lundi 14 décembre 2009 par penvins
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La garrigue brûle et ce n’est finalement pas bien grave semble dire Pierre Molaine. On est en 68 et son héros s’est retiré sur la Côte d’Azur où il écrit son testament tandis qu’autour de lui la Provence est en feu, symbole sans doute des barricades que Pierre Molaine traite de barricadettes. Plus grave que la flambée de violence au quartier latin, un monde est en train de disparaître et c’est sans doute le vrai sujet du livre. Pierre Molaine ne se reconnaît pas dans le monde nouveau, tout ce pour quoi il a vécu s’en va.
Etrange et symbolique le choix de l’auteur d’un héros chirurgien obstétricien qui n’en peut plus de s’occuper du ventre des femmes. Pour lui toute l’abomination du monde nouveau vient d’elles et de leur ventre qu’elles ont ouvert au tout venant comme ceux de ces femmes qu’il rencontre et qui se donnent à lui sans retenue. Mais le propos que l’on peut croire résolument misogyne est tout autre. Ce n’est pas tant des femmes en général qu’il s’agit que de celles de cette époque qui revendique le droit à la jouissance en oubliant ses devoirs ce qui pour l’auteur conduit tout droit à la disparition progressive des mâles vertus et, pour tout dire, [à] l’extinction de notre vouloir national.
Pour une génération qui a vécu l’impuissance de la nation face à la volonté de l’ennemi et qui ne s’est relevée que par la force de la volonté, Pierre Molaine a été le subordonné du colonel de Gaulle pendant la drôle de guerre, il y a là un tournant inacceptable. L’effondrement de toutes les valeurs auxquelles elle se rattachait. Mais là où l’auteur intervient c’est - comme on l’a dit - dans ce choix d’un chirurgien fatigué des ventres féminins et qui de page en page dans son journal tient des propos choquants sur les femmes en excluant tout d’abord sa mère puis finalement sans l’exclure ! Il y a sans doute dans le récit une raison que le lecteur découvrira. Ce qui est une véritable intuition de l’auteur c’est cette répugnante omniprésence du ventre maternel qui va devenir la marque du monde moderne. Si d’ailleurs nous n’avions pas bien compris le propos, Pierre Molaine insiste en inventant le personnage de l’ex-surveillant général, ce représentant déchu d’une société de devoirs et d’ordre qui ne cesse de s’en prendre à la mer et de lui jeter des cailloux !
Pierre Molaine fait partie d’une génération où les rôles étaient distribués et où le choix était simple entre la victoire rédemptrice et la défaite avilissante. Mais en cette année 68 : L’esprit de conquête, au sens valeureux du terme, se perd. L’esprit de jouissance le supplante […] on est en train de basculer, de passer d’une société de devoirs à une société de jouissance et le héros de La garrigue brûle qui sent bien, sans doute comme l’auteur lui-même, qu’il est arrivé au bout du chemin, se dit : Il appert que mourra effectivement avec moi, en totalité, ce pour quoi j’ai vécu
On a là un constat très fort, la désespérance d’une génération qui – à tort ou à raison – a l’impression que le passage de témoin ne se fera pas, que l’on assiste à une rupture telle l’on ne pourra transmettre. Je pensais aussi que mon humanisme, celui de mes parents et des ancêtres, conjonction de l’humanisme chrétien et de l’humanisme socratique, avait vécu. La présence tout au long du récit de ceux que l’auteur appelle les hommes tristes, et qui sont les malheureux, les humbles, que l’on voit ici sous la surveillance d’un moniteur et d’une infirmière jouisseurs, vient rappeler l’utilité de ces vertus de fraternité chrétienne, comme celle de l’instinct de prudence et d’équité […] qui assure de siècle en siècle les progrès de l’humanité […] et dont le héros déplore la disparition.
On a parlé à propos de Pierre Molaine d’un moraliste de l’absurde, ici beaucoup plus que de l’absurde il s’agit de désespoir, à travers le chirurgien et ses élèves on entrevoit facilement le professeur que fut l’auteur et ses réactions de dépit face aux nouveaux dictats de 68 : L’étudiante qui voulut me cracher au visage ne fit l’objet d’aucune poursuite, ni d’aucune sanction. Mieux ! L’autorité universitaire me somma quasiment de me justifier.
Ce roman est un roman posthume. Le héros du roman le dit bien, il sait que tout est fini, que ses mains ont commencé à le lâcher, il le sait d’autant mieux que sa maîtresse est morte sous les coups de son bistouri et c’est comme si l’auteur lui-même se savait d’un autre temps. Volonté de Pierre Molaine, ce roman comme bien d’autres ne sera pas édité de son vivant, les valeurs qu’il défend sont devenues indéfendables, la jeune génération s’en prend même aux prothèses, béquilles, médailles de ceux à qui ils doivent tout.
Pourtant Pierre Molaine continuera d’écrire, sans doute convaincu comme tout écrivain que l’écriture est la seule façon de transmettre à travers les générations.
Le temps passe et les lecteurs d’aujourd’hui peuvent juger tout autrement cette génération qui s’est battue pour la France et qui a toujours agi par devoir.
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