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De chair et d’âme

Boris Cyrulnik, Editions Odile Jacob, 2006

lundi 19 mars 2007 par Alice Granger

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Suivons pas à pas, par des citations, les formidables éclairages que nous offre le livre de ce brillant neuropsychiatre qui conduit son investigation entre l’imagerie fonctionnelle cérébrale des neuroradiologues et l’écoute des comportements des humains (et des animaux) en fonction de leur histoire, de leur environnement, et de leurs déterminants biologiques, qui « allument » des zones précises dans le cerveau et font sécréter des neurotransmetteurs spécifiques .

« ...un homme sans âme n’est pas plus concevable qu’une âme sans corps ». Dès les premiers moments de la vie, il y a une interaction incessante entre le cerveau et le milieu, celui-ci laissant dès le commencement et à chaque instant des empreintes, des circuits dans le cerveau, ceux-ci intervenant à leur tour dans le traitement des informations venant du milieu. Corps et âme, toujours. Mais soulignons que le mot de Cyrulnik, dans le titre, est différent : chair, plutôt que corps...Très curieusement, alors que le mot chair s’impose dans le titre, jamais dans le texte il n’est question de la différence entre chair et corps, ces deux mots. On a l’impression que ce corps, dont il est question dans le texte, devient dans le titre la chair...Le corps serait-il la chair ?...Le corps peut-il s’échapper de la chair ?...Qu’est-ce que cette chair, qui semble pour Boris Cyrulnik si puissante qu’elle s’impose ainsi dans le titre, alors que dans le texte nous avons l’impression qu’il s’agit de corps ?

« Les chemins de la vie se situent sur une crête étroite, entre toutes les formes de vulnérabilité, génétiques, développementales, historiques et culturelles. Cette maîtrise des vulnérabilités ne parle pas de résilience puisque par définition, pour résilier un malheur passé, il faut justement avoir été vulnéré, blessé, traumatisé, effracté, déchiré, avoir subi ces mots qui traduisent le verbe grec ‘titrôskô’ (traumatisme). On peut aussi découvrir en soi et autour de soi quelques moyens de revenir à la vie et de reprendre un développement, tout en gardant la blessure dans sa mémoire. Là, on parlera de résilience. ». Tout de suite, Boris Cyrulnik établit une différence entre ce traumatisme qu’est la naissance, et ce traumatisme définitif qu’ont subi ceux qu’il nomme des résilients, ceux qui ont pu reprendre un développement par-delà ce traumatisme mais restent marqués à jamais. Et là, je sens ma colère monter. Tant pis si, cette fois encore, Cyrulnik fera silence sur cette « Note de lecture », alors qu’après ma première « Note de lecture », qui le caressait dans le sens du poil, il m’avait adressé une si gentille lettre...A la naissance, chaque petit humain, sans exception, se sépare d’un milieu et en retrouve un autre, très différent. Et ce n’est pas sa mère, de préférence biologique, qui peut y changer quelque chose, même par son odeur, même par son enveloppe sensorielle dans laquelle elle pourrait remettre son bébé comme si c’était un placenta qu’elle aurait réussi à immortaliser et à métastaser. A ce propos, Cyrulnik semble nous proposer une figure de mère encore propriétaire d’une enveloppe placentaire dans laquelle elle pourrait remettre son enfant tout heureux de retrouver l’odeur qu’il connaît, et les pauvres vilains petits canards qui n’ont pas eu cette enveloppe sensorielle les réenveloppants seront des fantômes qui, s’ils trouvent un remplacement de cette enveloppe sensorielle maternelle, pourront reprendre leur développement, mais comme des résilients dont on imagine qu’ils en ont eu de la chance d’avoir eu une enveloppe sensorielle de rechange leur ayant donné la possibilité d’un attachement sécure, et vous voyez les bénéfices secondaires pour une si généreuse figure...Mais ne peut-on pas considérer que ces êtres traumatisés qui s’en sortent pourtant n’ont pu le faire que parce qu’ils avaient une sensation plus vive de la certitude du changement de milieu opéré avec la naissance, et que ce nouveau milieu, oxymorique par excellence, était une autre mère, un autre accueil, sans jamais qu’une « bonne » enveloppe sensorielle, munie de la même odeur que dans la matrice, ne vienne court-circuiter les nouvelles odeurs, les nouvelles sensations, les couleurs, les déséquilibres qui forcent le corps et le cerveau à l’apprentissage du rétablissement de l’équilibre ? Tout ne dépend-il pas de la façon dont le petit être qui vient de vivre son traumatisme de la séparation définitive est accueilli ? Il peut être accueilli par la « bonne » mère, celle qui l’enveloppe de son odeur, de connu qui se présente donc comme dominant par rapport aux odeurs inconnues, aux sensations oxymoriques, et le reste sera dangereux, voire mortel, sans elle, et sa métastasique enveloppe capable de combler de bonheur la petite « chair » souffrant de manque ? Ou bien il peut être accueilli par la communauté humaine d’autres, dehors irrémédiablement, dont la mère fait partie, mais comme autre elle-aussi, et là, c’est une autre certitude, sur la base de l’acceptation, par la mère biologique, de la perte de l’enveloppe qui avait poussé en elle pour accueillir l’être renouvelant l’espèce humaine. Le petit être humain naît pour répondre à un désir de renouvellement issu de la communauté humaine que la structure parentale représente, et c’est un enveloppement par un nouveau milieu, fait d’autres humains déjà là, qui va accueillir son nouveau membre. C’est une perspective très différente de celle qui met en avant un féroce fantasme maternel, très à la mode dans nôtre société...Ceux que Boris Cyrulnik nomme des résilients ne devraient-ils pas la possibilité de vivre par-delà leur traumatisme donnant encore plus de caractère irrémédiable au traumatisme originaire de la naissance à la certitude de ce nouveau milieu, certitude arrachant à la figure de la « bonne » mère satisfaisant si bien la « chair » de son petit son pouvoir et par conséquent les bénéfices secondaires attachés ? L’attachement sécure dont, à juste titre, Boris Cyrulnik souligne que c’est la condition pour bien s’aventurer dans la vie, n’est-il pas lié à la sensation de la certitude que le milieu formé par la communauté humaine a bien désiré la venue de l’être renouvelant cette communauté ? A propos d’odeur, il fut un temps où, dans certains milieux favorisés, les bébés étaient nourris et élevés par des nourrices, non pas par la mère biologique, étaient-ils pour autant des résilients puisqu’ils n’avaient pas retrouvé l’odeur intra-utérine de leur mère, ni le son de sa voix ? La certitude du désir de la communauté humaine, représentée par un certain nombre d’humains évoluant autour du berceau, à l’endroit du petit nouveau être reconnu comme étant du nombre ne peut-elle pas constituer un attachement sécure, dès lors que le discours ambiant le reconnaît, donc ne met plus en avant une figure dominante maternelle et sa sacro-sainte odeur ? Les autres sensations, non seulement les odeurs, mais les couleurs, les gestes, les saveurs, les sons différents, les mots, ne pourraient-ils pas de même être de merveilleux oxymores pour le nouveau-né, une autre sorte de lait ? Dante déjà ne s’était-il pas aperçu que de la panthère parfumée il ne restait que l’odeur, et pas de possibilité de formation métastasique de la panthère vorace matricielle ? Dante évoquait un petit humain ne buvant pas de lait maternel ... Bon, voilà, je ne manquerai pas de passer pour un très vilain petit canard aux yeux de Boris Cyrulnik ! Mais que voulez-vous, pour moi un petit humain a dès le premier jour une importance collective, et pas seulement pour une « bonne » mère à l’odeur renveloppante...

« L’histoire de la mère attribue une signification particulière aux traits de tempérament. On peut dire que l’enveloppe de signifiants qui tutorise les développements biologiques de l’enfant trouve ses raisons d’être dans l’histoire de la mère... ». La voilà donc, cette mère au pouvoir exorbitant ! Cette mère qui tutorise les développements biologiques de l’enfant, et donc aussi capable, si elle va mal, d’imprimer sur son enfant un traumatisme qui fera de lui, dans le meilleur des cas, un résilient, s’il a la chance de trouver sur son chemin une figure généreuse et palliative, laquelle on peut le calculer aura des retombées substantielles pour sa bonne action...

« Le déterminant biologique n’a pas empêché le milieu de marquer son empreinte et d’orienter l’acquisition d’un style affectif. ». Quel pouvoir a ce « nouveau » milieu...à condition que l’ancien, le matriciel, ne prétende pas, dans un discours dominant, totalement mettre à sa botte le nouveau, comme si le régime matriciel, et son idéal « tout baigne » devait être à jamais... !

« ...on a sous-estimé la génétique au nom d’un combat idéologique....Et l’on a tout autant sous-estimé l’importance de l’environnement qui marque son empreinte dans la matière cérébrale et façonne sa manière de percevoir le monde. »

« L’appauvrissement du milieu, à cause de la souffrance maternelle ou de la défaillance culturelle, explique une partie des atrophies fronto-limbiques. Ces enfants en situation de carence affective sont privés de stimulations biologiques initiales » qui provoquent la création de contacts dendritiques entre les cellules nerveuses à une vitesse folle les premières années de la vie. » Je pense que reste encore une révolution à faire pour que chaque nouvel être humain soit désiré dans une importance collective, et qu’alors c’est au nom de la communauté humaine que les parents désirent l’enfant.

« Une troisième cause de ces atrophies localisées provient des molécules du stress que sécrète l’enfant sous l’effet des conditions environnementales et qui font éclater le corps cellulaire des neurones. » Ne pouvons-nous pas en effet traiter ces situations de stress en élargissant au nouveau milieu la responsabilité du renouvellement de l’espèce, au lieu que tout cela reste confiné dans des cellules familiales stressées par quelque chose qui les déborde souvent ?

« Ces notions récentes de neurobiologie démontrent que l’idéologie, l’histoire des idées et les croyances pittoresques ne sont pas étrangères à la manière dont nous construisons nos connaissances. La poussée des neurones (au sens végétal), la connexion des corps cellulaires, l’arborisation des dendrites, le modelage des synapses, tout ce câblage électrique et chimique est le résultat de la rencontre entre un point de départ génétique qui donne le cerveau et un bain sensoriel organisé par les comportements parentaux. Or ces gestes et ces rituels qui entourent le nourrisson et structurent une partie de son cerveau trouvent leur raison d’être dans l’histoire parentale et les règles culturelles. » A souligner, encore, l’importance capitale de ce bain sensoriel ! Qui n’est pas une métaphore du bain amniotique ! La mère ne peut croire en être propriétaire, en avoir la maîtrise, mais au contraire se sentir infiniment soulagée d’un fardeau exorbitant en abandonnant au milieu de l’extérieur, dont elle est une partie, le nouveau membre de la communauté humaine dont il est certain qu’elle désire qu’il vive.

A l’adolescence, « ce qui façonne le cerveau, ce n’est plus la mère, c’est l’aventure sexuelle ». Donc, pour Cyrulnik, répétons-le, avant, c’est la mère qui façonne le cerveau ! ! !Quel pouvoir il donne à la mère ! Et à la chair dont elle sait faire le bonheur dans tant de souffrance par la faute de la séparation originaire !

« C’est donc bien l’environnement qui pétrit la masse cérébrale et donne forme à ce qui, sans lui, ne serait qu’un amas informe, non circuité. »

A propos des petits transporteurs de sérotonine et des gros transporteurs de sérotonine (déterminés génétiquement ?) « on peut faire l’hypothèse qu’un gros transporteur de sérotonine, ce neurotransmetteur qui possède un effet antidépresseur, sera moins altéré par une carence du milieu. » ... « la neuromodulation est une variante de la plasticité cérébrale des jeunes années.. »... « ...il es possible qu’une anomalie génétiquement codée puisse ne pas s’exprimer, si d’autres gènes introduisent une sécrétion de substances protectrices. »

« L’inégal transport de sérotonine pourrait-il expliquer la diversité des réactions comportementales et affectives constatées chez nos enfants abandonnés ? » « Le transport de la sérotonine, antidépresseur naturel, est-il suffisant pour expliquer ces réactions et évolutions parfois opposées ? » « ...certains enfants parvenaient à se sécuriser grâce à des activités routinières. D’autres, au contraire, recherchaient des situations intenses auxquelles ils se coltinaient. »

« le mot ‘vulnérable’ choisi pour désigner la découverte génétique du ‘court-5-HTT’, petit transporteur de sérotonine, est un mot piégé. Le choix de ce mot entraîne une idéologie implicite de la domination qui prétend que les êtres vivants à faible sérotonine seraient voués à l’infériorité, alors que les gros transporteurs seraient destinés à devenir des chefs. »

« Chez les humains, ces aptitudes biologiques peuvent être remaniées par les structures sociales. » « Leurs marqueurs biologiques de stress sont en alerte parce que l’éloignement du milieu familier les a plongés dans un milieu inconnu qui les inquiète au point de désorganiser la sécrétion de substances comme le cortisol et les cathécholamines. » « La conjugaison de données génétiques, émotionnelles et sociales empêche de parler d’un gène de la vulnérabilité, d’un gène du chef ou d’un gène de la résilience. » « Tout cela veut dire qu’un déterminant génétique, même puissant, n’est pas forcément prédicteur de pathologie biologique ou psychologique puisque l’articulation des gènes entre eux, puis avec le milieu écologique, puis avec les circonstances de l’existence prend des formes variables de résilience ou d’aggravation. »

« Le goût du monde n’est pas le même selon l’hémisphère qui traite la manière d’être : lucide et peu affectif pour l’hémisphère gauche, celui qui parle ; facile à émouvoir et même à déprimer pour l’hémisphère droit, celui qui ressent. » Tout cela vérifié lors de lésions au cerveau.

« Les dosages neurobiologiques révèlent que le simple fait des retrouvailles entraîne, chez un enfant auparavant isolé, une décharge d’opioïdes dont les circuits limbiques et la face inférieure du lobe frontal sont les récepteurs privilégiés. » Donc, le milieu extérieur étant infiniment renouvelable, rien ne reste figé, et alors toujours l’espoir... !

« ...ce n’est pas une tumeur ou une lésion qui altère leur cerveau des émotions, c’est l’histoire parentale qui, troublant le parent, trouble le développement organique de son enfant. ». Nous sommes dans une société donnant un pouvoir terrible, et terriblement discriminatoire, au milieu... d’origine, ce milieu étant indexé sur le milieu matriciel ! Or, pourquoi le milieu extérieur, puisqu’il a tant d’impact sur le cerveau, ne pourrait-il pas être exploité avec infiniment plus de générosité et d’ouverture pour donner de réelles et égales chances aux membres humains ? On en revient toujours à la même question : pourquoi chaque être humain, sans exception, est-il si peu accueilli comme un membre sacré renouvelant l’espèce, avec une vitale importance collective ? L’attachement sécure le moins pathologique ne serait-il celui se fondant sur le désir de la communauté humaine de se renouveler, d’avoir par un nouveau membre s’ajoutant au nombre l’assurance d’une immortalité ?

« Les séparations maternelles inévitables et nécessaires peuvent devenir toxiques quand elles provoquent une inondation de corticoïdes. » « Une mère stressée communique à ses filles une aptitude à réagir par des émotions intenses aux événements de la vie. » « Les petits nés d’une mère sécure sécrètent beaucoup d’hormone de croissance... » « Quand le petit sécrète trop de cortisol et pas assez d’hormone de croissance parce que sa mère va mal, des altérations cérébrales, comportementales et morphologiques s’ensuivent. » « ...il n’est peut-être pas sain de fuir le malheur pour se jeter dans les bras du bonheur. Nos contraintes neurologiques nous poussent plutôt à organiser un rythme, une pulsation, une respiration où nous cherchons à alterner le bonheur et le malheur. » « Un milieu où il n’y aurait que du bonheur mènerait au sentiment de vide, de non-bonheur. » C’est ainsi que des êtres humains peuvent faire des cancers, des infarctus, des maladies, parce que dans leur milieu quelque chose les stresse, ou ne répond pas au doigt et à l’œil, ne résout jamais le malentendu.

« Les organismes humains n’échappent pas aux déterminismes biologiques. Mais la possibilité de créer un monde de représentations leur permet de remanier le monde qu’ils perçoivent, de l’améliorer, de l’aggraver, d’en faire une bénédiction ou une malédiction. » « ...c’est toujours le cerveau qui sert de trait d’union entre les perceptions biologiques et les représentations mentales. »

« Dans les états de détresse provoquée par une perte affective réelle ou par la représentation de cette perte, on note une chute des lymphocytes et une production d’anticorps qui expliquent l’allergie si fréquente dans ces cas. » « Beaucoup de maladies cardiaques apparaissent lors des mois qui suivent cette perte. On constate aussi un pic de cancers, de diabètes et de maladies pulmonaires. » « L’immunodépression, attribuée au stress et au chagrin, défend moins l’organisme conte les infections." « La détresse est récupérable quand le milieu réorganise des stimulations sensorielles. »

« ...la plasticité des empreintes est si grande qu’il suffit de changer l’environnement du petit pour tutoriser des développements plus agréables. En cas de malheur, un attachement sécure aura une forte probabilité de résilience, puisque avant la blessure le petit a déjà acquis une capacité à transformer tout adulte en bonne mère. » « C’est vraiment une rencontre qui permet une reprise évolutive résiliante, une transaction affective entre ce qu’est l’enfant après la blessure et ce que disposent autour de lui sa famille et sa culture. »

« Vers l’âge de quatre ans, la plupart des enfants acquièrent une nouvelle manière d’agencer ce qu’ils perçoivent afin d’en faire une idée du monde. L’enfant s’explique à lui-même que les autres répondent à leur propre monde de croyances, d’intentions et de désirs. Pour comprendre le monde, il ne suffit plus de percevoir ce qui est, il faut aussi deviner ce qui se passe dans l’invisible monde mental des autres. » Question de l’enfant qui accède à la théorie de l’esprit. « La capacité acquise à attribuer aux autres une croyance, une pensée ou une intention organise aussi le style relationnel de l’enfant. » « L’absence d’adultes, leur mort, leur maladie, leur dépression ou leur personnalité distante, en appauvrissant le milieu sensoriel, avaient ralenti le développement de l’empathie des enfants. » « ...un potentiel génétique est constamment pétri par les pressions du milieu sensoriel, affectif, et même culturel. » Il ne s’agit pas, bien sûr, d’enlever le rôle des parents, mais plutôt d’enrichir le milieu sensoriel qu’ils ouvrent à leurs enfants de ce que pourrait offrir le milieu de la communauté humaine assurée de sa continuation, ce qui déchargerait ces parents d’un...stress obsédant et d’un rôle sacrificiel...L’origine du désir d’enfant se situerait logiquement dans la communauté humaine. Et l’organisation pourrait être bien différente...

« La réponse comportementale dont la mère enveloppe l’enfant trouve son origine dans son histoire avec sa propre mère. Il s’agit plutôt de récits-miroirs que de neurones-miroirs. »

« La fulgurante mais inhabituelle expression faciale permet au poète (Aimée Césaire) d’attribuer à l’autre des pensées et des croyances. » « Nos neurones-miroirs entrent en résonance avec le geste de l’autre qui nous touche. » « Mais cet autre doit être signifiant. »

« Quand le nouveau-né pleure, il provoque une émotion dans le monde de l’adulte qui peut réagir par un sentiment tendre de plaisir à l’idée de secourir le petit, ou par un agacement, selon sa propre histoire et son état d’esprit. »

« ...un énorme problème psychoaffectif : on ne peut pas dire que, pour augmenter l’attachement du petit, il suffit de satisfaire ses besoins. Au contraire même, c’est l’apaisement d’une souffrance qui augmente l’attachement et non pas la satisfaction d’un plaisir. Ce qui revient à dire que, pour éprouver le bonheur d’aimer, il faut auparavant avoir souffert d’une perte affective. ...Un être vivant qui ne souffrirait ne de douleur physique ni du chagrin d’un manque n’aurait aucune raison de s’attacher ! ...Par bonheur, un bébé humain souffre dès sa naissance. Quand il quitte l’eau du milieu amniotique qui était chauffé à 37° C, il a froid, il sèche, il est brutalisé par la nouvelle sensorialité qui l’entoure. La lumière l’éblouit, les sons ne sont plus filtrés, on le cogne en le prenant puisqu’il ne baigne plus dans la suspension hydrostatique utérine, et il souffre dans sa poitrine lorsque ses poumons se déplissent pour respirer. C’est alors que surgit une énorme enveloppe sensorielle qu’on appelle ‘mère ‘. Elle le réchauffe, l’entoure d’odeurs, de touchers et de sonorités qu’il reconnaît puisqu’il les avait déjà perçues avant sa naissance. Sauvé ! Désormais, chaque fois qu’il devra endurer un petit malheur, le bébé sait que le même objet sensoriel surviendra, lui permettant ainsi d’apprendre à espérer. »

« Notre culture logique a tendance à nous faire croire qu’il suffit que les parents soient gentils et que l’enfant soit sain pour que se tisse un attachement de bonne qualité. Ce raisonnement linéaire paraît beaucoup trop simple. « 

« L’hypothèse logique serait de supposer que tout enfant privé d’étayage affectif développe mal son empathie. ...La réponse est claire : les enfants qui se développent dans un milieu appauvri par le manque d’amour autant que par l’excès interprètent mal les mimiques faciales de ceux qui les entourent. Ils leur prêtent souvent des pensées, des croyances et des intentions qu’ils n’ont pas. » ... « ...un surinvestissement affectif quand le parent, à cause de son histoire, souhaite le plus gentiment du monde devenir un parent parfait. Sans en avoir l’intention, il établit avec son enfant adoré une relation d’emprise qui le coupe des autres et le soumet à son amour exclusif. »

« Les lobes préfrontaux ne fonctionnent pas d’emblée le jour de notre naissance. Progressivement, sous l’effet de la génétique et des pressions du milieu, ils vont se connecter aux neurones de la zone limbique qui permettent la mémoire et les émotions. La sensation de durée qui nécessite l’existence d’une mémoire biologique afin de percevoir deux informations espacées et la représentation du temps qui rend possible l’empathie ont pour premier effet bénéfique de permettre l’apprentissage de la langue maternelle. » ... « Le petit ne se fait pas encore une idée du monde mental de l’autre, mais il est déjà attentif à ses mimiques et parvient à les orienter. Dès l’âge de douze mois, il est moins soumis à l’immédiateté des perceptions, il peut s’entraîner à une posture mentale qui lui donne du recul. Bien avant la mise en mots, il y a une mise en gestes qui permet déjà une pensée en images. Apprendre à analyser le corps de l’autre constitue certainement un point de départ fondamental de la compréhension d’autrui. Si le bébé éprouve du plaisir à cette découverte, il se met en posture d’empathie et pourra progresser. Mais quand l’autre l’effraie, il éprouvera sa parole comme une effraction. »

« Quand son façonnement précoce ne lui a pas permis d’apprendre à retarder une satisfaction, le sujet répond tout de suite à sa pulsion parce qu’il n’a pas appris à espérer qu’un autre interviendra plus tard. »

« Le simple fait de s’attacher à quelqu’un nous engage dans un travail de décentrement de soi. »

« Le pouvoir d’une représentation sur notre corps est si grand que l’attente d’une douleur est déjà une souffrance, et que l’espérance d’un soulagement nous apaise aussitôt. » « Celle qui attend la douleur en souffrira bien plus... » ... « La neuro-imagerie permet d’observer comment une croyance parvient à modifier les circuits neurologiques de la douleur.

« L’existence de l’oxymore neuronal confirme que les contraintes génétiques sont pétries par les interactions précoces. Un bébé génétiquement sain acquiert, sous l’effet des pressions du milieu, une tendance à aiguiller les informations, préférentiellement vers une zone cérébrale qui provoque une souffrance, ou vers la zone voisine qui répond par une sensation euphorique. L’aiguillage est aisé parce que ces deux sentiments, apparemment opposés, sont en fait circuités par des voies neuronales très proches. »

« Au cours des interactions précoces, la figure d’attachement doit être sensoriellement présente afin de marquer une empreinte sécurisante dans le psychisme en voie de développement de l’enfant. »

Bref, Boris Cyrulnik nous démontre à quel point le milieu a la capacité de modifier les circuits biologiques. Par-delà mes critiques et mes idées sans doute très personnelles, qui m’attireront le silence de l’auteur, j’ai mis dans cet article un grand nombre de citations pour bien rendre compte du travail remarquable que ce livre nous offre.

Alice Granger Guitard



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Messages

  • A force de te lire Alice, je me demande ce qu’elle a bien pu te faire la vilaine panthère pour que tu t-acharnes tant sur son parfum, à tel point que s’en est devenu ton ineffable parfum, cette insistance...
     ;-)

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