Editions Folio, 1983.
mercredi 3 janvier 2018 par Alice GrangerPour imprimer
Nous cheminons dans les poèmes de René Char dans le sillage de leur présentation par Marie-Claude Char, Marie-Françoise Delecroix, Romain Lancrey-Javal et Paul Veyne. Cette Anthologie nous invite à l’émerveillement devant toute l’œuvre de notre grand poète !
Commencer la nouvelle année avec ce grand poète René Char, c’est essayer de se donner « le pouvoir de se lever autrement » ( « La parole en archipel ») comme lui ! Il donne tout son sens à chaque venue au monde, au mot « enfant » même, par son anticonformisme ! Il écrit dans son poème « A la santé du serpent » ( « Fureur et mystères ») : « Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience. » Le poète rend à chacun de nous humains sa part de relancement et de renouvellement de l’aventure humaine, si bien que oui, cela trouble, cela dérange ceux qui sont déjà là installés dans leurs petites affaires, cette pulsion neuve qui entend dire qu’elle compte, et qu’elle s’élève autrement, qu’une vie n’est pas une simple reproduction bien prise en mains et exploitée ! Résistance, écartement, comme une conquête naissante de liberté, à partir de la solitude et du silence.
Alors, dans le poème de jeunesse « La luxure », René Char nous montre l’aigle qui s’écarte de « la vie déclinante » et des « ... régions / Où l’on tue où l’on est tué sans contrainte ». « L’aigle voit de plus en plus s’effacer les pistes de la mémoire gelée… Ce fanatique des nuages / A le pouvoir surnaturel / De déplacer sur des distances considérables / Les paysages habituels / De rompre l’harmonie agglomérée ». René Char nous oblige à nous poser cette question de la non abdication de notre absolue singularité, celle qui a l’audace de forcer l’humanité agglomérée à admettre le nouveau venu dont l’éclosion poétique libre qui vient de l’intérieur souffle ceux qui voudraient l’initier, le circonvenir, l’anticiper en méconnaissance des fabuleuses capacités propres de l’humain à apprendre à se débrouiller, avec ses sens ouverts sur la nature et sur les autres, et donc à faire l’expérience de la beauté. Il s’approche en 1930 du surréalisme, puis prend son indépendance, et dit dans « La Fontaine narrative », poème de « Fureur et mystère », « Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud » !
« Fureur et mystère ».
Ne pas être en retard sur la vie ! Sur cette pulsion de vie qui s’affranchit, qui se révolte, qui s’écarte, qui se libère, qui se lève de l’intérieur de soi, par laquelle chacun est différent, et ensemence le monde par sa capacité poétique. Non seulement le poète laisse faire pour lui-même cette pulsion de vie qui le fait se lever autrement, mais il veut aussi que chacun des humains fasse de même, comme s’il entrevoyait une nouvelle humanité, libre, dans laquelle chacun compte, différent ! Dans « Commune présence » ( « Moulin premier »), il écrit : « Hâte-toi de transmettre / Ta part de merveilleux de rébellion de bienfaisance ». Et il ajoute, tellement sans doute il sait que l’acte poétique est une rébellion par rapport à une vie toute tracée, toute déterminée : « La vie inexprimable / La seule en fin de compte à laquelle tu acceptes de t’unir / Celle qui t’est refusée chaque jour par les êtres et par les choses ». Nous sentons ces « combats sans merci » pour échapper au déterminisme, car « Hors d’elle tout n’est qu’agonie soumise fin grossière ». René Char est habité d’une très puissante force de vie ! Il entend prendre les commandes de sa vie, de l’intérieur, et face au dehors, face à la beauté de la nature, face aux humains. Il n’est pas pris en mains. Il s’échappe. Il est lucide sur ce que lui refusent les êtres et les choses s’il se laisse faire, circonvenir ! Une violence intérieure résiste à la violence du monde ! Exigence de se soumettre à la pulsion de vie, et la pulsion de mort détruit tout ce qui voudrait la contraindre, la mettre au pas, la circonvenir, elle trépigne, elle résiste, elle s’échappe, et en même temps cette poésie nous parle de ce qui tente de la faire taire ! Le couple enlacé du mot « cœur », « s’il découvrait que la terre s’est éteinte / Je le rassurerais en reine » (Dans « Placard pour un chemin des écoliers », « Maintien de la reine »). Intelligence du cœur ! Chacun d’entre nous doit entendre, dans le sillage de René Char : « A ton tour d’entrer en éruption / Tablier du forgeron ciel charnel de ma sombre enfance », « Sociables communicants / Nous sommes entrés dans l’écart ». Le poète enfant est fasciné par le feu, vivre est pour lui jouer avec le feu, celui des images, celui de la parole. Le forgeron travaille avec son propre feu intérieur. Son énergie.
Il faut entendre cet écartement premier, cette soustraction à la normalité, à un destin tracé, cette prise radicale de liberté en étant fidèle à l’énergie intérieure, à cette intensité qui refuse d’être circonvenue, dans la jeunesse de cette poésie ! Dans « Dehors la nuit est gouvernée », poème « Dire aux miens », « Ils blâment ton maintien volatil t’imposent l’éparpillement des scories du langage sur le point de s’unir au sperme de l’image / Ils arriment sans douceur ta physionomie évadée de l’échafaud de ton socle / Sous le prétexte d’instruire ta disponibilité / Ils te changent en église / Avec autour une halle aux bœufs » ! « Notre sueur dans le miroir de notre amour comme au premier jour bourdonne d’électricité ».
Avec les « Feuillets d’Hypnos », la poésie de René Char entre en maturité. Elle a réussi sa prise de liberté intérieure. Elle a atteint le silence, loin du vacarme ordinaire. « Je n’écrirai pas de poème d’acquiescement » ! C’est ainsi que cette liberté, il la défend aussi en entrant dans la Résistance. Il y a la guerre, le chaos, et pourtant ce qui importe au poète est de dire ce qui demeure ! La bouteille à moitié pleine ! L’espoir reste dans l’horreur ! La pulsion de vie ! Dans le recueil de « Seuls demeurent », voici le poème « Congé au vent », où « il arrive que, loin de leur endroit, on fasse la rencontre extrêmement odorante d’une fille dont les bras se sont occupés durant la journée aux fragiles branches ». Mais « Il serait sacrilège de lui adresser la parole », dit-il mystérieusement ! Car il distingue « sur ses lèvres la chimère de l’humidité de la nuit » ! Il ne se laisse pas prendre à la chimère ! Dans « Envoûtement à la Renardière », « Je demeurais là, entièrement inconnu de moi-même, dans votre moulin à soleil, exultant à la succession des richesses d’un cœur qui avait rompu son étau ». Poursuivant la beauté, il importe non pas de s’installer dans du connu, mais de rester inconnu à soi-même, comme toujours dans l’éclosion, dans l’émerveillement, « je trouve refuge dans une innocence où l’homme qui rêve ne peut vieillir. » Nous imaginons en même temps l’angoisse de la mort, et donc l’impératif de se sentir vivant, naissant ! Maintenant qu’il a adossé ses jours à la force spacieuse, il peut congédier la violence, qui est encore appréhension de ce qui peut emprisonner, retenir, saisir, immobiliser. « … j’éprouve ou non la grâce » (dans « Calendrier »). Il sent « s’élancer dans son corps l’électricité du voyage » (« Médaillon »), et c’est l’extase du visage aimé. Les images de la Sorgue natale, paysannes, s’avancent « derrière un rideau de papillons qui pétillent », et le paysan au travail prend un sens poétique au plus proche de la nature et de la beauté. Dans « Louis Curel de la sorgue », René Char écrit à propos de la Sorgue, qu’il fait renaître par sa poésie, « Tu as été, enfant, le fiancé de cette fleur au chemin tracé dans le rocher qui s’évadait par un frelon ». Cette nature de l’enfance, elle n’est pas quelque chose de donné, il s’agit de se l’approprier, par un acte créatif qui part de l’intérieur de soi, et alors, tel le paysan d’autrefois, « Il y a un homme à présent debout, un homme dans un champ de seigle, un champ pareil à un chœur mitraillé, un champ sauvé ». Un homme qui se lève autrement, et donc un champ sauvé ! Mystère de la création poétique ! Dans un cri, dire cette création, par-delà la guerre ! Dans « Vivre avec de tels hommes », René Char écrit : « tellement j’ai faim, je dors sous la canicule des preuves. J’ai voyagé jusqu’à l’épuisement sous le séchoir noueux » c’est-à-dire les années de jeunesse de la poésie, et « nous n’en avions jamais fini avec le sublime bien-être des très belles hirondelles ». Il y a l’horreur nazie, mais la force créatrice de vie est la plus forte ! « Tellement j’ai faim » ! La Beauté reste dans une capacité d’absence. Le poète écrit dans « Partage formel » : « Le poème est l’amour réalisé du désir demeuré désir ». Ce désir qui doit rester désir, qui ne doit jamais s’arrêter, s’installer, dans sa réalisation. Il faut que la vie reste pulsionnelle, toujours en éclosion, en émerveillement, surgissant comme toujours du zéro. Message à cette Beauté qui doit avoir une capacité d’absence ! C’est très beau ! Une Beauté qui doit abandonner à la vie, non pas retenir, mais attentive à la naissance. « Ta nuit je l’ai voulue si courte que ta marâtre taciturne fut vieille avant d’en avoir conçu les pouvoirs. / J’ai rêvé d’être à ton côté ce fugitif harmonieux… Nul n’ose le retarder. » (« L’éclairage du pénitencier »). Comme Rimbaud, il faut partir. Il faut, après le nazisme, refonder le nous et requalifier la vie. L’amour, oui, mais surtout l’inaccessible Beauté ! Dans « Hommage et famine » dans le recueil de « L’Avant-Monde », le poète évoque « Femme qui vous accordez avec la bouche du poète » et ce grillon qui chante dans la nuit. « Comment savait-il, solitaire, que la terre n’allait pas mourir, que nous, les enfants sans clarté, allions bientôt parler ? » Un nous poétique sort du chaos de la guerre. Une renaissance, qui vaut pulsion de vie de qualité ! Apparaît « Le visage nuptial ». Beauté naturelle et beauté poétique se rejoignent. Dans « Gravité », l’emmuré pense à la monotone absente, et dit : « J’ai pesé de tout mon désir / Sur ta beauté matinale / Pour qu’elle éclate et se sauve. ». « … mon souffle affleurait déjà l’amitié de ta blessure », dans « Visage nuptial ». Et « La simplicité fidèle s’étendit partout ». « La Femme respire, l’Homme se tient debout ». Mais une dynamique permanente, « une commune présence », habite le monde. Dans « Evadné », « La campagne mangeait la couleur de ta jupe odorante /… La violence des plantes nous faisait vaciller /… C’était au début d’adorables années / La terre nous aimait un peu je me souviens ». Une lettre amoureuse. Mais un « Post-scriptum » ! « A vos pieds je suis né, mais vous m’avez perdu » ! Solitude de la vie intérieure. Eclosion du sens dans la poésie. Cosmos poétique. Et « La terre s’éjecte de ses parenthèses illettrées » (dans « Mission et révocation »).
Dans « Feuillets d’Hypnos », écrits pendant la guerre, l’auteur fictif s’appelle Hypnos. Où il revendique une sensibilité d’écorché plus que de guerrier. Référence à Nietzsche. Poète qui se sait malade de son appétit d’idéal et de sens, même des réussites poétiques il s’agit de s’écarter, non pas s’installer, s’habituer. Le sommeil est une obscurité métaphorique, une sorte de temps de détresse voire de sevrage. « Ne t’attarde pas à l’ornière des résultats » ! « Nous n’appartenons à personne sinon au pont d’or de cette lampe inconnue de nous, inaccessible à nous qui tient éveillés le courage et le silence ». « Vous dont la maison ne pleure pas, chez qui l’avarice écrase l’amour, dans la succession des journées chaudes, votre feu n’est qu’un garde-malade. Trop tard. Votre cancer a parlé. Le pays natal n’a plus de pouvoir. » Pays natal au sens de ce temps poétique qui reste naissant, qui garde sa capacité d’émerveillement, d’innocence. Donc, aucune installation ne peut garder. Hypnos est un poète qui se reprend, qui se ressaisit, qui retrouve sa résistance, sa révolte. « Epouse et n’épouse pas ta maison » ! Pulsion de vie couplée à la pulsion de mort, battement naissant ! « L’acte est vierge, même répété / N’étant jamais définitivement modelé, l’homme est receleur de son contraire. » Hypnos ne se laisse pas hypnotiser ! « Si l’homme parfois ne fermait pas souverainement les yeux, il finirait par ne plus voir ce qui vaut d’être regardé » ! Et c’est le refus qui donne au visage la beauté. « Tiens vis-à-vis des autres ce que tu t’es promis à toi seul. Là est ton contrat. » « Le fruit est aveugle. C’est l’arbre qui voit. » Toujours se lever autrement, s’écarter de l’immobilisation, du confort, de l’installation. La pulsion de vie est toujours naissante. « La perte de la vérité, l’oppression de cette ignominie qui s’intitule bien… a ouvert une plaie au flanc de l’homme que seul l’espoir du grand lointain informulé (le vivant inespéré) atténue… Le peuple des prés m’enchante… Le campagnol, la taupe, sombres enfants perdus dans la chimère de l’herbe, l’orvet… le grillon… la sauterelle… le papillon qui simule l’ivresse et agace les fleurs de ses hoquets silencieux ». Il conclut : « Dans nos ténèbres, il n’y a pas une place pour la Beauté. Toute la place est pour la Beauté. »
« Fureur et mystère ». Poésie dans le sillage d’Héraclite. « Les loyaux adversaires » sont l’écriture et l’action. Rester en état de sensibilité, tel l’enfant. Ouvert à l’émerveillement toujours. Dans le poème « Le Thor », René Char écrit : « Dans le sentier aux herbes engourdies, la chimère d’un âge perdu souriait à nos jeunes larmes. » Coïncidence d’un paysage de nature et d’un paysage d’âme. Dans « Pénombre », le poète est dans une forêt où le soleil n’a pas accès mais où la nuit les étoiles pénètrent, et « Par endroit, le souvenir d’une force caressait la fugue paysanne de l’herbe ». On dirait que l’action de se lever, de s’écarter, seule mène à l’écriture où retrouver la nature réappropriée. « Nul ne consent à perdre ce qu’il a conquis à la pointe de sa peine ! » Les étoiles, si elles pénètrent dans cette forêt la nuit, c’est « pour d’implacables hostilités » ! Désir d’exil. Nourri « de désarroi et d’espérance, avec un verrou aux mâchoires et une montagne dans le regard » (dans « Cette fumée qui nous portait »). Action de se lever autrement, de s’exiler, afin de se réapproprier par la poésie la nature d’enfance, retrouvant l’émerveillement. L’ensemencement. Dans le poème « Redonnez-leur… » le poète écrit : « Redonnez-leur ce qui n’est plus présent en eux, / Ils reverront le grain de la moisson s’enfermer dans l’épi et s’agiter sur l’herbe ».
Appel du devenir, angoisse de la rétention, requalification incessante de la vie. La royauté est pulvérisée par cet appel poétique, le poète est dans le « Poème pulvérisé » un géant désagrégé. « Comment vivre sans inconnu devant soi ? » s’écrit-il dans « Argument » ! « Poète est celui-là qui rompt l’accoutumance » ! Dans « J’habite une douleur », René Char se voit ainsi : « Plus tard, on t’identifiera à quelque géant désagrégé, seigneur de l’impossible » ! « Tu es furieux contre ton amour au centre d’une entente qui s’affole » (cet amour est la Beauté). Dans le poème « Jacquemard et Julia », qui semble d’abord empreint de mélancolie, le poète dit : « Cependant à la poursuite de la vie qui ne peut être encore imaginée, il y a des volontés qui frémissent, des murmures qui vont s’affronter et des enfants sains et saufs qui découvrent ». La mélancolie désespère de ne pas retrouver cette parole d’enfance. Et voici des enfants en soi sains et saufs ! Dans « Suzerain » : « Nous commençons toujours notre vie sur un crépuscule admirable. Tout ce qui nous aidera, plus tard, à nous dégager de nos déconvenues s’assemble autour de nos premiers pas ». Le monde de l’enfance est mort « sans laisser de charnier. Ainsi s’offre l’impossible. Et l’affinité du nouveau. » « Je vis qu’il n’y aurait jamais de femme pour moi dans MA ville ».
« La Fontaine narrative » : dernière section de « Fureur et mystère ». Dans le poème « La Sorgue », qui s’ouvre par cette « Rivière trop tôt partie, d’une traite, sans compagnon / Donne aux enfants de mon pays le visage de ta passion… » se conclut par « Garde-nous violent et ami des abeilles de l’horizon ». Rivière, être-source. Et, nous les enfants, « Nous regardions couler devant nous l’eau grandissante. Elle effaçait d’un coup la montagne, se chassant de ses flancs maternels » ! (Dans « Les premiers instants »). On dirait le liquide amniotique qui s’écoule du ventre, annonçant la naissance imminente ! Alors, « Adoptés par l’ouvert, poncés jusqu’à l’invisible, nous étions une victoire qui ne prendrait jamais fin ». Fidélité dans la perte et l’éloignement, dans la naissance ! « Dans les rue de ma ville il y a mon amour… Il n’est plus mon amour, chacun peut lui parler » (Dans « Allégeance »).
« Poèmes en archipel »
Cœur intact au verger. Etats de grâce dans le monde inventé. « Qui, mieux qu’un lézard amoureux, / Peut dire les secrets terrestres ? » (Dans « Les matinaux », poème « Complainte du lézard amoureux »). Et dans « Jouvence des Névons », il y a un enfant sans ami. « Dans le parc des Névons / un rebelle s’est joint / Au ruisseau, à l’enfant, / A leur mirage enfin. / Dans le parc des Névons / Mortel serait l’été / Sans la voix d’un grillon / qui, par instants, se tait. » Ah, ce grillon, qui par instant se tait, qu’est-ce que je l’ai écouté, enfant, moi aussi ! « Pyrénées » : « Montagne des grands abusés, / Au sommet de vos tours fiévreuses / Faiblit la dernière clarté. / Rien que le vide et l’avalanche, / la détresse et le regret ! / tous ces troubadours mal-aimés / Ont vu blanchir dans un été / Leur doux royaume pessimiste ». On dirait toujours ce liquide amniotique qui s’écoule dehors, précipitant la naissance ! Et, dans « A la Désespérade », « ce puits d’eau douce au goût sauvagin qui est mer ou rien », « Je ne désire plus que tu me sois ouvert, / Et que l’eau grelottant sous ta face profonde, / Me parvienne joyeuse et douce, touffue et sombre… ». L’amoureuse en secret tisse sa distraction sensuelle.
« La parole en archipel » : paysages faits d’îlots, morceaux de bonheur et de liberté. « La Truite ». Quel beau poème, « La Minutieuse » ! « L’inondation s’agrandissait… Résolus et heureux nous avancions. Dans notre errance il faisait beau. Je marchais entre Toi et cette Autre qui était Toi… Je t’aimais. Mais je reprochais à celle qui était demeurée en chemin, parmi les habitants des maisons, de se montrer trop familière. Certes, elle ne pouvait figurer parmi nous que ton enfance attardée. Je me rendis à l’évidence. Au village la retiendraient l’école… Je voulus m’enquérir de ton nom éternel et chéri que mon âme avait oublié : ‘ Je suis la Minutieuse.’ La beauté des eaux profondes nous endormit. » Et dans « La chambre dans l’espace » : « … Je suis un bloc de terre qui réclame sa fleur… Comme il est beau ton cri qui me donne ton silence ! » Dans « Pourquoi la journée vole » : « Le poète vivifie puis court au dénouement ».
« La bibliothèque est en feu ». Poésie qui émerge du silence, d’une profondeur intérieure, telle une fleur soudaine. Imaginaire d’enfant. Dans « L’éclair me dure… » : « Comment dire ma liberté, ma surprise, au terme de mille détours : il n’y a pas de fond, il n’y a pas de plafond ». Dans le poème « Nous avons », René Char nous dit ce qu’est faire un poème : « Faire un poème, c’est prendre possession d’un au-delà nuptial qui se trouve bien dans cette vie, très rattaché à elle, et cependant à proximité des urnes de la mort. / Il faut s’établir à l’extérieur de soi, au bord des larmes et dans l’orbite des famines, si nous voulons que quelque chose hors du commun se produise, qui n’était que pour nous. » Le poème est la réalisation du désir resté désir, écrivait-il des années avant ! Et, dans « Les dentelles de Montmirail » : « Il semble que ce soit le ciel qui ait le dernier mot. Mais il le prononce à voix si basse que nul ne l’entend jamais »
« Derniers recueils ». « Couchés en terre de douleur, / Mordus des grillons, des enfants, / Tombés de soleils vieillissants, Doux fruits de la Brémonde ». L’esprit d’enfance a perduré toute une vie ! « Tels des mélèzes grandissants / Au-dessus des conjurations / Vous êtes les calques du vent… C’était près. En pays heureux… » (Dans « Sept parcelles de Lubéron »). Dans « Dansons aux baronnies », il écrit : « En robe d’olivier / L’Amoureuse / avait dit / Croyez à ma très enfantine fidélité. Et depuis, / une vallée ouverte / un côté qui brille / un sentier d’alliance / ont envahi la ville / où la libre douleur est sous le vif de l’eau ». Quelle beauté !
Et encore : « C’est le peu qui est réellement tout. Le peu occupe une place immense. Il nous accepte indisponible. » « Dans « La nuit talismanique »).
« Loin de nos cendres » . Dans « Pour qu’une forêt… » : « Pour qu’une forêt soit superbe / Il lui faut l’âge et l’infini. / Ne mourez pas trop vite, amis / Du casse-croûte sous la grêle. »
« Le bruit de l’allumette » : « J’ai été élevé parmi les feux de bois, au bord de braises qui ne finissaient pas cendres… A confier le bois de l’avenir à la flamme qui le conduirait à des étincelles ignorées des enclaves de l’avenir ? Les dates sont effacées et je ne connais pas les convulsions du compromis. »
Bien sûr, ceci n’est qu’une invitation à aller plus profondément lire l’extraordinaire poésie de René Char, si fidèle à la pulsion naissante de vie et donc à la révolte contre tout conformisme installé !
Alice Granger Guitard
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