jeudi 16 février 2017 par penvins
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Il y a l’écriture bien sûr, une écriture précise, méticuleuse, dépouillée, qui vous laisse en équilibre de la première à la dernière phrase. Il y a aussi le sujet, Liev est précepteur. Il y a le dénouement qui donne tout son sens au roman. Il y a évidemment les lectures de l’auteur, je n’ai cessé d’y entendre Kafka, mais pas seulement. Il y a l’horreur à laquelle semble aboutir l’intrigue et qu’il faut sans doute lire métaphoriquement. Faire entrer le monde dans la tête des enfants et les faire éclater au monde telle est la mission accomplie par Liev. Liev qui ne sait rien, Liev qui n’est peut-être pas Liev, Liev qui se laisse manipuler par Hakkel et plus encore par Magda, incapable qu’il est d’exiger une réponse.
Il aurait fallu lui demander mais Liev n’aurait pas pu lui demander même si Monsieur Hakkel avait été là […]
Liev se place d’emblée du côté des soumis, il se tient à la place qu’on lui assigne, son étrange comportement avec Magda en est le plus flagrant symptôme. Pour décrire les relations qui unissent Liev et Magda, Philippe Annocque ne fait pas dans la dentelle, Liev est entièrement sous la coupe de la servante et lorsque ce dernier s’imagine fiancé à la fille du maître – parce qu’il ne peut s’agir que d’un fantasme - il se laisse malgré tout, alors même que Sonia est sous ses yeux, prendre par cette fille pour laquelle il n’a aucune considération.
…avant que lui-même n’introduise une autre partie de lui-même à l’intérieur de Magda, comme depuis un certain temps ils avaient pris l’habitude de le faire.
Et de fait, tandis qu’il regardait Mademoiselle Sonia par la fenêtre Mademoiselle Sonia qui était revenue à Kosko, cette partie-là de Liev était dure.
Seulement voilà la réalité sociale va se manifester : La selle du vélo de Magda était sous les fesses de Mademoiselle Sonia. C’était dégoutant.
Les rapports sociaux sont ainsi décrits du point de vue de Liev qui ne semble à aucun moment prendre en main son destin, à tel point que la façon dont il remplira finalement sa mission avec une très grande violence peut apparaître comme un acte de désespoir, voire de vengeance portée bien sûr contre les enfants des maîtres, mais surtout contre sa propre impuissance à agir.
Le style de ce roman, fait de répétition en écho à l’indécision du protagoniste, nous fait avancer dans l’intrigue par glissement progressif jusqu’à ce que Liev engagé comme précepteur des enfants – les précepteurs habituellement dînent à la table des maîtres - se demande si finalement dans les yeux de Magda il n’est pas devenu l’équivalent de Karl, l’homme à la veste en velours avec des pièces aux coudes.
Avec une économie de moyens, Philippe Annocque parvient à nous faire vivre les désillusions de celui qui croyait épouser la fille des maîtres et c’est passionnant de bout en bout. Si vous vous intéressez plus aux textes qu’aux intrigues commencez par la dernière phrase, mais vous n’êtes pas obligés. Vous pourrez également savourer une deuxième lecture après avoir suivi les renoncements de Liev jusqu’au dernier d’entre eux.
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