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L’eau de la liane

Munkonda Mbuluku Mikiele, Editions NZE, 2005

dimanche 12 mars 2006 par Alice Granger

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La figure de la mère est centrale dans ce roman. D’ailleurs, c’est à elle que ce texte est dédié. Cela donne une certaine teinte candide, mais toujours, et surtout à la fin, la réalité souvent sanglante vient chambouler un idéal qui semblait pouvoir se réaliser sous l’impulsion d’un couple fondateur et d’une mère passionnément attachée aux projets de sa dynastie.

La mère du héros principal Mikiele, à laquelle il voue une sorte de confiance sans bornes pour son pouvoir d’enfanter à nouveau un pays prospère dans lequel il fera bon vivre, une sorte de paradis retrouvé, symbolise la viabilité de ce pays d’Afrique Centrale en train d’accéder à la démocratie. Au début du roman, nous sentons Mikiele y croire, il écrit avec les yeux d’un garçon qui voit sa mère toute-puissante par le simple fait qu’elle est investie d’une mission qui lui vient de sa lignée. Pèse sur elle toute la force des projets et des paroles des ancêtres à propos du pays qu’ils voulaient construire. Elle a perdu sa mère : belle métaphore pour dire aussi l’état du pays à l’heure de la décolonisation. Mais son père lui a donné à boire l’eau de la liane. Et l’écrivain lui a donné l’eau des espoirs que, tel un enfant, il met dans sa mère, comme si elle était encore capable de tout régénérer. Le père de sa mère lui donnant à boire l’eau de la liane, tel un lait coulant dans une certitude d’éternité pour ses enfants, pour leur mère l’Afrique, c’est aussi celui qui écrit, et qui boit la certitude que tout se rétablira. Il voit tout à travers une image maternelle de la vie. L’Afrique, par-delà les vicissitudes, les violences, les haines, restera comme une mère, même si elle se présente comme une petite fille ayant perdu sa mère. La construction de l’histoire de ce roman est remplie de ça.

Bien installé dans sa croyance, dans sa certitude que tout sera régénéré comme si le pays était le ventre accueillant d’une mère ayant une passion politique matricielle, Mikiele s’envole, confiant, vers Mputu, c’est-à-dire vers un pays occidental, où, pendant douze ans, il va étudier, et nouer une histoire d’amour avec une femme blanche, Maïcha. C’est évident que cet Occident, et cette femme blanche qui réitère et régénère une image de la mère toute-puissante, est l’eau de la liane que le jeune homme, le jeune Africain, boit. Il boit des rêves, des fantasmes. Il imagine le pays africain en train de s’organiser sur le chemin de l’indépendance non seulement à l’image d’un pays occidental, mais « aimé » de celui-ci. Bravant les préjugés, les barrages de toutes sortes, telle cette Maïcha affirmant envers et contre tout son amour pour cet homme à la peau noire, il y aurait un Occident amoureux de cette Afrique, qui la nourrirait en son sein, qui voudrait sceller une alliance entre deux civilisations à la manière d’un couple presque impossible. L’auteur imagine le pays africain comme un jeune homme à la peau noire pour lequel une femme occidentale éprouve une passion qui lui donne la force de braver son milieu, sa culture. Il imagine, symboliquement, que sa mère retrouvée, son eau de la liane, pour que son pays s’organise dans son nouveau destin, c’est l’Occident et ses idées.
Mais c’est très chaotique. La réalité est toujours différente. Maïcha ne veut pas se marier avec lui. Il s’éternise en Occident, refuse la jeune femme noire que sa mère lui a choisi. Maïcha s’éloigne, comme les fantasmes ne se réalisent jamais, et l’avion qui ramène Mikiele dans le pays qui va s’avérer autre que celui qu’il pensait que sa mère avait construit sombre dans la mer. Il est le seul survivant. Tout cela est très fantasmatique. Rien n’est comme cela aurait dû être, le pays que sa mère a construit et dirigé n’est pas comme un ventre accueillant, sa mère est morte et le pouvoir est aux mains de son frère aîné, un dictateur sanguinaire. La vie de Mikiele est en danger. Danger de tomber du haut de ses rêves...

Mais la fantaisie quasiment onirique rebondit, s’éternise, comme une hydre qui repousse sans cesse. Cela semble s’arranger. De péripéties en péripéties, juste avant d’être assassiné le frère dictateur remet le pouvoir entre les mains démocrates de Mikiele, qui, bien entendu, veut le bien de tous, et organiser le pays à l’image d’un pays démocratique...occidental. Il a emmené avec lui son eau de la liane, ses idées, même s’il n’a jamais pu soutenir sa thèse et que sa tonne de documents a sombré dans la mer avec l’avion... On reste dans l’onirisme.

Alors bien sûr, cette Afrique qu’il imagine, parce qu’au fil de l’écriture le narrateur intègre peu à peu le fait que les fantasmes ne se réalisent pas, elle va être symbolisée par Lola, la jeune femme africaine dégradée, qui a des aventures avec tout le monde après avoir eu un Pygmalion qui l’a ensuite laissée. Lola est une métaphore de l’Afrique que l’écrivain croit pouvoir présenter comme intacte, riche de lendemains régénérés et indépendants simplement parce qu’un homme aurait cru pouvoir avec des idées la prendre en mains et en faire la belle chose qu’il voulait, et qui s’avère aller avec tout le monde pour survivre. Mais, rêvant toujours, le narrateur se donne le pouvoir de régénérer Lola. Il fait l’homme qui est puissant, alors qu’il ne l’est pas, car il ne peut l’être avec de belles idées.

Mikiele ne peut se satisfaire de cette Afrique, dans lequel il s’imagine chef d’Etat idéal, bon avec tout le monde, et ayant introduit la démocratie, son pays c’est comme sa femme Lola redevenue sans tache, « blanchie » de ses péchés, et pourtant son amour occidental revient en force. Son amour occidental représente un absolu, c’est comme un inoubliable et insevré amour pour la mère dans lequel il peut passivement se laisser aller, blanc de toute lézardes alors qu’avec Lola ce sont des lézardes qu’il a eu le pouvoir de colmater, c’est lui qui est actif, il oscille entre une position passive et une position active mais c’est la position passive, infantile, qui domine et aussi nourrit l’autre. Maïcha va venir en Afrique, sera la deuxième épouse de Mikiele. L’idéal et la réalité vont cohabiter d’abord dans une fausse harmonie. Jusqu’au réveil sanglant. Elles vont s’étriper, chacune se disputant le mari commun, qui se tait puis va dormir seul. Une troisième femme, Awa, la veuve du frère aîné, éperdue d’amour pour Mikiele, tue ses deux femmes, la noire et la blanche, elle éventre en quelque sorte le fantasme qui est à l’œuvre dans ce roman, celui d’un retour au sein de la mère africaine. Awa, symbolisant l’Afrique avide de faire l’amour avec l’homme qui n’a pas cessé de l’imaginer régénérée dans l’indépendance, ne verra pas ses souhaits se réaliser, et elle devra s’éloigner pour toujours, rejetée. Mikiele reste seul, il n’a plus aucune certitude, il s’envole déjà avec ses rêves disparus.

Ce roman tout en dialogue, dans lequel on entend bien la langue africaine, est très vivant, mouvementé comme une rêverie qui se prolonge. Il met en scène peut-être l’Africain d’aujourd’hui, s’attardant à boire l’eau de la liane onirique, jusqu’à ouvrir les yeux sur une réalité incertaine, et les débris de quelque chose d’irréalisable parce que envisagé d’un point de vue infantile. En ce sens, ce roman est réussi, dont l’épilogue est la victoire d’une réalité qui ne se laisse pas façonner par un idéal. Il y a toute la naïveté de la croyance à une tranquille cohabitation entre une Noire et une Blanche qui éclate de manière sanglante, par exemple. L’auteur ne nous raconte-t-il pas un sevrage personnel ? L’Occident, dans ces pages, n’est-il pas encore compris comme la possibilité de croire à une version maternelle de la vie, comme si un pays était une matrice, et que son modèle était Mputu ? A la fin du roman, il y a un effacement du pays cru être une matrice retrouvée à l’image d’un Occident également pris pour un ventre accueillant. Reste, non écrite encore, une lecture toute nouvelle de ce qu’est un pays, alors.

Alice Granger Guitard



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