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Le cantique des cannibales

De Florent Couao-Zotti, Le Serpent à plumes 2004

samedi 1er janvier 2005 par penvins

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Il y a sans doute plusieurs façons de lire Florent Couao-Zotti et c’est ce qui en fait la force tranquille. Le cantique des cannibales est à la fois un roman d’amour, un polar, un récit mythologique et un ouvrage politique. Mais On n’a pas besoin d’être agressif pour être résistant. Et un résistant est un combattant. Florent Couao-Zotti est assurement de ceux-là et il le fait avec légèreté et humour en prenant la violence à contre-pied. Jusque dans le titre étrange de ce roman où se mêlent la force de l’amour et la cruauté des hommes. Impossible de ne pas entendre en effet la référence au Cantique des Cantiques mais relue dans l’histoire contemporaine du Bénin. L’amour physique devient alors un amour dévoreur de chair fraîche, une course sans fin de l’homme pour dévorer de toutes jeunes filles. Et pour sortir de cette bêtise Florent Couao-Zotti a imaginé une femme invulnérable - C’est la signification de son nom Gloh-bo, une femme débarrassée de toute attache, sans père ni mère, sans tutrice, partie nue conquérir la rue Elle dut se déshabiller, jeta ses vêtements, abandonna tout et gagna la rue. Ce jour-là, le soleil prit chez elle l’allure d’une grosse boule aveuglante et inutile d’espérance - on dit qu’il s’est inspiré de Phoolan Devi la reine des bandits.

Imagine-t-on un roman français, je veux dire de France, qui raconterait l’histoire d’une clocharde dont un flic tombe amoureux, la DST ferait mettre la jeune SDF en prison parce qu’elle ne voudrait pas mettre sa connaissance du milieu au profit de la campagne de Chichi pour un troisième mandat ! C’est à peu près ce que raconte Florent Couao-Zotti. Il désigne clairement son adversaire, Kérékou, l’appelle Kéré-Kéré et le tourne en ridicule en racontant comment il s’y prend pour gagner les élections.

On pourrait facilement en faire une BD - d’ailleurs s’il y a des amateurs... - Et malgré tout cela, ce roman est parfaitement construit, on a l’impression de se perdre dans je ne sais quel labyrinthe alors que les pièces du puzzle sont mises en place avec une grande précision. La disparition de Daagbo au tout début du roman n’en est qu’un exemple. Il ne réapparaîtra qu’à la fin du conte mythologique lorsque l’auteur nous livrera la morale de l’histoire, lorsque le vieil homme dira à Gloh tu es l’héritière de la terre et refusant de lui donner le secret du monde, l’invitera à prendre en main son destin.

[...] Donne-moi la route. Donne-moi ton secret.
- Ce qui compte, c’est ce que toi tu veux. Ma volonté n’a plus de prise sur les hommes et sur les choses. Ma volonté s’est déjà éteinte.
Il se tut brusquement. Il regretta presque de s’être laissé aller, [...]

Gloh comprend très bien le message :
-Tu veux que je te demande de l’aide ? Mais je ne le ferai pas. Car tu sais de quoi j’ai besoin.

Bien entendu ce livre est dédié aux femmes, les hommes n’y ont d’ailleurs qu’un rôle secondaire, soit de bourreau, soit de faire valoir au sens le plus noble du terme. Alabi lorsqu’il tombe amoureux de Gloh lui qui était autrefois un coureur une espèce d’athlète du sexe qui était devenu le mari d’une épouse unique et mère féconde , lui pour qui l’amour est un exutoire S’il n’avait pas sous la main un voyou à passer en perte sèche, l’inspecteur Alabi s’excitait sur sa femme, sur quelques-unes de ses ex et les ouvrageait à la militaire. lorsqu’il arrête la jeune femme tombe sous le charme de son regard comme un appel à la vie .
Il aurait aimé ouvrir son intérieur et y déverrouiller le mystère qui semblait la grillager.


Le secret, le Graal qui sauvera l’inspecteur, l’amour qui le fera s’écarter de la tranquillité, c’est en acceptant de rompre avec son passé, en suivant Gloh hors la loi qu’il le trouvera, lui auquel Daagbo adressera ce reproche :
Parce qu’il y a six ans, tu as décapité le destin de toute une communauté. Tu me diras que tu faisais ton travail et qu’il fallait que tu le fasses bien. Exact. Mais je ne retiens, pour ma communauté, que des larmes et du sang, des regrets et de l’humiliation.
Comme si le salut dans ce monde d’hommes corrompus ne pouvait venir que d’une rupture, rupture avec les habitudes de la bêtise, de l’immédiateté, intérêt immédiat, argent, amour immédiat, sexe. Cette rupture sera aussi celle de Gloh lorsqu’elle refusera les millions de Dokou. Rupture qui permet le regard et arrache aux corps les manques .

Au commencement était le regard écrit Florent Couao-Zotti décrivant à travers les yeux d’Alabi le corps de Gloh, comme une supplique à ses frères africains de modeler le plaisir dans la durée. On est sans aucun doute là au cœur du sujet, celui qu’évoque le titre du roman quand il fait référence au Cantique des Cantiques, le salut ne peut venir que de là, non de la révolte agressive mais au contraire de la résistance hédoniste. Nécessité de retrouver la légèreté du plaisir, de savoir attendre. Il attendit d’être en phase écrit l’auteur à propos d’Alabi. Et s’il le faut revenir sur sa terre, se retirer dans la montagne, passer à l’étranger comme le fera Gloh à la fin du conte, non comme une défaite, bien entendu mais comme le début d’une aventure que les Africaines de l’ombre sauront mener jusqu’à son terme, parce qu’ un homme c’est une aventure qui triomphe , secret que lui a confié Daagbo en même temps que sa gourde.

Assurément Florent Couao-Zotti se donne les moyens de faire avancer sa cause et il le fait avec le sourire, dans une langue imagée qui n’oublie pas quand il le faut de tourner en ridicule son adversaire, un Kérékou criant à la foule un Kéké-Rékéééééé tel un coq juché sur ses ergots ou bien rappelant - sans sourire ! - à la télévision : J’ai distribué six millions de Bibles dans ce pays, soit un volume pour chaque Dahoméen. Qui a fait mieux ? avant qu’une malencontreuse coupure de courant ne le prive de ses effets.


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