samedi 29 octobre 2005 par Meleze
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Gérard de Nerval
I
Je publie ici une petite recherche sur ce poète qui a été faite pour une amie chinoise soucieuse d’une nuance toujours difficile à exprimer lorsqu’on traduit un caractère chinois. Donc cette amie m’avait envoyé un certain caractère dont elle me demandait s’il fallait traduire par " couplet " ou par " souvenir ". Et j’avais répondu :
Malheureusement j'ai perdu le mail ou vous parlez de "couplet" et ou vous confondez le "couplet " et le "souvenir" En fait vous avez raison. Le mot chinois que vous avez indiqué est à la fois un couplet et un souvenir. Mais en français le mot "couplet" est seulement réservé au domaine de la chanson.
J'ai recopié ce passage dans le livre d'un célèbre poète GERARD DE NERVAL (1850)
"Chansons et légendes du Valois"
"Chaque fois que ma pensée se reporte aux _souvenirs_ de cette province du Valois je me rappelle avec ravissement les chants et les récits qui ont bercé mon enfance. La maison de mon oncle était toute pleine des voix mélodieuses, et celles des servantes qui nous avaient suivis à Paris chantaient tous les jours les balades joyeuses de leur jeunesse, dont malheureusement je ne peux citer les airs. J'en ai donné plus haut quelques fragments.
..........
Il est fâcheux que des couplets tels que ceux de la célèbre romance: /si j'étais une hirondelle/, soit abandonnés, pour deux ou trois consonnes singulièrement placées au répertoire chantant des concierges et des cuisinières. Quoi de plus gracieux et de plus poétique pourtant"
"Si j'étais hirondelle
Que je puisse voler
Sur votre sein la
belle
J’irais me reposer"
Chacun des mots soulignés signifie souvenir. Le poète se sent perturbé parce qu’il ne sait pas comment désigner le genre de souvenir d’enfance à la recherche duquel il est.
C’est pourquoi il fait cette fameuse distinction entre ce qui a été écrit (souvenir, ballades, romances) et ce qui a été entendu (couplets, airs, répertoires chantants)
Par le hasard d’une correspondance avec la Chine j’avais ré-ouvert un livre de mon poète préféré, non pas parce que j’en connaissais des pages et des pages par cœur, mais parce que je suis un marcheur, que je connais bien la vallée de l’Oise depuis son confluent avec la Seine jusqu’à Chantilly. Or sur ce parcours cette rivière fait un arc de cercle à peu près parallèle à celui de la Seine, si on veut bien faire abstraction des méandres que cette dernière dessine le long de sa courbe comme pour dénier mon allusion au parallélisme. C’est en marcheur qu’à chaque fois que je traversais cette distance qui sépare les deux fleuves, je montais sur le plateau fait de banlieue, de cultures et de bois, puis que je le franchissais jusqu’à redescendre dans une vallée très souvent couverte par le brouillard.
II
C’est ici qu’intervient Umberto Eco. Car j’avais racheté " Sylvie " et les autres petites histoires qui lui sont accolées, dans une édition plus aimable que celle de la pléiade dont je m’étais contenté jusqu’alors, parce que j’avais entendu Eco à la radio, interviewé par le journaliste de France-Culture Marc Voinchet et que je m’étais amusé qu’un journaliste spécialisé soit moqué dans une interview, bousculé par son vis à vis, parce qu’il n’avait pas lu cette oeuvre de Nerval. Ce petit impair avait fait un silence radio au moment où, Umberto Eco de son coté, avouait qu’il était tombé amoureux de cette histoire à l’age de 20 ans au moment de son premier voyage à Paris, qu’il lui avait consacré une première étude en 1962 puis un séminaire d’une semaine à l’université de Bologne puis différents travaux qui s’étaient étagés de 1984 à 1993 : Un livre qu’on avait pas lu en face d’une sommité qu’il l’avait parcouru comme un livre de chevet, est-ce que ça ne valait pas d’être rapporté ? !
Et que restait-il de mon expérience de marcheur en face de l’œuvre si riche et si multiple de cet italien de génie qui connaît mieux la France que nous-même ? Comment pourrai-je exprimer l’aspect concret de ces brumes qui se forment sans cesse sur le Parisis, et pourquoi je les prenais au pied de la lettre (au premier degré comme on dit aujourd’hui), suivant Nerval qui sortait de l’Opéra puis du café vers 3 h du matin qui avait marché jusqu’au jour où il s’était effondré dans une meule de foin pour redescendre dans les confins de l’Oise le lendemain matin, s’encourageant lui-même à son tour de l’exemple des grenadiers de l’empereur dont son père avait fait partie ? Tandis que Umberto Eco avec toute son intuition de la littérature voyait avec acuité dans la brume, je trouvais bien normal de m’y perdre et d’y éprouver une mauvaise visibilité ?
C’est toujours une petite controverse vivante que ce qu’on distingue dans la brume. Eco a soigneusement revisité les lieux. Il en donne une carte. Il fait de la mauvaise visibilité une analogie avec la mauvaise mémoire de Gérard de Nerval. Je ne lui contesterais pas ce droit. Il conduit son analyse au deuxième degré. Mais il a un point faible.
C’est que par chance " les brumes de Valois " parues chez Grasset à Paris en 2002 sont intégrées dans une collection de poche, pour lui donner de l’audience certes, ce qui m’a permis de l’avoir entre les mains alors qu’il s’agissait auparavant d’une publication savante, mais dans une compilation. Et moi qui croyais que jusqu’à présent une compilation était avant tout une liste de morceaux musicaux, de m’apercevoir, que les éditeurs de livres avaient, les premiers, afin de forcer la publication à des périodes ou les auteurs ne produisent pas assez, entrepris d’anticiper la demande du public en regroupant des morceaux pour des raisons plus ou moins bien expliquées et permettant de créer parfois des confusions considérables. Je déconseillerais en général au lecteur d’Exigence : Littérature de faire confiance à quelques compilations que ce soit mais je dois reconnaître que dans le cas d’Eco il y a quelque chose d’insatisfaisant dans son travail sur " les brumes de Valois " qui s’éclaire au contraire grâce aux autres parties de la compilation, celle sur les fonctions de la littérature et celle sur les symboles.
III
Contre Proust
Umberto Eco poursuit en effet un but qui ne se dégage pas des brumes de son essai sur Sylvie mais qui apparaît nettement au vu de l’ensemble de la compilation. C’est comme s’il sentait combien il est inadmissible en France de ne pas être proustien, combien il est impossible de se faire publier en écrivant contre Proust en tête d’affiche.
A vrai dire ni Umberto Eco ni moi-même ne sommes totalement anti-proustien. Il y a des choses remarquables chez Proust, mais il y aussi une récupération de Gérard de Nerval que Proust a lu, mais qu’il a mal lu en donnant à cette fameuse brume une fonction qui sera celle du " temps perdu " dans la recherche tandis qu’Umberto Eco qui a beaucoup médité sur Sylvie est absolument formel sur le fait que Nerval n’était pas à la recherche du passé qu’il n’a pas écrit sur quelque chose qu’il n’a pas compris mais pour une histoire d'amour mal terminée par la mort de celle qu’il avait aimé.
Et Eco d’ajouter que " dans ce cas Proust n’aurait pas vu Nerval comme un père faible et sans défense à restaurer, mais bien comme un père trop fort à dépasser. Et il aurait consacré sa vie à ce défi ".
La question de Nerval et de Proust, de comment fonctionne la mémoire, et ce que la brume du Valois vient faire dans ce fonctionnement, cette question vous est ouverte ici dans Exigence ; Littérature. Il y a un fil qui court en-dessous de la littérature et tout au long de l’histoire. C’est le fil de la mémoire. Ce fil passe par Proust, mais aussi par Gérard de Nerval et entre autre parce que Proust a lu Gérard de Nerval et qu’il y a vu un précurseur, alors que comme le montre notre petite correspondance avec la Chine, la sensibilité de Nerval à la mémoire va vers la poésie, engendre la musique, musique de la langue ou musique de la chanson, complètement à l’envers de l’espèce d’autobiographie que sera la Recherche.
Proust et après lui Céline vont visiter ces même fins d’Oise, (Céline aussi est un grand marcheur) mais ni l’un ni l’autre ne sont des poètes. Selon cette forme de sensibilité la poésie n’a pas de raison d’être et souvent dans le 20° siècle tragiquement violenté par deux guerres mondiales, on croira que la poésie est définitivement morte. Je dirais que Proust l’écrase de tout son poids et que nos écrivains au lieu de s’instruire de " ces conseil de littérature " compilés par Umberto Eco, se complaisent plus volontiers dans la contemplation du moi, dans l’exposé de leur délectation morose, et par défaut au 20° siècle, ils n’ont pas fait entrer l’histoire dans la littérature comme le trio célèbre de Balzac Stendhal et Flaubert l’avait fait au 19°.
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