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Roman des origines, origine du roman — Marthe Robert
2000 par penvins

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Marthe Robert


Le roman est sans doute le lieu du plus grand des secrets celui que l'on ne peut avouer et que Freud appelait le roman familial des névrosés. De quoi s'agit-il? Marthe Robert - retient que le jeune enfant passe par deux types de scénarios: Celui de l'enfant trouvé qui s'imagine né d'une famille royale puis celui du Bâtard qui relègue le père dans un royaume de fantaisie (l'éloigne, s'en débarrasse...)
Ces deux attitudes se retrouvent dans le genre romanesque et pour Marthe Robert le définissent en tant que tel. Le roman n'a pas de formes fixes déterminées mais un contenu obligé, celui de rendre compte du "roman familial de l'enfance".
Le conte s'arrête au seuil de la chambre conjugale, les personnages y sont anonymes, et figurent d'un côté les méchants, puissants et vieux, et de l'autre les opprimés faibles et jeunes.
Le véritable roman naît avec l'arrivée du bâtard, lorsque sans renoncer à ses visions de paradis, le genre s'éveille aux exigences de la réalité œdipienne. Surgissent alors Don Quichotte et Robinson Crusöé. Don Quichotte prétend s'engendrer lui-même, il se passionne pour les familles fictives (livres de chevaleries) se conduit en Enfant Trouvé (est d'avis que tout lui est dû parce qu'il fait grand bruit de son désintéressement) mais le monde que lui offre Cervantès se moque de lui et le corrige.

On notera au passage qu'il est fort probable que Cervantès ait été juif marrane et donc contraint sous l'Inquisition de cacher son identité " ce qui conduit le romancier non pas exactement à militer pour ses convictions, mais à voir clair tout en restant dans le doute quant à la validité de ses propres choix intellectuels. "

Robinson Crusoé, quant à lui, rompt une fois pour toute avec ses parents qu'il renie retombant ainsi à l'état préœdipien, mais pour la première fois dans un roman la terre du rêve doit être défrichée à l'aide d'outils, de calculs, d'expérience… Après une longue période d'apprentissage (26ans) l'arrivée de Vendredi fait de lui un père et bientôt le possesseur d'une île dont il tire d'énormes profits.
Après ces romans de la bourgeoisie naissante, le genre va évoluer dans le contexte historique napoléonien: Le Père du peuple coupable (du régicide) qui se fabrique une famille de rois et la légitimise en épousant une héritière d'empire légal. Le rêve des bâtards - l'ascension sociale par les femmes - va devenir possible. Balzac se dira l'égal des hommes d'état, il va créer une Comédie Humaine qui doit lui permettre de s'enrichir et de s'anoblir, de se gagner des titres de gloire dans la vie. Et pourtant Balzac, qui n'est pas celui que ses personnages rêvent d'être, reste l'Enfant Trouvé tout puissant qui délaisse les biens dérisoires du rang et de l'argent pour se faire l'égal du Créateur.
Refusant le réalisme Flaubert exprimera sur un autre mode son désir de toute puissance, il rêve d'un roman beau dans ses seuls assemblages formels comme par ailleurs il rejette la bêtise de la chair - voir la scène du fiacre dans Mme Bovary - et les hasards de la naissance (scène primitive). Ainsi se rêve-t-il à la fois homme et femme (il est Emma) abolissant la différenciation sexuelle et recomposant la totalité perdue du Paradis. Mais le Bâtard a aussi sa place dans l'imaginaire de Flaubert qui ne cesse malgré ses idées formalistes d'observer la réalité de façon plus que scrupuleuse de sorte que Marthe Robert dit de son art que " Si l'Enfant Trouvé règne incontestablement sur la phrase, le Bâtard de son côté assume la responsabilité des plans, … " et que le " besoin de tout savoir à fond " accroît son exigence de perfection formelle.
L'ouvrage de Marthe Robert est une formidable invitation à revisiter les classiques du genre romanesque où l'on s'aperçoit qu'en retraçant l'évolution du roman c'est l'évolution de la société qui se lit. En 1972 Marthe Robert relevait que le roman était devenu purement formel, que le Bâtard n'y avait plus son mot à dire, et que seul l'Enfant trouvé y régnait en maître laissant le roman libre de ne dire que le vertige narcissique de sa propre écriture. Quand je vous dis que le roman préfigure l'évolution de la société!

 

Penvins
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Messages

  • Merci, Penvins, pour cet article qui m’a intéressé car j’étudie actuellement l’évolution du roman.
    L’analyse est originale, sous l’oeil de Freud ; il fallait y penser !
    Il est vrai que l’évolution du roman reflète celle de la société ; on assisterait donc actuellement, si j’ai bien compris, à un déséquilibre entre "l’enfant trouvé" et "le batard", ce dernier étant le seul à caractériser le vrai roman de fiction.
    Mais est-ce bien vrai ? Je n’ai pas les compétences requises pour en bien juger, mais j’ai le sentiment que "l’enfant trouvé" a pris une revanche souvent légitime et que le nouvel équilibre qui peut-être se cherche encore dans la plupart des romans, se fera en sa faveur, et sans doute grâce aux femmes.
    Je citerai deux d’entre elles dont l’oeuvre me paraît d’importance : Régine Detambel et Sylvie Germain. Mais il y en a certainement beaucoup d’autres, femmes et hommes qui ne sont pas tombés dans "le vertige narcissique de leur propre écriture" et qui contribuent à une évolution sereine du roman. D.G.

  • Cher Penvins, vous écrivez : "En 1972 Marthe Robert relevait que le roman était devenu purement formel, que le Bâtard n’y avait plus son mot à dire, et que seul l’Enfant trouvé y régnait en maître laissant le roman libre de ne dire que le vertige narcissique de sa propre écriture." C’est une thèse qui m’intéresse, car je vais faire une étude du roman familial dans la littérature contemporaine. J’ai lu le "Roman des origines..." mais je ne me souviens pas de cette idée. Est-ce que vous l’avez trouvée dans le livre de Robert ou vient-elle d’un interview avec l’auteur ? Pourriez-vous me donner la référence ? Merci d’avance pour votre réponse ! L.S.

  • Avez-vous pris connaissance de la critique de Jean-Pierre Goldenstein parue dans Études littéraires en 1973 (disponible sur le site www.erudit.org) ?

    Voir en ligne : http://id.erudit.org/iderudit/500274ar

  • Il faut lire l’essai de Marthe Robert, difficile mais passionnant. La "critique" ci-dessus (ou plutôt le résumé) est très schématique et trahit le propos de manière presque absurde.
    La tentative de Marthe Robert est de faire une lecture psychanalytique du roman à partir d’un texte de Freud qui analyse les deux situations conflictuelles et successives qui construisent le psychisme de l’enfant face au monde adulte et lui permettent de grandir. Ces deux situations se manifestent par deux modes d’histoire qu’il se raconte : celle de "l’enfant trouvé", puis de "l’enfant bâtard".
    Sur ce schéma Marthe Robert tente d’analyser la naissance du roman, forme de littérature moderne et historiquement très récente, et de comprendre comment ces deux modalités successives de la construction de soi peuvent se retrouver dans les grands moments-clés de l’histoire du roman : les romantiques, Defoe, Cervantès, Balzac, Flaubert … Chaque auteur pouvant être plus enclin à construire leur œuvre selon l’un où l’autre mode, sans que cela soit exclusif.
    Le premier mode qui correspond à une négation de l’individuation (je suis un enfant trouvé, mes parents ne sont pas les vrais, mais ils s’occupent de moi comme de vrais parents) serait plus fondateurs de romans "chimériques" (La Tentation de Saint Antoine), le second (je suis un enfant batârd, mon père n’est pas mon père, ma mère est ma mère mais si je veux trouver mon père je dois la quitter et découvrir le monde…) participerait plus des romans constructeurs d’univers rationnels ou "descriptifs" (Madame Bovary) - je choisis ces deux titre d’un même auteur pour bien montrer qu’il n’y a pas, dans l’esprit de M. Robert, de distinction totalement tranchée entre deux types d’œuvres et qu’un même auteur, en faisant inconsciemment appel à deux moments de son parcours originel, peut produire deux types d’œuvre.
    Il n’y a pas non plus dans l’esprit de M. Robert de hiérarchie à faire entre ces deux types de roman.
    Son essai est un classique et tout thésard ou étudiant en maitrise devrait l’avoir lu avec attention, plutôt que s’en remettre simplement à des résumés hatifs sur internet… cela ne peut que provoquer de graves désillusions. D’autant que c’est un travail difficile et qu’il faut le travailler avec attention.

  • Cher Penvins, vous écrivez : "En 1972 Marthe Robert relevait que le roman était devenu purement formel, que le Bâtard n’y avait plus son mot à dire, et que seul l’Enfant trouvé y régnait en maître laissant le roman libre de ne dire que le vertige narcissique de sa propre écriture." C’est une thèse qui m’intéresse, car je vais faire une étude du roman familial dans la littérature contemporaine. J’ai lu le "Roman des origines..." mais je ne me souviens pas de cette idée. Est-ce que vous l’avez trouvée dans le livre de Robert ou vient-elle d’un interview avec l’auteur ? Pourriez-vous me donner la référence ? Merci d’avance pour votre réponse ! L.S.

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