dimanche 27 juillet 2008 par Liss Kihindou
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Titre original : The Poisonwood Bible, 1998
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Guillemette Belleteste, Ed. Rivages, 1999.
Vous hésitez entre plusieurs lectures ? Croyez-moi, laissez-les tomber, attachez plutôt votre ceinture et préparez-vous à atterrir avec la famille Price dans un village aux confins du Congo-Kinshasa.
Le père, Nathan Price, pasteur baptiste américain, est envoyé là-bas, à Kinanga, comme missionnaire. Naturellement, il emmène avec lui sa femme, Orleanna, ainsi que leurs quatre filles : Rachel, l’aînée, Leah et sa sœur jumelle Adah, handicapée, Ruth-May, la petite dernière. La mère et les filles ne sont franchement pas enchantées de débarquer dans un trou perdu où ne pourra les suivre le confort occidental, mais ont-elles le choix ? Nathan Price dirige sa maison comme un chef militaire, et c’est aussi ainsi qu’il compte convertir les congolais. Obsédé par ses idéaux religieux, il néglige de considérer ceux qui l’entourent, de comprendre leur être profond, leurs coutumes, leurs habitudes, leur manière de penser, ce qui l’aurait infiniment éclairé sur la manière la plus apte à leur faire accepter sa foi. Même ses propres filles, Nathan ne les connaît pas comme devrait les connaître un père. C’est un homme qui, bien que mû quelquefois par de bonnes intentions, se montre malhabile, entêté, rigide, prenant des décisions aux conséquences désastreuses pour les siens.
Les Yeux dans les Arbres raconte donc la tragédie d’une famille aussi bien que celle d’un pays renfermant d’immenses richesses minières, au point de devenir la proie des vautours. Nous sommes dans les années 60. Le Congo aspire à l’indépendance et l’obtient. Barbara Kingslover récrit ces pages de l’histoire postcoloniale du Congo-Kinshasa : elle raconte le combat de Patrice Lumumba, si cher à Tchicaya U Tam’si ; elle met en lumière avec force d’une part l’engagement de tous ceux qui, avec lui, crurent à la liberté et la prospérité de leur pays ; et d’autre part les complicités qui se sont tissées, même là où on s’y attendait le moins, pour bâillonner le peuple et le délester de ce qui aurait dû lui revenir de droit. L’éviction et l’assassinat de Patrice Lumumba, l’accession de Mobutu au trône ainsi que son règne sont racontés d’une manière si réaliste que l’on aimerait dire que c’est un livre historique, s’étendant de 1959 à la fin des années 80.
Le charme de ce roman réside dans la force et la variété du discours construit par chacune des narratrices. En effet, toutes les Price prennent la parole à tour de rôle pour raconter les faits chacune selon sa sensibilité, son degré de maturité, sa perception des choses, offrant ainsi au lecteur des styles variés, des tonalités différentes où dominent tour à tour l’humour, l’ironie, la légèreté, la philosophie, les croyances, la subtilité du langage, les regrets, la conscience de sa couleur...
Oui, s’il existe beaucoup de livres qui évoquent la difficulté pour un Noir de gérer l’hostilité dont il peut faire l’objet dans un univers majoritairement blanc, ce livre montre combien ce peut être aussi le cas pour une personne blanche : Leah, la deuxième fille des Price, épousera l’Afrique au propre et au figuré, acceptant de vivre avec elle pour le meilleur et pour le pire, mais malgré la pureté de ses aspirations, sa peau la désignera toujours aux yeux des Congolais comme faisant partie des oppresseurs...
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