vendredi 30 avril 2010 par penvins
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Nouvelle parue en 1943 sous un pseudonyme, « Les amants d’Avignon » fera partie du recueil intitulé ’Le Premier accroc coûte deux cents francs’ qui reçut le prix Goncourt en 1945. Elle est rééditée dans la collection Folio 2 € et c’est un vrai bonheur que de la redécouvrir.
Evidemment le texte est admirablement écrit, il est écrit de sorte que l’on entre dans l’univers de Juliette en se rendant compte petit à petit de son activité de résistante, on entre avec elle dans cette clandestinité qui fait son quotidien et l’on fait comme elle abstraction de tout ce qui nuirait à l’efficacité du réseau. Ecrite en 1942 cette nouvelle nous plonge dans l’atmosphère de l’occupation, une époque de privations et de peurs décrite au plus près sans coup d’éclat ni héroïsme ostentatoire. Juliette a pris le chemin du maquis, accepté de dormir dans des maisons isolées, infestées de rats, là où on l’envoie - sans se poser d’autres questions - parce qu’elle a l’espoir de sortir de cette grisaille quotidienne, parce qu’elle ne supporte pas la présence de l’occupant et qu’elle ne doute pas que le pays recouvrera sa liberté. Nous la voyons accomplir sa mission, nous la sentons parfois bouillir et se mettre en danger tant elle est impatiente de vivre dans un monde libre et son attitude apparaît comme une absolue nécessité, elle sait qu’elle n’a pas le choix et cela la rend insensible à la peur.
C’est comme ça qu’elle était : quand il y avait le choix, elle avait peur, elle avait froid, elle était fatiguée. Quand il n’y avait pas le choix... Y avait-il le choix en 1942 ?<br>
Juliette est belle comme une actrice de cinéma - c’est ainsi qu’elle est décrite dès la première page - et elle rêve d’amour, d’un homme comme ces acteurs américains qu’elle a vus sur les écrans - les références au cinéma sont d’ailleurs omniprésentes comme en contrepoint de la grisaille ambiante d’autant plus insupportable que l’on est au moment de Noël.
Il y aura un moment de bonheur en Avignon, tout en haut du Fort Saint André, le soleil, les parfums des plantes aromatiques et puis presque un repas de Fête. Les inscriptions d’amoureux qui reviennent tous les ans dans ce Fort donnent sans doute l’espoir de vivre des années et des années avant que la mort ne se montre et que la mission ne reprenne, Avignon, elle aussi, est devenue allemande.
A l’opposé d’Avignon qui, un temps, fut une ville lumineuse, Lyon est un ville sombre, sale et secrète, c’est là que se joue le jeu de cache-cache entre la Gestapo et la Résistance, Elsa Triolet nous perd dans le dédale des traboules où elle parvient à semer l’occupant, on est au cœur de la guerre et l’on entrevoit déjà la victoire. Cette proximité de la victoire d’une certaine manière rend le sacrifice plus cruel : Plus la fin est proche et plus je me ronge... C’est insupportable de penser que des hommes périssent à la veille de la victoire !
Cette nouvelle sera publiée sous un pseudonyme, elle raconte la vie quotidienne de ceux qui se battent, témoignage pour le futur sans doute, mais surtout pour le présent, façon de faire passer le message.
Bien sûr l’attachement d’Elsa Triolet à la Russie et le manque de discernement dont elle et Aragon auront fait preuve vis-à-vis de l’Union soviétique leur auront valu beaucoup d’ennemis ainsi qu’une profonde défiance envers une littérature qualifiée d’engagée, mais quand la littérature et la vie sont à ce point indivisibles c’est, bien sûr, la vie qui est engagée et ce n’est plus déshonorant, bien au contraire. Et surtout la littérature est pleinement dans son rôle quand elle nous fait revivre au plus près l’atmosphère de ces jours sombres au cours desquels une jolie dactylo se met au service de ceux qui résistent, simplement parce qu’ils n’acceptent pas de voir le pays occupé et la grisaille - notamment celle des uniformes feldgrau - gris terreux - recouvrir la vie lumineuse dont elle rêve.
Le titre en porte le témoignage, il s’agit ici d’un hymne à la vie, l’héroïsme n’a rien de sacrificiel ni de morbide, il n’est pas non plus le fruit d’un engagement militant, il est au contraire simple refus de se voir privé de sa liberté de vivre et d’aimer et Elsa Triolet le dit à sa manière exclusivement littéraire.
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