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Léonore toujours, Christine Angot

Editions du Seuil, collection Fiction & Cie, réédition 2010.

jeudi 29 avril 2010 par Alice Granger

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Christine Angot réédite ce texte dédié à sa fille Léonore publié en 1993. Elle est revenue sur ce texte, l’a entièrement revu, prévient l’éditeur.

La chose la plus importante : ce retour ! Quel besoin d’y revenir ? Dans quel intervalle actuel ? Est-ce une fermeture du cercle sur lui-même, ou bien l’inscription du pas d’une spirale, le cercle ne pouvant pas se refermer ?

Dans quelle mesure ce retour de Christine Angot sur un texte publié en 1993 est-il en vérité une lecture ? Revient-elle en lectrice de sa propre œuvre ?

Le livre commence ainsi : « J’ai donné la vie. Ça m’a tuée, j’en avais une seule. Je n’écris plus. Depuis aujourd’hui. Ça, ça ne s’appelle pas écrire, ça s’appelle marquer. Je marquerai chaque jour quelque chose sur elle, au moins une ligne. Il n’y a qu’elle. Que ça. Que ça. Qui m’a tuée. » Léonore a un mois, est extraordinairement sage, la jeune mère pleure tout le temps. « Je vais la perturber. Je ne veux pas faire d’inceste avec elle physiquement. » Cette fille à laquelle elle a donné la vie l’a tuée, et a arrêté son écriture. Ce retour : aussi un moment d’arrêt de l’écriture ? Qui est tuée ? Expulser la vie à l’extérieur se fait simultanément avec l’expulsion du placenta, super organe en creux dont la mère en gestation était pourvue. Placenta écriture ? Pendant une éternité, Christine ne pouvait pas se voir comme une autre, elle en gestation, telle l’écrivaine en gestation, faisait attendre non seulement sa nidation en temps réel mais aussi son deuil. Ces premières lignes du livre font entendre la douleur infinie d’une castration qui stoppe net une certaine écriture. Celle-ci, c’est fini ! Celle qui écrivait est tuée. Il faut l’entendre à la lettre ! C’est vrai ! Tout est vrai ! La jeune mère voit dans cette nouvelle née si belle et si sage sa propre castration, qu’elle vit au niveau de l’écriture : ce qu’elle marque désormais, ce n’est plus l’écriture d’avant, métaphore de la production folle de placenta dans lequel va se nider l’œuf qui sera une fille. La jeune mère profondément castrée est immensément mélancolique, elle pleure, le flot continu des larmes emporte les débris de l’enveloppe placentaire scripturale. Elle ne veut pas pénétrer physiquement sa fille comme son père avait commis sur elle l’inceste par voie rectale. Pourtant dans un vertige elle pourrait faire comme son père sur elle. Elle pourrait revenir l’emboîter littéralement, et d’ailleurs ce texte n’est-il pas une tentative folle de rester en train de marquer sa fille, d’être reliée à elle telle l’enveloppe placentaire au fœtus qui est une fille, qui ne peut être qu’une fille. Se pose la question : qu’est-ce qu’une fille ? Angot est sûre : c’est une fille qu’elle désirait, en aucun cas un garçon ! Un être sexué ! Elle écrit ce désir de donner à la vie une fille, et, comme par hasard, le texte qui lui est dédié s’inaugure par une violente sensation de castration. N’est-elle pas en train de sentir dans sa chair ce que c’est qu’être fille : être privée de cet organe ! Donnant à la vie une fille, elle a perdu le super organe en creux qui n’arrêtait pas de produire de l’écriture qui abritait en son sein un bébé fille écrivaine. Il n’y a que ça, qu’elle, cette fille donnée à la vie, mais aussi cette perte irrémédiable de l’organe intérieur fabuleusement puissant ! Une fille est un être castré ! La mélancolie de la jeune mère suit à l’infini la perte de l’organe intérieur creux. Et la perte, en même temps, de l’enfant imaginaire. Qui, comme par hasard, meurt à la fin du livre, emporté par une hémorragie interne consécutive à une chute. Car Léonore dans le livre meurt tout doucement. C’est-à-dire la fille imaginaire, celle qui était à l’intérieur du ventre scriptural et réel de Christine. La fille réelle, celle qui est donnée à la vie, lentement et sûrement, se détache de la fille imaginaire qui est, celle-là, parfaitement en symbiose avec sa mère, elles ne font qu’une à ce stade-là. L’hémorragie interne qui entraîne la mort de la fille imaginaire, c’est aussi le placenta hémorragique, le sang de l’accouchement, c’est de l’intérieur de la mère que ça saigne. Le sang qui coule du nez de la petite fille, c’est la même chose que le sang de l’accouchement. La jeune mère qui donne à la vie une fille non seulement meurt elle-même en tant que matrice, que femme pourvue d’un super-organe en creux (même en tant que femme, elle est devenue moche, dit-elle, c’est-à-dire que rien en elle n’invite à la pénétrer sexuellement, alors qu’elle fut une fille qu’on imagine toute pénétrée de l’amour de sa mère et qu’elle fut une adolescente réellement pénétrée par son père par voie rectale c’est-à-dire un orifice qui est fait pour expulser tandis qu’elle, elle inversait, elle accueillait en elle, tel l’ovule d’origine maternelle avale la tête du spermatozoïde élu), mais aussi, elle réussit dans ce texte à faire mourir la fille imaginaire, à la tuer. Celle qui reste, à l’extérieur, sur terre, dans la vie, c’est une autre fille, détachée de sa mère, donc castrée de l’organe en creux qui n’arrêtait pas de la marquer pour ne pas couper le cordon ombilical. A la fin, le cordon ombilical est coupé, et la fille Léonore est privée du marquage de sa mère, cette mère qui imagine sa fille bien baisée, c’est-à-dire follement pénétrée jusqu’à l’orgasme, l’éclatement, cette mère pour laquelle la fille c’est un organe en creux dans lequel follement un homme à l’image de son père perd la tête tel le spermatozoïde dans l’ovule. Cette jeune mère examine, à l’occasion d’un changement de couche, le sexe de sa fille, et constate que le trou existe, et qu’il n’est pas si petit que ça. Cette petite fille d’un mois est donc pénétrable, sa mère elle-même la pénètre en s’identifiant à elle comme un être totalement, passivement, pénétrable, cet être qu’elle fut pour sa mère, tout pour sa mère, puis entre les mains de son père. La mère regarde sa bébée fille, et la voit tout entière sexe de fille, trou envahi par le sexe d’un homme qui va la faire imploser. Il y a une incroyable ressemblance entre cette mère qui souhaite à sa fille de se faire bien baiser, et ce père qui pénétra sa fille de quatorze ans par voie rectale, cette fille trou attirant en elle son père sans pouvoir l’expulser, alors même qu’il emprunte la voie de l’expulsion. Elle aurait dû expulser son père tel un excrément, mais au contraire l’inceste avec ce père en a fait un réflexe inversé, rétention, constipation, n’arrêtant pas, en somme, de vouloir avoir la sensation de ce qui a été mis en elle, à savoir cette fille, qui plus tard s’incarnera en Léonore qui sera, elle, expulsable, bien qu’avec grande difficulté.

La fille imaginaire Christine Angot s’est incarnée en Léonore, et ainsi Christine peut enfin l’expulser hors d’elle, partant avec le déchet sanguinolent qu’est le placenta qui ne sert plus à rien. Jusque-là, la voie rectale empruntée par le père n’était-elle pas un équivalent d’accès au dedans matriciel, la jeune adolescente s’incarnant en pur utérus se laissant remplir ? En même temps, voici un père qui, on imagine, avait trouvé ce moyen de ne pas engrosser sa fille… De ne pas la remplir réellement. Il ne l’a remplie que de manière imaginaire, en la pénétrant réellement, en sentant son corps réel faisant perdre la tête mais pas le nord. Le père avait engrossé la mère de Christine, mais il n’a pas engrossé Christine sa fille… L’écrivaine Christine Angot écrivant à propos de son père est forcée de le traiter en déchet, en excrément, par-delà son réflexe sphinctérien inversé, toute son écriture autour de l’inceste vise à expulser son père…

Ce formidable et très dérangeant texte présenté comme à usage privé sur l’idylle d’une jeune mère avec sa fille qu’elle vient d’avoir, dans lequel elle se défend d’être une mère poule, mais la marque sans fin, toujours dit-elle, comme on dit de quelqu’un toujours sur les talons, qui ne lâche jamais les baskets, aboutit à cette phrase : « Aujourd’hui, si je devais écrire une seule phrase, ce serait : Léonore, je n’en peux plus. » En effet, dans ce texte comme dans chaque texte de Christine Angot, surgit la question de la fatigue, de l’épuisement. Fatiguée à en tomber. Il n’y avait plus que ça, l’histoire d’amour, l’inceste, la fille, plus que ça qui prenait toute la place, toute l’énergie, toutes les pensées, toutes les journées, tout le temps et l’espace, comme une pensée monstrueusement totalitaire, envahissement, maligne, exigeante, jalouse, exclusive. Et l’énergie est toujours totalement pompée jusqu’à la dernière goutte. Comme le sperme du père aspiré monstrueusement, le laissant telle une loque, décérébré. Christine Angot, en écrivant sa fatigue inouïe, reste comme une enveloppe vidée de son contenu, comme des testicules vidés de leur semence, castrée, aussi.

« Depuis quelque jours j’appelle Léonore ma Luminen. Mon équilibre s’installe avec elle, s’améliore. Je sens ma folie qui s’en va. Je l’aime, oh ! ça, je continue de l’aimer. Mais sans m’inquiéter. » Voilà : la lumière ! La mère aussi ouvre les yeux sur la lumière du dehors radical, elle aussi se donne à la lumière au fur et à mesure qu’elle fait le deuil de sa fille imaginaire, c’est-à-dire d’elle-même fille capturée d’amour. Sa fille dort. « A l’intérieur du sommeil je n’ai pas accès. » Elle ne peut toujours pénétrer la vie de sa fille par l’écriture, le marquage.

Dans ce texte, le père de Léonore est très important. Il est très présent, s’occupe en parfait père d’aujourd’hui de sa fille, et en même temps à la suite de l’accouchement Christine s’impose de plus en plus comme non pénétrable, non désirable, elle est énervée, déstabilisante. Peu à peu, tandis que de longs passages du carnet que tient Claude sont cités, par lesquels il existe vraiment, a une place d’écriture, il est accueilli au sein de l’écriture de Christine, voici qu’on le sent s’éloigner, la séparation est annoncée. Christine, la fille qui avait un réflexe d’expulsion inversé, voici que cet homme, Claude, le père de Léonore, elle le laisse sortir de sa vie ! Il est en train de la quitter parce qu’elle n’est pas vivable, pas pénétrable. Claude s’éloigne aussi de sa fille. C’est un père s’éloignant, comme inscrivant une sorte de séparation, même si ensuite il ne perdra pas le contact. Le plus important, ne serait-ce pas ce père capable de se sevrer d’un contact direct quotidien avec sa fille. Capable d’inscrire une distance, une coupure ?

Un texte très important ! Qui nous donne cette impatience de lire ce qu’écrira désormais Christine Angot !

Alice Granger Guitard (Alitheia Belisama)



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