Roger Dadoun, Editions Zulma, 2005
lundi 25 avril 2005 par Alice GrangerPour imprimer
Roger Dadoun a écrit ce livre très combatif pour susciter un mouvement d’ardente revendication et de reconnaissance du troisième âge, cet âge agonique , du grec agon, qui signifie "combat" et "jeux", afin que, en ce troisième millénaire où le grand âge augmente en nombre et en potentiel politique, il soit capable d’affronter une société "dominée par des fantasmes d’impétueuse jeunesse et les emballements hargneux des matures et des ’m’as-tu vu’ dans ’la force de l’âge’".
Le grand âge, l’âge agonique, est l’âge de la lutte par excellence, écrit-il. Car la vieillesse est au croisement de multiples violences. Celle du corps, proie de maux de toutes sortes, celle de la société, obsédée de productivité, de rentabilité, celle de l’âme, rongée de plaies purulentes, pertes, deuils, mémoire accablante. Par cette lutte imposée, la vieillesse est sommée d’aller vers l’excellence, vers le meilleur d’elle-même. Et le meilleur de soi, c’est la durée, c’est le temps. Etre vieux, c’est avoir le temps, c’est-à-dire cumuler les avoirs du temps.
Au lieu de situer les personnes âgées aux côtés de l’enfant impuissant et de la femme abusée, au lieu de les voir comme des êtres affaiblis, décomptés, cible des pulsions de violence qui animent les individus et les foules et les communautés, Roger Dadoun évoque ces temps anciens où les hommes et les femmes chargés d’ans assumaient une fonction vitale de conservation, de transmission, de contexture parentale et d’autorégulation du groupe préhistorique. Il faudrait promouvoir une revendication sociopolitique visant à rétablir la vieillesse dans ses droits, à savoir dans un rôle de premier plan dans la recomposition d’une culture humaine qui donnerait sa juste place créatrice à la durée comme fondement d’humanité, à l’expérience comme savoir sensible, à des systèmes de relations réglés sur un principe de sagesse.
Dadoun évoque le mythe faustien de Goethe comme une formidable machine de guerre imaginaire contre la vieillesse. De même "La peau de chagrin" de Balzac, et "Le portrait de Dorian Gray" d’Oscar Wilde. Dans la Bible, Booz (lire aussi le poème de Victor Hugo sur "Booz endormi", "Où l’on voit de la flamme aux yeux des jeunes gens,/ Mais dans l’œil du vieillard on voit de la lumière") est un beau vieillard, "Sa barbe était d’argent comme un ruisseau d’avril" (Victor Hugo), une sorte de nouvelle et étonnante jeunesse. "Et ce songe était tel, que Booz vit un chêne / Qui, sorti de son ventre, allait jusqu’au ciel bleu." Autre sorte de matrice, matrice octogénaire, qui est génératrice de vigueur vitale et combattive, au contraire de la résignation à la mort. Rêve érotique, mais pas seulement. Soi s’élançant comme un vigoureux chêne, vieillard biblique générateur d’une légendaire postérité, poème de Victor Hugo faisant revenir cette potentialité créatrice du grand âge. La Bible est pleine d’enfants nés de parents de grand âge : Isaac fils d’Abraham et de Sara, Rébecca longtemps stérile qui enfante les jumeaux Esaü et Jacob, Jean fils de Zacharie et Elisabeth.
La Bible, souligne Roger Dadoun, accorde à la vieillesse une position privilégiée, prestigieuse et prodigieusement créatrice.
Vieillir, c’est veiller, écrit Roger Dadoun. Ne pas se résigner. Lever les tabous sur la sexualité du troisième âge.
Bref, une lutte ardente, à mener soi-même, pour la vitalité et la vérité de soi, un soi très précieux, une conscience de soi à toute épreuve, un combat pour ne jamais se résigner à être rangé des voitures.
Et là, Roger Dadoun cite beaucoup d’artistes, d’écrivains, de gens célèbres, dont la vieillesse fut la période la plus riche de leur vie, entre merveille et horreur. Plus la mort se profilait, plus la vie bataillait et s’avérait riche. Freud, Victor Hugo, Picasso érotique, Monet et ses Nymphéas dont le rayonnement comble le regard, Matisse qui, approchant de la fin, donne le sentiment de jouir d’une liberté sans limite, Marie Bonaparte, Hélène Deutsch, Octave Mannoni, et tant d’autres ! De même qu’il faut au tout-petit une bonne dose de narcissisme pour étayer la construction de sa personnalité, il en faut encore plus aux personnes âgées pour résister au démantèlement de leur personnalité.
En lisant ce beau et très tonique livre de Roger Dadoun, il nous vient à l’esprit que c’est presque un devoir des personnes au seuil de la vieillesse de lutter, de se lancer dans ce combat agonique, ceci très tôt, afin de s’opposer, en restant très vivant justement en frayant avec la mort qui se pointe, et en se ressourçant par un travail de mémoire et de reconstruction et de reprises du passé, en bataillant pour affirmer expériences, idées, pensées, à ce que la jeunesse ait à signifier la mort à leurs aînés, afin que la vie ne soit jamais dominée par ce signifiant de mort. Signifier la mort à leurs aînés comme à leurs parents, c’est chose horrible pour la jeunesse qui monte, c’est les paralyser par le sentiment de culpabilité par-delà le meurtre facile de l’aîné ou du père ou du chef de la horde primitive. J’arrive et mon arrivée te signifie, à toi le vieux, à toi la vieille, qu’en puissance vous allez mourir, que c’est des bénéfices de votre mort annoncée que moi je vis : quelle horreur ! Vivre cerné par le fait que ma vie, à moi le jeune ou le mature dans la force de l’âge, signifie tous ces déjà vite vieux rangés des voitures en puissance ! Alors, la mort a une telle puissance ! Une telle violence !
Est-ce vrai que vous allez mourir ? Est-ce vrai que vous êtes rangés des voitures ? Est-ce vrai que pour nous, vous voulez valoir par ce que votre mort va nous laisser ? Est-ce vrai que votre mort nous offre d’infinis bénéfices secondaires ? Est-ce vrai que la mort… ?
Non ! Nous sommes bien vivants ! Nous tenons à la vie ! L’horreur est encore merveilleuse ! Et nos biens, nous en profitons encore ! Paradigme de vie, et non pas de résignation !
Assurément, ce livre de Roger Dadoun nous invite, de manière vigoureuse, à réfléchir sur une des questions les plus urgentes de notre époque !
Alice Granger Guitard
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Messages
1. Manifeste pour une vieillesse ardente, 21 septembre 2008, 19:40, par fiflefen
Je suis en train de lire ce très “thought provoking” livre et suis ravie de voir cette revue signée par une femme ; le contenu du livre est d’utilité publique c’est évident ; une question se pose cependant sur l’auteur : ignore-t-il qu’il existe des humains femelles dotés de raison et même de savoir ? je n’ai pas rencontré, fut-ce l’ombre d’une femme dans son ouvrage. c’est troublant ne trouvez-vous pas ?
1. Manifeste pour une vieillesse ardente, 18 novembre 2008, 21:34, par roger dadoun
quant au reproche ci-dessus, je cite dans mon livre :
anna freud
melanie klein
lou andreas-salomé
marie bonaparte
muriel gardiner
helene deutsch
gertrud stein
claire goll
antoinette fouque
ruth - sara - rebecca - elisabeth
gonerille - regane - cordelia
la dame-aux-clebs, etc. etc. etc.
2. Manifeste pour une vieillesse ardente, 20 novembre 2008, 09:01
Merci à Roger Dadoun de me faire un petit signe indirect par ce forum ! C’est mieux que rien !
Alice Granger