prophète qui survient par effraction, relancent pour un temps la fécondité de l’ensemble. Mais bientôt elle se stabilise en institutions, jusqu’à sa prochaine mutation. » Et dans l’article de Jean Lambert, il est question de Joseph en Egypte, qui part de la position la plus basse, celle du berger rejeté, qui, à travers toutes sortes d’épreuves, parvient plus haut que le Pharaon. Joseph a résisté, comme par hasard, à la scène de séduction par Putiphar...
Jean Lambert conclut : la formule de la transmission serait exactement : ‘Ceci est mon corps, c’est-à-dire ceci est...autre chose. »
Article remarquable, à propos duquel j’ai voulu donner un peu plus de relief à Marie-Madeleine...
Alice Granger Guitard
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