Libar M. Fofana, Editions Gallimard, Continents noirs, 2007
mardi 9 octobre 2007 par Alice GrangerPour imprimer
Dans son troisième roman, qui se situe en Guinée dans les années 1970, Libar M. Fofana nous présente des êtres humains jetés dans le chaos de la vie. Plus rien, dès le départ, n’est joué d’avance, ne sera stable, ne sera écrit. Tout est au contraire instable, les choses fastes peuvent se retourner contre soi, les bonnes alliances devenir des alliances mortelles, une jolie fille aimée de son amoureux n’a pas prévu qu’elle serait rongée par la lèpre. Chacun des personnages de ce roman, mis en situation de survivre, frappé par la cruauté de la vie précaire sur cette terre pauvre et non structurée d’Afrique, où la Révolution au niveau politique ne tient pas ses promesses, vit dans sa chair le fait d’être abandonné. Chaque jour, chacun d’eux peut perdre la vie. Sa vie n’est pas assurée. C’est un roman d’abandon, de décomposition, de cruauté, de coups bas, de petits calculs pour gagner de quoi pousser la survie un peu plus loin. Les alliances politiques d’aujourd’hui, en ce temps où la Révolution commence à annoncer des lendemains moins roses, débouchent sur des trahisons juste par intérêts, par calcul, juste pour survivre. Au sein de cette cruauté du destin, bien sûr il y a la solidarité. La lépreuse non seulement veille sur son enfant, indemne et belle, qui met du baume sur ses blessures de lépreuse, mais elle recueille aussi Bol-de-lait le métis simplet, elle veille sur sa errance. Mais son enfant lui sera finalement enlevé, et on le retrouvera mort.
L’impression est donc celle d’un sans remède. La métaphore de l’arbre (arbre révolutionnaire ?) est dans ce roman aussi très importante. Un arbre est censé nourrir ses feuilles, abriter de son ombre ceux qui se réfugient sous lui. Un arbre, c’est enraciné profondément. Or, tels les nombreux mendiants dont, dans ce roman, personne ne se soucie, ni de la lépreuse, ni du métis simplet, ni de la femme homosexuelle chargée de son lourd secret, les feuilles de cet arbre meurent. Ces feuilles sont des mendiants qui crient en mourant. Il y a ce lent et inexorable mouvement de la mort. Il y a l’écriture de cela. En terre de Guinée, certes, en 1970, mais c’est une histoire qui devrait se lire d’une manière universelle. L’arbre de la politique promettant des lendemains paradisiaques laisse ses feuilles mourir.
En effet, c’est extrêmement intéressant, cette métaphore de l’arbre qui laisse mourir ses feuilles. D’une part, on pourrait entendre le « fantasme » des feuilles, qui « comptent » sur l’arbre pour les nourrir éternellement. Elles font un calcul, et elles se trompent. Cet arbre leur annonce leur mort en temps que feuilles, c’est-à-dire en tant qu’entité dépendante de l’arbre et de ses racines. L’arbre finit toujours par abandonner à la décomposition ses feuilles. De même que l’enveloppe matricielle finit toujours par mettre dehors son occupant fœtal, le regardant comme mort à cet état antérieur.
C’est-à-dire que les protagonistes de ce roman, qui ont une telle foi en l’arbre enraciné, sont forcés d’admettre que l’autre face est la mendicité, la lèpre, l’assassinat, la faim. Les feuilles font une confiance aveugle à l’arbre, de même que le fœtus compte que la matrice le gardera toujours en son sein, alors que la vérité est celle du déracinement.
Roman du déracinement originaire. De l’arbre se désolidarisant de ses feuilles, indifférent à ses mendiants. La métaphore de la lépreuse est également très significative. La lèpre lui a rongé les mains et les pieds, et elle est obligée de ramper. Ainsi, ne ressemble-t-elle pas un fœtus qui fait à l’extérieur comme s’il était encore à l’intérieur, se faisant pulser du liquide nutritif sans avoir besoin de ses mains et de ses jambes ? Roman de la dénégation de la destruction originaire, de l’abandon par l’arbre. Image de l’Afrique, mais pas seulement. Représentation d’une certaine idée de la politique, aussi. Et ceci sous toutes les latitudes... !
Certes, on peut aussi lire ce beau roman si bien écrit, poétique, comme un regard sur l’Afrique, en particulier l’impact de la Révolution dans certains pays, avec en arrière-plan la Russie, la Chine, Cuba, la promesse des lendemains qui chantent. Certes on peut compatir avec ces habitants dont aucune infrastructure étatique ne prend soin, en particulier les plus pauvres, les plus handicapés, les plus malchanceux, les plus dépourvus de relations. Certes c’est ça aussi.
Sauf que Libar M.Fofana ne porte aucune accusation. On a l’impression qu’il parle en vérité d’une histoire qui dépasse ce pays, ce continent. Une histoire que chaque humain devrait lire comme la sienne, l’histoire de la feuille qu’il fut lorsque l’arbre l’abandonna, cette feuille qui cria juste pour inscrire la fin d’un état antérieur. L’auteur n’a pas écrit l’espoir d’un remède. Au contraire. C’est inéluctable. Les feuilles de l’arbre meurent.
En même temps, la femme homosexuelle retrouve son enfant, qui lui avait été arraché. On dirait que, en conclusion du roman, et des vicissitudes terribles que vivent les protagonistes, par exemple un chien qui a dévoré un enfant mort, image intolérable, une autre façon d’envisager la vie se profile. On n’a pas encore les images de cette vie nouvelle, lorsqu’on ne s’envisage plus comme les feuilles nourries par l’arbre, mais il y a une ouverture.
C’est même très curieux que cette mère et cet enfant métis, Bol-de-lait, se retrouvent au moment où la métaphore de l’arbre qui nourrit ses feuilles accrochées à lui et pompant sa sève tombe. Voici une mère qui s’avance sans avoir un arbre sur lequel elle serait une feuille. Elle peut s’envisager mère, c’est-à-dire, dans ce contexte, terre accueillant son enfant, son habitant né, sans se voir elle-même telle une feuille qu’un arbre assumerait. Elle est elle-même née, c’est-à-dire qu’elle a fait le deuil d’elle-même branchée à l’arbre nutritif dans une posture fœtale. Posture fœtale, à penser bien sûr à un niveau politique, au sens de ce fantasme d’être assumé, pour l’essentiel, par quelque chose autour. Lorsque ce quelque chose autour s’épuise, manque, abandonne, se dessèche, les feuilles, qui sentent que la sève ne monte plus les nourrir, commencent telles des mendiantes à crier, c’est-à-dire à voir la mort arriver, la séparation, la fin d’un état.
Bravo à cet écrivain africain qui réussit admirablement à nous impliquer dans une histoire humaine qui n’est pas que celle de l’Afrique.
Alice Granger Guitard
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Messages
1. Le cri des feuilles qui meurent, 10 octobre 2007, 20:36
"On n’a pas encore les images de cette vie nouvelle, lorsqu’on ne s’envisage plus comme les feuilles nourries par l’arbre, mais il y a une ouverture."
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