mardi 26 janvier 2010 par Tarrou
Pour imprimer
Dans ma mémoire, « Le grand troupeau » était un de ces livres sur la Provence, comme il a tant aimé en écrire… Et bien pas du tout !…
Il est vrai que les premières pages du livre, saisissantes et belles, nous décrivent bien un grand troupeau, mené par trois hommes, s’approchant du village.
Bien vite, nous apprenons que tous les jeunes hommes sont partis le matin par le train. Pour où ?… Pour la grande boucherie que sera la guerre 14-18… Giono va nous faire passer régulièrement de la guerre au village et à sa Provence éternelle. D’un côté la folie, de l’autre la nature avec ce qu’elle a de dur, de fort, de beau et de grand. En ce compris le désir des jeunes femmes pour ces hommes partis au loin. Un désir invincible, venant du fond de l’être, de la santé morale et physique.
Pour tenter d’apaiser ce désir, les jeunes femmes vont tout essayer : l’épuisement physique d’abord. Mais elles auront beau nourrir les bêtes, faucher les blés, marcher à ne plus en pouvoir, rien n’y fait !… « Pas même ce travail qui tue les nerfs. Pas même cette lourde fatigue videuse de tête. Quand elle est là cette fatigue, maintenant, quand on la sent peser dans le haut des cuisses. Ah ! Dieu, comment se défendre ? Et qu’est ce qu’on veut dominer ? Et de quoi on peut être maître avec seulement de la chair de femme ? On ne peut même pas renverser un garçon dans la paille sans perdre le sens…. Les flancs de Julia ont un ample roulement dans la marche. Cette rondeur qui est le milieu d’elle coule comme une vague de la mer. … c’est doux, c’est mûr comme la pêche qui tremble sous une abeille. »
Joseph, le mari de Julia est à la guerre, comme le tout jeune Olivier, l’amoureux de Madeleine, la sœur de Joseph. Et être à cette guerre c’est être sur une autre planète : celle de l’horreur sans nom, celle de l’acier vengeur, celle de l’aveuglement, du sang, de la mutilation, de la mort absurde ! Là est le vrai « Grand troupeau » : celui des hommes menés à la boucherie !
« Olivier criait. Il courait dans l’herbe et le feu. Il avait perdu son fusil. Il criait un long cri d’appel, toujours le même, à pleine bouche ronde. Ces grands coups de passe qui faisaient éclater la terre, cette fumée, ces éclairs, ces griffes chaudes qui déchiraient tout autour de lui, cet air roulé en mottes par les obus et qu’il recevait en plein ventre ; et, quoi faire contre du fer ?… Ca montait, ça gonflait ses joues, ça poussait des lèvres et il ouvrit sa bouche sur son hurlement d’homme seul qui recommençait. »
Et Giono de nous décrire la multitude des rats parcourant les cadavres humains jonchant la terre après l’assaut, ainsi que les corbeaux faisant leur travail de leur côté. Olivier va se retrouver au Mont Kemmel, pendant l’horrible bataille qui a si fortement marqué Erich-Maria Remarque du côté allemand… Et soudain : « Puis ça revenait au silence, non pas au beau silence des bruits d’herbe, mais à ce silence épais et lourd, ce silence de dessus de couvercle, cet air étouffé entre la gorge d’eau morte, noyée, et les lourds nuages à gros muscles qui semblaient mouiller la lessive du monde. On ne voyait pas les nuages dans cette nuit. On les sentait, on les entendait passer et se tordre ; on en avait le poids sur les épaules et sur le cœur. »
Le style de Giono… Ah !… Pour avoir du style, il en avait !… Mais on me dira « élitiste »…Tant pis ! A chacun son plaisir !
Oublions deux minutes que Giono n’est plus aussi lu qu’il y a deux ou trois dizaines d’années ! Il n’en reste pas moins vrai qu’il a écrit des livres exceptionnels ! Et celui-ci en est un !…
Lisez ce livre et vous êtes certain de ne pas lire ce que 90 pour cent des auteurs français écrivent aujourd’hui (selon Djian) !
Livres du même auteur
et autres lectures...
Copyright e-litterature.net
toute reproduction ne peut se faire sans l'autorisation de l'auteur de la Note ET lien avec Exigence: Littérature