Les Cahiers Rouges - Grasset - 1931
samedi 26 mars 2005 par penvinsPour imprimer
Pour moi Chardonne n'est pas un auteur facile, alors que l'on est tout de suite plongé dans l'univers populaire de Céline, l'univers de grande bourgeoisie de Chardonne nous est étranger. La conception romantique du couple qui sous-tend cette œuvre est bien désuète et l'idéal de tranquillité d'un homme qui préféra l'Allemagne à la guerre nous est suspect. Pourtant, et c'est ce qui compte ici, quand on lit un petit bijou comme l'est Claire on sait que l'on se trouve devant un écrivain qui compte. On discutera si l'on veut des idées ensuite, ce qui importe c'est l'œuvre: Ce qui est fait et demeure fait, à l'aide de la main, dit le Littré. L'œuvre c'est à la fois l'édifice et le travail qu'il a fallu pour le construire, la quête d'un absolu et l'humilité du travail bien fait qui en témoigne. Claire c'est donc cela, ce pourrait être un roman à l'eau de rose sur l'échec d'un couple confronté à la réalité du mariage et aux aspirations divergentes des sexes, c'est tout le contraire.
Il faut lire ce roman à rebours de ce que l'on en dit non comme un livre obsédé par la mort mais à l'inverse comme une grande leçon de vie. Romancier du couple dit-on de Chardonne en l'opposant aux romanciers de son époque qui auraient plutôt fait la part belle aux amours clandestines: évidemment Claire est un roman sur le couple et tout particulièrement sur le mariage mais c'est aussi le roman d'une impasse, d'une incompréhension permanente entre un homme qui aimerait rester libre et une femme qui rêve d'une famille: Claire ne tolère pas un manque d'égard envers la famille. Pour elle, la famille, c'est la poésie; elle y voit je ne sais quoi de merveilleux parce qu'elle en fut privée. Une impasse absolue puisque Claire en mourra, mourra de devenir mère, c'est-à-dire surtout d'avoir voulu asseoir sa légitimité, parce qu'il lui semblait en raison de son passé d'enfant non reconnue mais aussi de sa liaison avec Jean qu'on ne la voyait pas comme sa femme .
La quête de Chardonne est une quête du bonheur, on l'analyserait sans doute aujourd'hui à la lumière de la psychanalyse - ou à son obscurantisme, c'est selon -comme mortifère. Il y aurait pourtant un contresens à voir dans cette philosophie du bonheur une sorte de cocooning, de retour sclérosant à la paix utérine. C'est tout autre chose. Parce qu'il s'agit bien de vivre: Il nous manque le commencement de la sagesse: aimer le plaisir. Celui qui saurait reconnaître les vrais plaisirs et qui pourrait les goûter se contenterait de peu. Mais le plaisir ne s'obtient que dans la sagesse et l'humilité, cultiver son jardin comme disait Voltaire et comme le faisait Chardonne. Parce que le bonheur c'est l'acceptation de la condition humaine, toutes choses que l'arrogance moderne a oubliées.
L'œuvre de Chardonne s'écrit dans ces années 30, et l'on entend venir le grand basculement du milieu du siècle, la possibilité du bonheur est en train de disparaître, la machine que l'Europe a inventée s'oppose à la civilisation et à la morale qu'elle a créée. Des biens précieux vont périr dans un conflit de forces vitales. Et plus loin: Nous avons reçu tout ce que la terre pourra jamais donner... C'est terrible!...
Ce bonheur-là, ce n'est donc pas uniquement le bonheur du couple, c'est beaucoup plus: un savoir profiter de la vie, un impossible lieu hors des contraintes sociales et notamment celles de l'argent: C'est l'argent qui vous oblige à vivre comme tout le monde. Mais Claire a un tel besoin de retrouver une légitimité, de s'insérer dans la vie sociale, que le bonheur va devenir impossible.
Comme l'écrit Chardonne: On ne peut pas comparer les jugements des contemporains avec ceux de la postérité. Il ne s'agit pas des mêmes hommes, ni des mêmes livres. La distance en effet change la perspective. On ne peut plus lire Claire simplement comme un roman sur le couple, ce qu'il est bien sûr, on y a vu une sorte d'hymne à la fidélité soulignant que le personnage de Lorna marquait un tournant dans le roman, ce qui est vrai, mais comment ne pas y lire aussi et surtout cette étrange plainte: Aujourd'hui, on dirait que l'amour va disparaître du monde. À peine en France quelques spécialistes y font allusion.
Chardonne fait mourir son héroïne quand elle va devenir mère, cesser d'être l'amante, obtenir enfin le statut social qu'elle a toujours espéré. On pourrait dire qu'il n'en veut plus parce qu'elle entre dans la sphère sociale. Alors elle cesse d'être une femme désirable et rejoint la mère qui sur son lit de mort lui avait fait promettre de l'épouser. Comme s'il y avait une limite à ne pas dépasser, que le couple reconnu par la société - en tout cas par cette société en voie de disparition - ne pouvait que mourir avec elle.
[...] quand je vois une gentille petite maison sous les ombrages, comme celle du jardinier, cela me serre le cœur...Je me dis qu'un jour tout le monde en possédera une semblable, avec des voisins tolérants, des loisirs, des livres et de bonnes lois... Alors commencera quelque chose d'épouvantable... car notre tâche sera terminée.
Penvins
26/03/2005
Messages
1. Claire - Jacques Chardonne , 31 mars 2007, 23:55, par rolland
pour moi cet auteur est un pur poète,ce qui fait que je l’aime comme on aime un visage,une couleur,un parfum,sans se triturer l’esprit sur ce qui est ou non politiquement correct dans sa vie ou ses idées.C’est un artiste du verbe,du style,et c’est au fond assez rare - surtout aujourd’hui -pour qu’on s’incline devant une vraie personnalité littéraire.