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Morte-saison sur la ficelle, Marie Didier

Editions Gallimard, 2008

vendredi 12 décembre 2008 par Alice Granger

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Dans chacune de ses nouvelles, Marie Didier excelle dans une écriture clinique qui littéralement ausculte un événement singulier, inexorable, tragique, qui, toujours, s’avance et se dispose comme une des facettes de la mort toujours en acte, et la partenaire par excellence. Elle remarque, observe, analyse, et organise chacune des situations qui s’offre à sa pulsion clinique, aucune d’elles ne pouvant échapper à cette sorte d’arrêt sur image. Sans doute, avec n’importe quel événement vient l’événement, comme l’indique la citation de Yannick Haenel mise en exergue, mais cet événement est toujours saisi par la main clinique de la pulsion de mort.

Ainsi, la mort s’annonce avec la première fois qu’un homme en train de se raser remarque une ride. Idem l’affaissement de l’ovale d’un visage, le pourtour d’une bouche plissé comme un anus. Un dentier réussit à se retrouver dans le sac d’une jeune femme, telle la mort déjà en train de ricaner au nez de la jeunesse, sûre de gagner, injectant son poison. La vie est déjà une mort annoncée. Le regard clinique traque les premiers signes, très tôt, et la bouteille est d’emblée à moitié vide.

Une sécheresse excessive pousse des insectes à venir s’échouer sur une plage, la fête n’est pas très loin. Le regard clinique décrit « des mourants qu’on aurait laissés seuls, sans secours, sur un champs de bataille désertés. » Nouvelle qui stigmatise froidement la vie comme une fête absurde cernée par la mort toujours victorieuse, dans une sorte de sadisme patient. La mort est dans chaque événement annoncée. De mort point de nouvelles ? Au contraire, la fête en est l’envers.

Sur la table d’examen, la femme obèse déborde de partout, elle est regardée comme un pauvre insecte sur le dos qui agite ses pattes en vain. « Le gras des deux bras cesse de trembloter pour s’affaisser de part et d’autre de la table. » La gynécologue réussit à se frayer un passage à travers les cuisses abjectes jusqu’au bijou de nacre troué en son milieu. Le corps abject avec ses amas de graisse et ses vergetures cache en son sein la vie. L’incarnation de la mort a sa revanche.

Une femme au gros ventre, de même, sait que sous son pull ses seins sont bien faits. En somme, certes elle a l’aspect hideux de la mort, mais elle a de quoi séduire avec certitude. A table, pour le repas du soir, Alain a le cheveux gras, le sourire triste, Jim a le visage couperosé. Toujours l’œil sadique de la mort ! Les marques de l’inexorable décadence ! Les symptômes qu’un médecin note au quart de tour comme les victoires patientes de la mort. Paule parle de ses drainages bronchiques, elle crache dans son mouchoir, une femme dans un centre de rééducation pour addicts à la cigarette se regarde dans la glace et voit son teint gris, ses yeux bouffis. Lassitude devant tant de discipline. Compagnons de galère. Pas d’espace libre dans l’emploi du temps. Echapper à la mort, celle promise par la cigarette ? Quelle rigolade ! Paul, sur le tapis roulant, laisse déborder en avant la masse énorme de son ventre. Visages édentés… mais radieux. La femme veut redevenir belle pour retrouver son Vincent, dans l’espoir d’inverser les ravages de la mort annoncée en vie. Mais fait irruption un autre homme, il n’y a plus que son odeur, son corps, et le désir la prend toute. Le désir est là, mais « hors les murs de votre corps », « Alors la puissance du ventre n’est plus que l’épaisseur d’une bedaine, celle d’un mangeur de pâté, de pain et de ragoût… » Et oui, la mort… L’écriture clinique s’organise autour de ses symptômes…

Une femme a tout pour être heureuse, ses seins se balancent bien sous son tee-shirt, les hommes les regardent, mais ça rode alentour, une amie vient de perdre son fils, trou dans le cœur, poignard qui attend mais on ne le sait pas encore. La femme est peu à peu tenaillée par l’angoisse, la souffrance. Une sorte d’inquiétude occulte est en train de la saisir. La mort est terriblement propriétaire ! Explosion de la mosaïque de douleurs. Vous n’êtes plus que votre corps. Votre corps aux mains du travail d’appropriation de la mort, l’unique partenaire. L’écriture clinique semble ne pas cesser de lui amener de nouveaux êtres mortels, fidèlement.

Fleurs chez un fleuriste. Qui se retrouveront sur une tombe… Luxueux fourgon mortuaire emmenant un personnage d’importance. Evènement qui rappelle avec violence la finitude des humains. Toujours l’événement où la mort est la partenaire principale. Donc, une sélection des événements… Ceux qui illustrent le mieux le basculement de la vie dans la mort annoncée. Une femme aux yeux verts magnifiques marche maintenant avec un visage en ruine. Sa robe est en lainage fripé. Une main longue couverte de tavelures a encore de la noblesse. Des yeux verts seuls devant la mascarade mortuaire. La belle égalité de la mort… ?

L’apparition d’un arbre arrête d’un seul coup les pas, raffiné et puissant, n’ayant jamais flanché sous le poids de la neige et sous les rafales : sa vie plus forte que la mort est comme un remède à la sensation macabre de finitude.

Impuissance d’un homme. Corps usé. Vieillesse. Mais la femme persiste à aimer. Comme si, on pourrait imaginer, d’aimer à travers ces symptômes annonciateurs de la mort lui conférait une qualité et une image incontestables ! Comme elle est bien, cette femme ! Les signes de la mort ne l’impressionnent pas ! Comme à la mort, cet homme est tout à elle…

La femme médecin rencontrée devant le zinc d’un bar n’abandonne pas l’homme parlant de la prison – pas plus qu’un homme malade – lui qui ne possède pas plus de six cents mots a pris des cours par correspondance, et devient un gangster de haut niveau. En prison, dans le quartier de haute sécurité – mais on pourrait aussi dire dans un corps bridé par une grave maladie l’assignant à résidence – un grillage le sépare du ciel lui raconte-t-il, tout ça pour l’argent, puis quelqu ‘un qui, pour la première fois, lui fait confiance, alors étude de la philosophie, plus tard en prison la rencontre éblouissante avec un jeune homme lui fait découvrir une solitude commune, et son innocence, c’est son frère, son enfant, tous deux n’ont dans leur enfance pas connu la protection d’un père, ce jeune homme deviendra, évidemment, prêtre. La femme écoute toujours. A la sortie, Martine, la femme de sa vie, l’accueille, pour ainsi dire maternellement, le blessé de la vie, corps et âme couvert de cicatrices, il incarne le malfrat au grand cœur. Mais la femme médecin écoute le récit, et bien sûr dans ce qu’il ne lui dit pas elle entend sa fine émotion devant le sang qui gicle d’une oreille : médecin elle excelle bien sûr à débusquer le mal, voire le mal chronique, le mal triomphant, « Cette sorte de mise en examen que vous venez de subir face à une inconnue vous bouleverse. » A la maison, Martine regarde imperturbable son homme déjà en train de partir pour le pays d’où l’on ne revient pas. Le gangster est comme un homme atteint d’une maladie incurable. La femme médecin a écouté cette incurabilité, l’a annoncée, l’a certifiée, et l’homme se remet entre ses mains…

Une rêveuse fait des brasses dans une rivière tranquille, une vie de feuille finit dans la vase alourdie de boue, et plus tard peut-être se dissoudra-t-elle à jamais dans le goût salé de la mer… de la mère ?

La maladie le fait boiter depuis toujours. Importance de ce mot, toujours ! Mot qui, comme la mort, saisit d’emblée dans ses tenailles. Puis, SDF. Même protégé par une journaliste, on ne veut pas de lui, il ne sera pas hébergé. Il est comme un condamné à mort ! La nouvelle le campe dans le diagnostic de la mort annoncée, de l’incurabilité.

Des amants vivant dans la clandestinité. Aimer un homme qu’elle n’a pas le droit d’aimer. D’emblée, la mort de cet amour est annoncée. La partenaire de celle qui écrit est cette mort, il reste seulement à mettre à jour les symptômes, les signes, et dans la chute asséner le diagnostic. Lorsque le couple fait les courses, dans un semblant de conjugalité, il oublie son porte-monnaie, son chéquier, sa carte bleue. Autant de signes de la mort annoncée de cet amour adultère…

La mort fait coucou par la fenêtre, elle viendra trancher la vie de celle qu’il aime, ou la sienne. Toujours la mort annoncée… !

Un plâtre. Evocation du grand-père qui ne s’est jamais remis de sa jambe cassée. Toujours le négatif… Tibia déformé de la voisine qui était tombée de l’escabeau. Le plâtré ne reste pas au centre de l’attention, puisque chacun y va de sa fracture, et de séquelles… Le long du Gange, le corps du grand-père mort est porté à la crémation, les hommes alimentent le brasier, toute la famille est là. Tout le monde pour contempler la combustion finale, y regardant sans doute la leur, annoncée… Chacun est insignifiant pour l’autre et ses histoires qui accaparent l’attention et saoulent. Déjà, par le récit de votre histoire qui est violemment coupé par l’histoire que l’autre se permet de raconter aussitôt, vous avez un avant-goût de votre disparition annoncée, vous êtes déjà rien… Heureusement, la sœur accueille son frère plâtré dans la maison de campagne. Comme une sorte de giron. « Vous vous endormez comme un petit enfant… » La disparition finale se représente comme une régression dans le passé… Visite du potager. Ce calme serait ennuyeux s’il durait, mais là il redonne la vie comme un remède à la sensation d’insignifiance au sein de l’agitation sociale.

Veiller le corps qui se dégrade. Regard ouvert sur un abîme de ténèbres. Fascination de la narratrice pour le tableau clinique de la mort. Le fourgon, plus tard, roule au pas. Emporte la mère. Evocation du désir adultère, cet incendie. Mais même la plus violente passion ne peut séparer du mari. Lieu du repos éternel. Mais dans la nuit, la femme se glisse hors du lit conjugal, va se pencher sur le berceau de son enfant, puis rejoint l’étranger. Après l’amour, l’étranger lui sourit, heureux comme un petit enfant comblé de bonheur. L’enfant, l’amant : des remèdes, scandant l’incurabilité tapie dans la vie conjugale. La fidélité était justement une qualité prônée par cette mère que le fourgon emporte. Dieu merci, elle a toujours ignoré l’infidélité de sa fille. A lire : la part fidèle de la fille, Dieu merci, ne se laisse jamais faire par la part infidèle, si bien que cette fille, comme sa mère, se laisse emporter dans le fourgon de la vie toute tracée sans écart.

Dans un camp, la femme médecin pose son stéthoscope sur le torse des hommes. On pourrait dire, idem l’écrivaine. Grève de la faim dans ce camp. « Leur détermination à se laisser mourir était sans appel. » Les hommes politiques venaient se montrer, poussés par le tapage médiatique. Et aussi cet écrivain célèbre. Amitié entre lui et la femme médecin touchée par son intérêt pour cette cause. Les relations humaines ne seraient pas si négatives… Mais, plus tard, elle le rencontre, après des mois sans jamais se manifester. Il est pressé, il vient de publier un livre sur ce camp, le Salon du livre l’attend. Chute brutale de l’illusion ! Mort de l’illusion !

La grand-mère dans son fauteuil roulant, d’abord, imagine que ses enfants et petits-enfants ont pour elle sacrifié leur dimanche. Le mot « sacrifier » en dit d’ailleurs long sur la place qu’elle-même se donne dans la société humaine : elle n’est déjà plus tout à fait de ce monde… Elle essaie de se mettre au diapason de leur allégresse… Mais, sur la plage, la chute de l’illusion est brutale. Elle est clouée sur place au bord du trottoir, tandis qu’ils sont sur la plage. Vieille femme abandonnée, cet abandon étant l’annonce de la mort, de la tombe. Heureusement, un homme au torse d’athlète apparaît, captive le regard de la vieille dame, elle ne le quitte plus des yeux, elle s’imagine caresser ses fesses, glisser sa main dans le slip : elle a trouvé un remède, un anti-dépresseur, et sa famille revenant comme si de rien n’était de la plage la trouve très gaie.

Une clocharde à l’entrée du magasin. Un tableau de plus, avec cette nouvelle, pour faire le compte de l’écriture clinique de l’incurabilité, de la bouteille qui se vide. Elle vient voler au rayon alimentaire du Monoprix, et tant mieux si elle réussit : à sa misère il y a quelques remèdes qu’elle peut dérober… L’histoire qui l’a amenée là est, elle, enterrée depuis longtemps. Ce qui compte, c’est le tableau de l’incurabilité, c’est cette vie humaine qui n’échappera pas aux tenailles de la mort.

Un vieux commerce familial. Clous, vis, ficelle, etc. Les objets, les odeurs, les sons de cette boutique : l’enfance, le bien-être. Mais cet enveloppement est en train de se décomposer, tel le placenta de la vie. Les clients se font rares. Les grandes surfaces sont la mort annoncée de la petite boutique. Le vieux propriétaire, juste avant d’aller se pendre à la poutre de son magasin, suspend un écriteau : « Morte-saison sur la ficelle ». On aurait pu lire : Morte-saison sur le cordon !

Une vieille dame avec son goutte-à-goutte est soulagée après la dernière visite : elle savoure sa solitude. La douleur se calme, le repos s’élargit, sur la commode restent les objets qui ne serviront plus jamais. La mort est en train d’arriver. Impossible de fuir. Conclusion logique de ces nouvelles magistrales !

Alice Granger Guitard



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