samedi 12 juin 2010 par Louis
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Mené de bout en bout de main de maître on a vraiment du mal à comprendre pourquoi ce livre n’a pas encore trouvé d’éditeur. L’Absente est un gros livre que l’on ne peut pas lâcher, comme on ne peut pas lâcher Le Paradise, on y retrouve les mêmes qualités formelles, le même sens de l’intrigue mais ici l’écriture que l’on pourrait dire classique - j’ai pensé à Marivaux et à Diderot - est au service d‘une analyse fine des sentiments humains particulièrement exacerbés par la confrontation d’une vivante et d’une morte lorsque Maurice, le héros, pense refaire sa vie alors même qu’il ne parvient pas à se détacher de son passé.
Le dénouement est accablant et tout à fait logique, G-A Quiniou sait faire preuve de cette grande retenue qui fait que le lecteur entre insidieusement dans la peau de son héros et se laisse, lui aussi, prendre au piège imaginant une fin romantique à ce texte qui s’apparente bien au contraire à une tragédie au sens littéraire du terme. L’aveuglement de Maurice est sans doute aussi celui du lecteur qui n’entend pas les signes avant-coureurs du drame qui pourtant sont là. On ne cesse de se demander comment il est possible qu’un homme alors qu’il a trouvé la chance de refaire sa vie, reste ainsi accroché à son passé, l’Absente n’a jamais été si présente ! Tellement présente que le lecteur doit faire la part entre ce qui est actuel et ce que le héros réactualise ! Aucune issue n’est possible et pourtant on imagine une fin tout à fait heureuse !
Plus que l’histoire d’un deuil qui ne se fait pas, ce roman est donc l’histoire d’un aveuglement, d’une incapacité à lire ce que vit la femme aimée que G-A Quiniou orchestre merveilleusement en se plaçant toujours du point de vue des autres, que ce soit de son héros ou de sa bande de copains, tellement soudés entre eux que Claire-Anne, l’amante, ne peut être qu’une intruse.
Le bonheur - celui de Claire-Anne - se heurte à un mur et Maurice s’imagine que tout se passe bien, même lorsque sa fille vient rappeler par sa simple présence, mais aussi par ses caprices, à quel point Laura reste encore vivante dans la tête de tous ceux qui entourent et dont s’entoure Maurice.
Le poids familial est considérable, les traditions sont là peut-être encore plus fortes à Quimper qu’elles ne le sont à Nantes, Quimper c’est le lieu de l’enfance et de l’adolescence, c’est auprès de ses amis de Quimper que Maurice a connu Laura, rien n’avait bougé pendant près de quarante ans, en le ramenant à Quimper Claire-Anne ne mesure sans doute pas le danger qui la menace !
Le refus de faire le deuil c’est peut-être surtout celui de vieillir qui va au contraire conduire Maurice à s’enfermer sur son passé, à rester en quelque sorte en famille, dans son cocon jusqu’à ne plus s’apercevoir qu’il se met en danger et pour finir à renoncer jusqu’au dernier moment à envisager la vie autrement qu’il l’a toujours vécue – la dernière scène, celle du bouquet de bruyère est de ce point de vue très éloquente.
En quelque sorte tout est en place pour que le drame se produise et pourtant lorsqu’il se produit, on se demande encore comment cela a pu arriver, comment Claire-Anne a pu se sentir à ce point malheureuse qu’elle précipite à ce point le dénouement. On cherche une explication psychologique et bien sûr elle est là, on a vu progressivement se resserrer autour de Claire-Anne le poids de cette famille de vieux copains qui l’accueillent mais à la condition expresse qu’elle se plie à leurs rites, on a vu également la fille de Maurice montrer son hostilité vis-à-vis de celle qui vient prendre la place de sa mère. On sait que Maurice ne cesse de penser à Laura. Tout cela pourrait expliquer. Comme pourrait expliquer son geste les réflexions qu’elle se fait ou que l’auteur nous fait sur sa fragilité, il y a là en quelque sorte une fausse piste que l’auteur concède au lecteur paresseux mais qui ne convainc pas vraiment.
Parce que l’explication est ailleurs, ce roman n’est pas un roman psychologique, comme on l’a déjà dit, il s’agit d’une tragédie, c’est la situation elle-même qui mène au dénouement, il n’y a pas d’autre issue possible, Maurice ne peut faire le deuil de Laura non parce qu’il s’y refuse mais bien plutôt parce qu’il représente ce refus, Claire-Anne ne peut passer outre les vexations qu’elle subit, elle ne peut guerroyer pour trouver sa place auprès de Maurice parce que leur amour est impossible et doit le rester.
Bien sûr on s’interrogera sur ce parti pris et on aura raison, mais c’est très certainement dans ce refus d’envisager de se défaire du passé que l’auteur nous dit quelque chose de lui-même et peut-être aussi de son pays. Un roman qui fait réfléchir, beaucoup plus profond qu’il n’y paraît.
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