Editions Le Dilettante, 2008
mardi 8 juillet 2008 par Alice GrangerPour imprimer
Une lettre d’Alexis Le Men, copain d’enfance perdu de vue depuis longtemps, annonce à Charles la mort de sa mère Anouk, super héroïne d’autrefois. Charles faisait le mur pour rejoindre Alexis et sa mère qui l’élevait seule, irrésistiblement attiré par cette femme cool, qui le voyait comme un fils idéal à élever, et tenta avec lui une relation incestueuse. Chez elle, venait aussi un homme marginal qui s’occupait des deux jeunes garçons, on l’appelait… Nounou ! Dans ce temps d’enfance s’ouvrant pour Charles en faisant le mur, en sautant dans un autre temps parfaitement structuré déjà, mine de rien, même en semblant marginal, tout est déjà très précis, très programmé. La femme d’âge mûr, forcément dépressive et vidant les bouteilles, seule avec son fils à charge, sans homme, mère sacrificielle masquée derrière l’oblativité admirable. Son garçon Alexis, et surtout son copain Charles version idéale de fils, transfuge d’une famille qui va lui permettre les bonnes études et donc un avenir professionnel qui s’avérera l’air de rien très important pour la suite même si Anna Gavalda ne le souligne pas, la réaniment. Et l’homme mystérieux, marginal, qui devient… une Nounou !
A partir de l’instant où Anouk la super héroïne d’autrefois (caricaturalement la mère toute à son garçon, sans mari, sans homme, et réussissant idéalement à travers le copain de son fils conforme à son désir) refait irruption dans la vie de Charles (devenu architecte international, gagnant probablement très bien sa vie, mais comme par hasard pas vraiment installé dans sa vie privée, comme si en puissance il était resté fidèle à la super héroïne qui va apparaître sous les traits rajeunie de Kate), une sorte de compte à rebours démarre, une machinerie occulte va déstabiliser toute l’organisation de sa vie privée et professionnelle, va altérer chaque décor, chaque scène, tout va se désinvestir, être englouti dans les points de suspension dont Anna Gavalda fait un usage immodéré dans son roman. Toutes les scènes de la vie de Charles basculent inexorablement pour se stabiliser dans la scène unique qui s’impose, à la campagne bien sûr, si « naturelle », si « écologique », avec la super héroïne Kate. C’est très très très programmé ! Et, dans ce roman, le sujet disparaît ! « N’avait jamais été aussi belle… » « S ‘envola à Copenhague et revint par Lisbonne. » « Restaient assis et regardaient la lumière. »
Comme Anouk, évidemment, Kate est une femme seule, qui a laissé son métier pour élever deux orphelins, les enfants de sa sœur et de son beau-frère morts dans un accident de voiture. Femme totalement ouverte aux autres, donc, cette figure-là d’une générosité pure, évidemment, retirée dans une vieille ferme à l’abandon mais peu à peu réanimée elle-aussi pour devenir un lieu maternel unique, avec des chèvres, des chats, des chiens, des animaux, la nature, la vie cool et des enfants merveilleux qui ont toujours le sens de la répartie géniale, d’autres enfants viennent, c’est ouvert, c’est bien sûr la vie, c’est d’une évidence… la démonstration ne souffre évidemment pas de regard critique… Comme Anouk, cette femme est seule, c’est dur l’hiver, les conditions matérielles sont précaires dans cette campagne, elle est dépressive et lasse, évidemment, elle est abandonnée, elle a la force de faire des choses au-dessus de ses forces, accueillir rien moins que la vie à travers ces enfants en nombre infini et qui, c’est évident, l’adorent comme autrefois Charles adorait Anouk et le désordre cool chez elle. Kate est une Belle au bois dormant qui attend le prince qui viendra si logiquement la réanimer et l’assurer… Super héroïne ! Elle a juste besoin d’un nouveau… Nounou, qui, lui, évidemment, poursuivra son métier d’architecte international, le fils idéal sera entre-temps devenu… un futur mari idéal, un vrai… Nounou ! Les identités sont très logiquement déterminées, et attirent dans leur ellipse les protagonistes, notamment surtout le… super héros, celui qui saura, enfin, assurer la super héroïne si fascinante, qui avec Anouk est en quelque sorte pris en mains psychiquement parlant par celle qui veut « élever » un super héros idéal, qui le « programme », l’initie, même si l’acte incestueux entre cet adolescent et cette figure de mère n’a apparemment pas eu lieu. Anouk l’a fasciné à jamais au point de le ramener à elle réapparue sous les traits de Kate. Kate, elle, a pu abandonner son travail et sa vie de célibataire, pour se perdre, pour se dévouer, pour se passionner dans le rôle de la mère adoptive, et évidemment si… naturel, totalement ouverte, n’ayant plus rien d’autre à faire. Un super héro a été mis en route jusqu’à elle par la lettre d’Alexie à son copain Charles, annonçant la mort d’Anouk, en train de se réincarner en Kate, tandis que Nounou est en train de se réincarner en un homme qui assure, lui, beaucoup plus parfaitement, puisqu’il est un architecte international. Kate, l’abri si frais, si naturel, où revenir. Cette joyeuse maternelle en plein air, et tous ces enfants avec des adultes à disposition…
Charles vit, jusqu’à la fameuse lettre qui déclenche le compte à rebours, avec Laurence, une jolie femme moderne et bourgeoise, qui divorça pour lui. Il avait été l’architecte d’intérieur de ce couple, et à l’évidence dessina pour cette femme bourgeoise s’ennuyant dans un cadre si confortable d’autres perspectives… Le point décisif se dessine dans un autre axe. Laurence a une fille, Mathilde, que Charles mit beaucoup de temps à apprivoiser, mais réussit si bien que leur relation beau-père belle-fille se privilégia en complicité idéale, elle l’adopta définitivement en s’éloignant de son père. Le beau-père, évidemment, lui fait ses dissertes, ses devoirs, est à l’écoute, déjà en puissance… Nounou, quoi… L’axe père-fille est ce qui structure tout, dessine et domine tout. Et lorsque Anouk perçoit en ce fils idéal Charles le futur homme réussi qu’il sera, capable d’assumer matériellement et toute la vie, ne se positionne-t-elle pas aussi comme une fille avec un père totalement complice, l’assurant ? Ensuite, Kate, cette mère totale sublime, mais dans une sorte de précarité matérielle, n’est-elle pas aussi une petite fille ne laissant plus le père mari amant fils l’abandonner ? Je ne te laisserai pas m’abandonner, dit-elle. Charles, et Laurence avec laquelle il ne se sera jamais marié, restant avec elle dans un temps provisoire, se sépareront, mais, évidemment, Mathilde partira vivre… avec son beau-père ! C’est cet axe-là qui triomphe ! Un homme capable de s’occuper avec une telle patience des enfants (et aussi de la super héroïne), faisant leurs devoirs, allant au super marché faire des courses gigantesques, tolérant, en vrai Nounou, le bordel dans la cuisine, c’est génial, c’est la vie, et les enfants sont géniaux, si cools, si intelligents, et… forcément, chiants, mais eux c’est la vie, et pour Charles engagé dans le blanc idyllique final, le temps de ces enfants est derrière lui… Il y a quelque chose de suicidaire dans tant d’idéal qui aspire dans son ellipse et ses points de suspension l’homme parfait qui disparaît du côté de la super héroïne dont il caresse le button et qu’il endort ! Cadre blanc, comme la marque blanche à la place du miroir que sa sœur a emporté, chez ses parents. Compte à rebours, voyage vers avant, tandis que l’homme réussi transforme une carrière qu’il n’abandonne pas, au contraire, puisqu’elle lui donne les moyens surtout de concevoir une fête très maternelle dans un cadre naturel enchanteur ! La super héroïne déprimée, forçant sur la bouteille, lasse, est guérie, est réveillée, elle est le centre de tout ! Comme elle est bien !
Roman avec presque que des dialogues, très « aéré », Anna Gavalda comme ces enfants cools a le sens de la répartie, l’impression est forcément très vivante, le « je » peut disparaître tellement c’est entraînant… Anna Gavalda est une super héroïne ! La consolante est un giron qui reprend, qui ne se laissera plus abandonner !
Un vrai best seller ! Evidemment !
Alice Granger Guitard
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