jeudi 9 mars 2017 par Yves Moulet
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Rencontre avec un poète devenu poète par hasard et par nécessité.
Salah al Hamdani est né à Bagdad en 1951. Il s’engage dans l’armée surtout pour nourrir sa famille. Il se rend compte bien vite que les dirigeants trompent le peuple. Et que Saddam Hussein est un dictateur. Salah pratique la désobéissance civile et est emprisonné. Dans sa geôle il découvre la poésie et se met à écrire. Quelqu’un lui dit qu’il ne faut jamais écrire ce genre de poèmes. C’est trop subversif. Salah se rend compte de la responsabilité de la poésie et du pouvoir des mots. A sa sortie de prison, il rentre à Bagdad et découvre Albert Camus. Il ira au pays d’Albert Camus. Exilé en France, il écrira et il dira ses propres textes. Il fera le métier d’acteur, car il essaie de vivre du théâtre pour dire sa poésie. Et surtout il devient un porte-parole de cette poésie d’urgence, car il s’est rendu compte que la poésie est une nécessité pour dire la guerre, la torture, la prison. Il faut écrire des poèmes pour devenir un homme. Si Bagdad est sa ville natale, la France est le deuxième pays de sa naissance en tant qu’homme. Il a redécouvert l’humanité avec Albert Camus et avec la France. Et ce pays lui a redonné la dignité d’un homme. C’est une véritable renaissance à travers les mots mais aussi à travers la poésie. Car si cette poésie est un moyen de communication avec l’autre, elle a d’autres pouvoirs. Peut-elle guérir de la violence, peut-elle guérir des blessures aussi profondes que celles causées par la guerre et par l’enfermement. L’écriture est devenue la patrie de l’enchantement. Salah veut parler avec tous ceux qui ont vécu les mêmes douleurs. Il dialogue avec un juif Ronny Somect, un juif né à Bagdad et pourchassé dans son pays d’origine et il lie des liens d’amitié avec lui.
Le poème permet le partage et le dialogue avec l’autre. Mais le poète se place toujours en lisière. N’est-il pas à la limite d’une frontière entre le feu et le désir de la flamme. Dans l’arrogance des jours (cinquième regard) Salam conclut son poème ainsi : « sache seulement /que l’homme qui noie son humanité/dans l’obscurité du silence/sera délaissé par la sagesse. » (Page 66, L’arrogance des jours).
Depuis la lecture de Camus, Salah Al Ahmad a compris que l’homme ne pouvait grandir et devenir un sage que s’il parlait, s’il écrivait, s’il dénonçait les délits de ses oppresseurs.
Il présente un tableau noir de son pays (11e regard : ».. .Là-bas les sages du désert n’ont pas de place et se contentent d’applaudir au rythme du cœur des chiens. /Là-bas les enfants des sables sont devenus des hommes qui hurlent aujourd’hui contre leur propre destin. Ce sont ceux-là même qui soufflent dans l’insomnie du verger d’une maison abandonnée. » (Page 70 ; l’arrogance des jours).
En France j’espère que l’on enseigne encore qu’entre les deux fleuves : le Tigre et l’Euphrate, cette région qu’on nomme Mésopotamie, « Entre les deux fleuves », il y avait eu une région riche et heureuse ou croissaient les blés. Il semble qu’aujourd’hui elle ait laissé une place au croissant de fer, au cimeterre et ou yatagan de la guerre parce qu’il y a cet or noir qui coule sous ces blés. Est-ce que ce croissant fertile est devenu un croissant servile ? Sans doute pour certains car, dans ce poison servile, des dictateurs ont construit « le château de la fin » tapissé des rouilles de l’histoire. Celui qui entrait, au temps du dictateur, dans cette forteresse-prison n’en ressortait pas vivant.
Tous les dictateurs ont mis en place des systèmes oppressifs, d’asservissement et parfois même d’anéantissement. Que ce soit la Sibérie de Staline, les camps du nazisme, le ghetto de Varsovie, les prisons de la Stasi ou celles plus actuelle de la Syrie, les mâchoires du garrot de Franco, le « château de la fin » de Saddam Hussein, tous ces pouvoirs ont contribué à la destruction d’une forme d’humanité tant désirée par des êtres qui voulaient vivre l’équilibre, la paix et la liberté. Le peuple côtoie les livres emprisonnés, les ordres complices de l’échec des prophètes. Et dans son poème (page 62 Bagdad à ciel ouvert), le poète Salah Al Hamdani s’écrie : » Je suis L’épi de blé/guetteur de l’aube /au bord du chemin /interminable.
S’il y avait un étendard de la poésie, ce serait cet épi de blé avec des graines poétiques. Merci et hommage à Salah al Hamdani qui a osé témoigner et continue d’annoncer ce présage d’espoir. Il est de la même génération et a le même pouvoir des mots que Mahmoud Darwich, qui lui aussi a osé s’opposer à une autre forme d’oppression de l’autre côté d’une frontière jordano-palestinienne. Il a vécu le même choc de la poésie très jeune et a compris qu’avec des mots naît une véritable énergie, une puissance qui dépasse les frontières. Heureux les poètes qui ont la révélation de cette responsabilité de la poésie. Ils activent entre leurs doigts la flamme d’une âme forte, ils possèdent une arme blanche, celle du stylo qui marque la pureté du papier et la justice des mots.
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