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La femme du métro - Ménis Koumandaréas
dimanche 6 juin 2010 par Nikos Graikos

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Quidam éditeur, Paris 2010

Mènis Koumandarèas, une des plus belles plumes grecques contemporaines, n’arrête pas de nous étonner depuis sa première œuvre parue en 1962.

Mènis Koumandarèas est un fin observateur du milieu urbain, de la vie athénienne plus particulièrement. Il se distingue bien de la thématique que le public international attribue facilement à la prose grecque : l’étude des mœurs, une certaine ruralité mêlée à un brin d’exotisme. Traducteur, entre autres, des plusieurs œuvres de E. A. Poe, H. Melville, E. Hemingway, C. Mac Cullers, W. Faulkner, Fr. Sc. Fitzgerald, il a coordonné ses pas avec les grands écrivains de notre époque sans perdre la notion d’appartenance à un monde spécifique qu’il connaît si bien.

Ces dernières années il s’est essayé à des compositions beaucoup plus vastes en s’aventurant vers des sujets qui ont désorienté ses lecteurs fidèles. Le « Deux fois Grec » et « Noë » nous ont offert, malgré nos objections, certaines pages d’anthologie qui ne seront pas facilement oubliées. Mais les livres qui vont rester emblématiques dans la littérature grecque moderne sont ses œuvres où avec peu de moyens, finement maîtrisés, il nous a offert l’observation d’une certaine Athènes, souvent bien délimitée géographiquement : le quartier de la place Victoria et autour de l’avenue Alexandras et socialement : les classes moyennes ou la petite bourgeoisie.

Considéré comme le maître de l’écriture psychologique et de l’ellipse, du non dit et de la suggestion, il nous a offert la meilleure évocation du désir entre hommes. Un désir dévastateur, enrichissant, capital qui ne se réalise pas mais qui conditionne la vie de ses héros. Nous citons comme exemples deux titres Le beau capitaine paru aux éditions le Griot en 1993 et la nouvelle Christos aux éditions Sepia en 1998 magnifiquement illustré par A. Pierrakos. Tous les deux traduits par Michel Volkovitch ces livres montrent bien l’univers de Mènis Koumandarèas et sa « longue série de personnages, une variation de plus sur le thème qui obsède l’auteur : la jeunesse et la beauté perdues » selon le traducteur.

La récente publication de La Femme du métro par Quidam éditeur dans la collection Made in Europe comble un manque puisqu’il s’agit d’un des meilleurs textes de cet auteur qui mérite d’être découvert par ceux qui ne le connaissent pas. Michel Volkovitch, est un inépuisable traducteur, il pourrait inspirer tout seul un écrivain par son obstination à faire connaître la littérature grecque moderne depuis tant d’années. Les méandres de l’édition et les enjeux économiques qui guident les choix éditoriaux empêchent souvent à ses traductions de trouver leur public. Mais à l’instar du site qui héberge ses lignes, Michel Volkovitch en faisant recours à la fonction initiale de l’internet, la démocratisation des savoirs et la création d’un réseau de communication parallèle voir hostile au blocage des mass média, nous livre ses travaux sur son site (www.volkovitch.com).

Enseignant de grec moderne–langue étrangère de longue date, nous avons eu le plaisir d’enseigner ce texte. Nous gardons un souvenir ému des cours passés avec ce petit bijou. Présenter « kyria Koula » à des élèves qui sont souvent préoccupés par la compréhension d’un texte ou même les difficultés formelles qu’il présente et les voir emportés par la beauté du rythme et de la musicalité de cette écriture a été un moment inoubliable dans notre vie de professeur. Ce n’est pas un critère proprement dit littéraire, mais un texte disséqué pour les besoins de l’enseignement perd la plupart du temps sa saveur initiale. Au contraire un texte bien écrit conduit les élèves à un monde insoupçonnable, les oblige, sous le charme de l’écriture, à oublier leur rôle d’apprenant et à devenir de simples lecteurs touchés par l’émotion suscitée.

Si la grâce et le ton juste du livre nous font partager l’avis de Michel Volkovitch qui parle d’un écrivain arrivé par ce cinquième livre au sommet de son art, nous ne pouvons que réagir à la limitation de cet univers à une histoire où « le bonheur et la jeunesse ne sont que songes éveillés qui passent à toute allure, tandis que la vie s’étire sans fin » comme dit la présentation de ce livre par une librairie en ligne.
En effet la capacité de Koumandaréas à décrire l’évolution de ses personnages et les lieux où ils évoluent ne devrait pas nous faire oublier l’époque de l’écriture de cette longue nouvelle. C’est la Grèce des années 70 juste après la chute de la dictature des colonels, une période pleine d’espoir qui malheureusement dans son effervescence politique a souvent laissé de côté la vie intime et a fait oublier qu’un avancement social ne devrait jamais laisser pour compte l’épanouissement personnel. Si les héros de cette nouvelle nous amènent avec eux dans les subtilités du désir et de la vie intime, ils nous invitent à réfléchir sur le sens que prend notre quotidien.
Le grand jeu entre discours direct et indirect que l’auteur réussit admirablement donne une pièce musicale semblable à une pièce pour musique de chambre en transformant un long dialogue en mélodie subtile. La traduction transmet bien ce rythme et nous laisse nous sentir envoûtés par ce jeu de phrases courtes et de descriptions minutieuses en quelques mots seulement. Nous regrettons parfois certaines imperfections qui ne nous donnent pas le même niveau de langue et atténuent quelque part le heurt de deux mondes, celui de Koula et celui de Mimis.

Ménis Koumandaréas avait déclaré dans une interview à la revue DIABAZO (lire) qu’à l’instar de Flaubert il peut dire que « Koula c’est moi ». C’est peut être avec cette phrase que nous pouvons chercher l’émotion suscitée par ce livre à l’époque de sa première publication. La littérature grecque par la voix de cet auteur permettait enfin de parler de l’intime et de la subtilité des sentiments sans oublier les paramètres sociaux. Les deux héros ne représentent pas seulement deux âges différents mais également deux milieux sociaux.

Koula rentre chez elle à la fin du livre complètement changée. Le beau téléfilm inspiré par cette nouvelle et dont le rôle principal était tenu par la magnifique actrice Vera Zavitsianou se termine en la montrant plongée dans son journal. Une femme qui a pu s’assumer à travers cette « aventure » qui n’était finalement qu’une grande affirmation de la vie. La pudeur et la finesse de ce texte résident justement dans cette compréhension et ce respect de l’autre dont Menis Koumandaréas est maître.

Nikos Graikos

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