mardi 28 août 2007 par Calciolari
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Le Tango de l’Archange de Eva Füzesséry
De Budapest au 5 rue de Lille ce n’est pas comme aller de A à B. Aucune trajectoire n’est jamais déjà tracée. Pas de prédestination. Le pas est un pas de danse. C’est celui d’Eva Füzesséry, Le Tango de l’Archange. De Budapest au 5 rue de Lille (Éditions Érès, 2006, pp. 222, € 20,00), n’a rien à voir avec un vol d’Icare.
Est-ce un tango entre deux pôles ou est-ce une danse qui procède du « deux » comme ouverture ? La psychanalyse est-elle le fil rouge de la traversée d’une histoire semées d’embûches ? Un lapsus à propos du Transfert de Lacan, qui de « séminaire » devient sémine est-il une embûche ?
Ce Tango de l’Archange a lieu dans les nuages, tel le tableau de Kees Van Dongen que le livre d’Eva Füzesséry affiche en couverture.
Le voyage entre Budapest et 5 rue de Lille, c’est-à-dire l’adresse du cabinet de Jacques Lacan, s’accomplit dans les nuages, avec légèreté, sans que la mémoire cède prise aux souvenirs écran. Même dans la narration des épisodes les plus démentiels du totalitarisme communiste en Hongrie, avant de partir pour l’Autriche et puis pour la France, Eva Füzesséry ne se prend pas pour une victime mais elle poursuit sa recherche inlassablement. Et les fleurs de l’infini poussent entre les lignes de son texte, dans sa pratique plus que dans l’abstraction théorique.
Oui, l’œuvre de Lacan a été une semence incroyable. Et il n’y a pas encore personne qui soit en mesure d’en faire le roman intellectuel. Chacun écrit « son » roman. Jusqu’à maintenant ce sont des bribes, des grappes, des perles, mais pas encore la restitution de cette histoire fabuleuse.
Le Tango de l’Archange est une de ces perles, qui reflète un rayon de lumière de l’expérience de Jacques Lacan. Dans le récit d’Eva Füzesséry, il y a la narration de quelques phrases des premiers colloques, où il est possible d’entendre l’ouverture, l’air et la légèreté d’une intervention qui n’a rien de la grave et lourde charge des conversations gnostiques, appelées psychothérapies.
L’analyse : il n’y a plus de solution contre la vie. Ni de solution névrotique, ni de solution psychotique. Le fantasme, c’est-à-dire la copie de la vie anticipée, ou bien l’idée de maîtrise et de contrôle est suspendue. Et la couverture est celle du souvenir écran. La mémoire n’est pas le souvenir-écran. Alors, même « un système qui collait à la peau » (179) peut se dissoudre dans le voyage entre Budapest et le 5 rue de Lille. La lecture qu’ Eva Füzesséry fait du système hongrois de l’après guerre est une contribution à sa dissolution.
En fait, la véritable question est posée par Eva Füzesséry : « Vivre ou survivre » (181). Le système, déjà dans le texte d’Aristote, est l’algèbre et la géométrie de la vie : c’est la survie. Plus précisément c’est la formalisation de la survie des prisonniers de la caverne de Platon. Le système est la mort, même pour ses membres. Les inclus et les exclus sont les sujets de la mort.
Et le nom devient nom du nom, nom de la mort, au point que dans le cas d’ Eva Füzesséry « le nom seul désormais justifiait la persécution » (183).
Lacan a mis en question « un certain ordre rotatoire » de la survie que l’on appelle avec un ancien mot psychiatrique : maladie mentale.
Le parcours d’Eva Füzesséry n’est pas circulaire. Avec l’analyse il n’y a aucun retour à l’origine. Il y a l’originaire dans l’acte et non plus l’origine. Ainsi l’Hongrie de la deuxième vie d’Eva Füzesséry est une transposition et non pas un retour au point du départ.
Le système n’a jamais pu contrôler les rêves, les fleurs, les collines, les nuages. Les indices de l’infini de la vie parsèment le récit d’Eva Füzesséry, et la vie s’avère sans prédestination. Il y a la semence de la vie, le refoulement, la fonction du zéro, la fonction du nom. L’instauration de la semence, de la levure de la vie est ce qui empêche que l’histoire soit semée d’embûches.
Il ne faudrait pas céder sur son désir ? Il ne faut pas céder sur l’originaire de l’acte. Pas de substitution de la substitution. Pas de métaphore de la métaphore (ce que le lacanisme appelle métaphore paternelle). Aucune prolepse de la vie : telle serait la survie.
Alors, pas de généalogie, mais de l’ironie. Sommes-nous prisonniers ou libres ? Sommes-nous entre deux pôles à danser un tango qui est un protocole social ou sommes-nous dans l’ironie du tableau de Van Dongen, où les chaussures, la jarretelle, le maquillage sont une irision du cancan phallophorique ?
Aucune pleine lumière sur la transposition de Van Dongen du mythe d’Eros et Psyché : les nuages empêchent de tenir les pieds sur terre. En plus, selon une célèbre formule de Lacan, entre Eros et Psyché aussi : « il n’y a pas de rapport sexuel ».
Il y a dans le discours d’ Eva Füzesséry la tentation de lire l’expérience de Freud avec les outils de la philosophie.
Le passé nous détermine-t-il ? Les non-dits sur l’histoire sont-ils le passé ? La mémoire est-elle mémoire du passé ? La trace est-elle mnésique ?
La question est-elle vraiment de « comment retrouver les traces de ce passé effacé et l’ouverture vers le présent » ?
« La psychanalyse n’est-elle pas la clé qui donne accès aux portes du passé, rendant possible ce retour ? » (198). La blague de Kurt Gödel à son ami Albert Einstein est-elle réalisée par la psychanalyse ? L’homme lancé dans le futur revient du passé juste à temps pour tuer son père dans le présent, un instant avant d’être conçu ?
« J’arrivai au constat qu’il ne s’agit pas en psychanalyse de nous engager sur un chemin conduisant d’un point vers un autre » (212). Ceci revient à rendre vaine la croyance au fantasme de maîtrise et de contrôle sur la vie, la croyance même dans « la structure qui nous détermine sur le plan de l’inconscient » (212). En fait, Eva Füzesséry débouche sur l’oxymoron : « j’ai pu découvrir l’accès à la liberté face à la détermination inconsciente » (213).
En tout cas, l’animal magique qui semble servir de conclusion littéraire est hypnotique, c’est-à-dire que la direction qu’il donne à l’itinéraire est circulaire, inscrite dans le présent, entre le déjà et le pas encore, avec toute l’efficacité symbolique qu’il faut.
Faut-il devenir dupe d’un rien (216) ? Ou bien la dupe est-elle une hypotypose de l’ouverture ? La huppe est-elle non dupe ?
Oui, peut-être, que pour chacun l’itinéraire va-t-il de la dupe aux mille lucioles.
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