dimanche 20 août 2006 par penvins
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Voilà un ouvrage bien dérangeant, par son titre tout d’abord, par son sujet ensuite. De quoi s’agit-il ? Apparemment d’une histoire de couple qui ferait penser aux dessins de Dubout, un petit homme et une grosse dame. Histoire que l’on croit tout d’abord être une grosse farce, à l’image même des dessins humoristiques, avec des personnages aux noms irréels Humilus, Germinie, Spartacus, Naïve, Sexavant, Pipineux... et qui se révèle bientôt beaucoup plus grave, à mesure que l’on comprend l’ampleur de la lâcheté du héros qui ne réagit même pas lorsque, le jour de son mariage, il surprend sa femme la main de Spartacus entre les cuisses.
Germinie est une grosse femme qu’il a connue à Vichy où il était auxiliaire à l’office des Atermoiements !, lui Humilus a un corps de petit bourgeois d’un temps où le sport n’était pas obligatoire, et le nombril proéminent !
Evidemment les prénoms ne sont pas donnés au hasard. On est en 1958 lorsque Roger Rabiniaux finit d’écrire cet ouvrage, le petit homme humble et la grosse dame au prénom germanisant rappelle un temps d’humiliation qui n’est pas si loin. On pourra y lire l’histoire de la lâcheté française, mais on peut aussi prendre au pied de la lettre la dédicace Aux femmes-pieuvres et aux hommes-proies. Comme un hommage rendu.
Rabiniaux n’a pas encore trouvé son biographe - avis aux amateurs, il y a là un travail à faire qui ne manquerait certainement pas d’être très intéressant et qui mettrait en valeur une œuvre tout à fait à part. Il semble avoir donné de lui-même dans ce roman, on sait qu’il est passé par Vichy puis qu’il est devenu Résistant, ce thème de la lâcheté est chez lui un thème récurrent, mais en même temps il tente souvent de faire la part des choses et de montrer la minceur de la frontière entre héroïsme et lâcheté. On lira avec profit La bataille de Saumur qui montre bien la complexité des réactions des français face à l’occupation allemande. (Le livre est épuisé mais on le trouve très facilement en occasion.) Ici au contraire il n’y a que lâcheté. Humilus quoi qu’il fasse ne parvient pas à se défaire de la toile d’araignée dans laquelle il est allé se prendre et c’est ce qui rend ce livre à la fois drôle et tragique.
On y lira bien entendu le drame d’un homme attaché à une femme possessive. Femme qui n’a pas eu d’enfant et qui refuse que son petit mari devienne un homme, lui niant tous désirs autres que ceux qui satisfont les siens. On y trouvera peut-être aussi une réponse à cette impossibilité d’être abject. Qu’est-ce qui fait du peuple français un peuple incapable de se défendre face à un ennemi qui a envahi tout son univers, ne lui laissant même pas la tranquillité des endroits les plus secrets :
Elle guette le froissement du papier, la chasse d’eau. A la fin je sors, que feriez-vous donc à ma place ?
Elle est heureuse, elle a gagné, elle m’a volé cet instant de liberté sordide.
Traité sous le ton de la gaudriole, la question bien entendu est grave et l’on ne peut y donner une réponse simple. Le coupable ce n’est pas forcément le bourreau, c’est aussi la victime. Pas seulement la grosse Bertha, aussi le petit fonctionnaire qui se laisse humilier et qui jouis de son humiliation, en redemande toujours un peu plus parce qu’il a peur, peur de la vraie chair, qu’il la considère comme une honte, honte dont il se repaît.
Parce que le nœud qui retient prisonnier c’est cette gluante morale qui refuse de tuer l’ennemi, qui vient du fond de l’âme humaine et dont ne peut se défaire pas même pour sortir de l’esclavage, c’est ce respect de la vie et des êtres, une sorte de mystique instinctive, de morale diffuse.
Quand on est à ce point prisonnier de l’ennemi il n’y a d’autre solution que de tuer dit explicitement Rabiniaux et qui n’en est pas capable restera éternellement dans la toile d’araignée. On voit donc que l’on peut lire ce livre comme l’écriture de ce qui retient de devenir Résistant, une expérience certainement très concrète qui nous est livrée sur le ton de l’humour mais qui renvoie à une réalité sans doute plus intime encore qu’il n’y paraît à la première lecture.
Penvins
Le 20/08/2006
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