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Les forêts de la nuit - J-L Curtis
lundi 17 décembre 2007 par penvins

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Voilà bien un vrai plaisir de lecture et en même temps un roman qui nous plonge dans une période sinon inconnue en tout cas rarement évoquée avec autant de finesse dans notre littérature. Pour une fois le Goncourt ne s’y était pas trompé en le couronnant en 1947.

Rien de révolutionnaire dans l’écriture de Jean-Louis Curtis , un style très classique avec pourtant des trouvailles quand il s’agit d’évoquer les glissements de la pensée, les petites lâchetés ou au contraire les revirements de lucidité précoces ou tardifs dont ces temps d’occupation n’ont pas manqué.

L’intérêt d’un tel roman est bien sûr de nous plonger dans l’esprit de l’époque, loin des reconstructions que la mémoire collective a tenté de nous imposer. Pour surmonter sa honte la France a dû s’inventer des mythes, mais en 1947 les événements sont récents et un écrivain encore jeune –J-L Curtis a alors 30 ans – ne peut les cautionner. D’une certaine façon en écrivant ce roman tout de suite après la guerre on peut dire que Curtis prend date, ce qui est intéressant c’est qu’il le fait en véritable romancier, observateur de son époque, critique certes vis à vis des conduites mais sans juger les hommes, en montrant au contraire ce qui les conduit à agir dans un sens que l’histoire jugera inadmissible ou dans un autre qu’elle considérera comme héroïque.

On entre dans ce roman avec plaisir, on en sort avec un peu moins de certitudes. On y entre avec plaisir tant les premiers chapitres décrivent avec humour notamment le personnage de l’avoué M de Balansun, pater familias un peu ridicule et acquis au Maréchal, comme l’était la plupart des Français au début de la guerre. On en sort avec une vision de l’histoire débarrassée de l’idéologie d’aujourd’hui. Ce qui marque les esprits dans ces années d’immédiat après guerre ce ne sont pas les camps : si Jean-Louis Curtis fait allusion à l’antisémitisme de certains il ne mentionne même pas les camps de concentration, on pourra dire aujourd’hui que l’information est refoulée – sans doute – en tout cas les Français moyens n’ont pas encore mesuré la gravité de ce qui se passe en Allemagne. Et pourtant cette période contient déjà en germe la révélation du monde, non que les petits égoïsmes provinciaux ne soient pas de mise, bien au contraire, le roman ne parle au fond que de cela mais qu’il ait pu être écrit et accueilli par le Goncourt montre s’il en était besoin que les esprits ont profondément changé durant les années d’occupation.

Ce que Jean-Louis Curtis décrit c’est une ville de province refermée sur elle-même et pourtant il le dit : Déjà des changements étaient perceptibles. En quatre ans, la ville avait évolué plus vite qu’au cours des vingt derniers lustres. Elle était mêlée à l’histoire universelle. [ ...] La notion de province était périmée. Et c’est bien ce que l’on ressent en lisant ce livre, cette petite ville est en train de se déniaiser. Pour certains le choc sera si rude qu’ils ne s’en remettront pas, c’est le cas de M de Balansun fier de ses ancêtres et de leur bravoure et qui va mesurer le prix de l’héroïsme en perdant son fils. C’est le cas aussi d’Hélène, sa fille, qui va apprendre la vie dans les bras de Philippe, lasse d’attendre un fiancé bien sous tous rapports elle se laissera séduire par ce beau gosse de 10 ans plus jeune qu’elle qui la laissera tomber, c’est la cas aussi de ce dernier qui – pris dans l’engrenage de la collaboration - tentera au dernier moment de sauver celui qu’il a contribué à faire arrêter, c’est le cas enfin de Gérard l’ami d’enfance d’Hélène qui a bien du mal à admettre qu’elle n’est pas cette jeune fille pure dont il rêvait.

Tous ces personnages, qui ont sans doute eu des modèles, Jean-Louis Curtis en fait des êtres composites que la fierté ou la crainte fait basculer du bon ou du mauvais côté. Il se place sur le plan du tempérament, c’est la vérité intérieure de chacun qui fait agir et non les idées, et s’il y a un jugement de l’auteur vis-à-vis de ses contemporains ce n’est pas tant sur le plan de la morale - cette vieille morale inefficace devant les réalités de la guerre – que sur celui de ce qu’il appelle la vérité intérieure. Si cet acte m’honore il ne le fait qu’au prix de mon silence, dira Jacques Costellot.

C’est peut-être là la clef de ce roman d’un autre temps : quand tout devient facile les idées reprennent le dessus, les grands mots, les anathèmes, les vantardises... on se fabrique des postures... notre époque n’est-elle pas un modèle du genre ! Malheureusement la guerre aura connu avec l’épuration ce grand retour des faux semblants avec lesquels J-L Curtis n’est pas tendre, femmes tondues, résistants de la dernière heure et exploitation éhontée de ceux qui – souvent bien malgré eux – étaient devenus des héros. Le roman - et c’est tout un symbole - se termine là-dessus, Darricade remporte les élections en se servant de la gloire de Francis pour faire taire ses adversaires politiques ! Tout un programme.



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