mardi 22 mai 2018 par Abdelali Najah
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Hassan Mégri : La chanson marocaine retrouvera sa souveraineté et son identité dans l’authenticité et la modernité.
Une étoile est née dans les années 60 du siècle dernier, et qui va porter haut les couleurs d’un nouveau style musical marocain intitulé la « World Music Arabe ». C’est l’incontestable Hassan Mégri, fondateur du « Mouvement Musical Mégri », entre autres.
L’artiste marocain Hassan Mégri nous livre dans cet entretien nostalgique le cheminement de la « World Music Arabe » comme genre musical original dans la scène artistique du monde arabe des années 60, l’âge d’Or de la chanson marocaine, ainsi que la décadence de la chanson marocaine.
*Au début, voulez-vous vous présenter aux lecteurs ?
Je suis né à Oujda (capitale de l’Oriental), le 19 Juillet 1942, dans une famille exceptionnelle, du fait que feu mon père Mohamed était à l’époque un artiste rarissime expert en peinture (toiles et fresques murales ), puis créateur en matière du « Design » pour la broderie en soie. Passionné de la musique, il jouait aussi du luth dans les styles « gharnati » d’Oujda et l’oriental égyptien. J’ai, donc, hérité en quelque sorte de son talent d’artiste et des dons que Dieu a mis entre ses mains. Hélas, l’Histoire n’a pas retenu son nom. Il est comme ce soldat inconnu dont on ignore tout de lui. C’est pour cela que je lui rends justice.
*Hassan Mégri est connu comme le fondateur du groupe Frères Mégri dans les années 60 du siècle passé. Voulez-vous nous parler de vos débuts dans la scène artistique marocaine qui était monopolisée par un certain Ahmed Bidawi ?
Tout d’abord, j’aimerais apporter à votre connaissance plus de renseignements sur ma carrière et ma « mission artistique ».
En vérité, je suis le fondateur et créateur du « Mouvement Musical Mégri », ayant abouti à la création de la « World Music Arabe » qui était inexistante du temps des Beatles, d’Elvis Presley et des géants de la Musique Occidentale. Quant à la réussite de tous mes objectifs ayant marqué ou enrichi mon palmarès artistique, je la dois à SM le Roi Hassan II qui a ordonné mon détachement à la RTM. Ce qui m’a permis, du temps de l’Oustad Ahmed El Bidaoui, d’enregistrer mes premières œuvres musicales avec l’Orchestre de la Radio sous la direction du Maestro Abelkader Rachdi qui avait remarqué qu’un souffle nouveau était né dans l’Univers de la chanson marocaine dont j’étais l’instigateur.
Dès le début de ma carrière artistique, j’avais une vision profonde sur le rôle que je devais accomplir avec abnégation dans la musique arabe.
Je pense être le premier à avoir composé et enregistré une opérette musicale sur un thème historique avec l’Orchestre symphonique du Conservatoire de Rabat sous la direction du Maestro égyptien Mahmoud Abderrahmane. Je dois cela à mon ami Al Oustad Abdelwahab Agoumi qui m’a permis de réaliser ce « coup de cœur » en mettant à ma disposition la plus grande formation Orchestrale des années 60, formée uniquement de professeurs et musiciens virtuoses français . L’opérette en question est intitulée « Al Maghrib al Kabir » sur un texte poétique du grand « zejjal » le poète Ali Al Haddani.
* Hassan Megri est en effet connu comme le créateur de la "World music arabe". Pouvez-vous nous en parler davantage ?
Certainement ! La Musique arabe est très complexe, mais de toute évidence riche en mélodies « surfant » sur les rythmes variés des nombreux pays arabes. Elle possède même certains avantages dans certains modes musicaux à l’instar de la musique hindou, du fait qu’elle est plus sensible avec l’altération du « quart de temps », et c’est cela qui fait son « originalité » mais en même temps, sa difficulté au niveau de l’exécution et de l’interprétation des paroles, au moment de la reprise de l’œuvre dans d’autres langues.
Or, pour créer une chanson arabe pouvant être traduite dans une langue étrangère, il m’a fallu éviter le « quart de ton » et créer un genre de poésie arabe adéquat, qui puisse s’adapter au nouveau mode musical basé sur les règles de la musique Universelle, celle-ci ayant pris l’appellation de « musique Occidentale ». C’est, donc, cette recherche minutieuse à caractère scientifique et rénovateur qui a abouti à la naissance de la « World Music Arabe » dans le cadre et le creuset du « Mouvement Musical Mégri ». Cependant, je souligne un fait historique qui a marqué l’Univers des Musiques du Monde, en déclarant avec satisfaction que l’œuvre musicale « Lili Touil » (Longue est ma Nuit) du répertoire Mégri, serait de toute évidence, la première chanson arabe à être traduite et interprétée avec succès en anglais et français. Il s’agit de « Children of Paradis » des Bonny M et « Pont de Musique » de la chanteuse française Maria Dorossi.
* Hassan Mégri est un « artiste pluriel » à la fois auteur, compositeur, in-terprète, plasticien et chercheur dans la calligraphie iconographique per-sane. Comment arrivez-vous à assumer ces différentes vocations ?
A vrai dire, je ne vois pas cela comme vous, du fait que ces vocations auxquelles vous faites allusion, « coulent de source » d’une manière naturelle dans ce que j’appellerai mon ego qui est en quelque sorte la « graine créatrice », que mon esprit est mon âme sont en constante relation. Reste l’effort physique que je dois gérer absolument selon les circonstances des projets ou des objectifs déterminés dans mon agenda de travail. Chaque chose en son temps.
Il suffit de m’organiser méthodiquement et patiemment avec force, foi et sa-gesse.
*Votre carrière professionnelle est marquée aussi par des formes musicales civilisationnelles, à savoir le soufisme et les musiques sacrées traditionnelles et mystiques. Comment expliquez-vous cette tendance ?
Lorsque vous parlez de ma carrière professionnelle, vous faites allusion aussi aux œuvres composées dans d’autres styles musicaux bien loin du Mouvement Musical Mégri qui, lui, se situe dans le contexte de la « World Music Arab » que j’ai créé et instauré dès les années 70. Il s’agit, donc, des chansons patriotiques et de la « Qassida » dont j’ai puisé leur souffle dans la musique orientale d’Egypte que je maitrise en tant que musicologue ayant étudié tout particulièrement toutes les musiques traditionnelles de notre patrimoine artistico-culturel, riche et varié. Quant à mes chansons à tendance religieuse, celles-ci ont été créées avec foi et dévouement après avoir pénétré le monde mystique de la musique soufie que j’ai recueillie dans les « Zawyas » et les musiques spirituelles.
Cependant, j’ai beaucoup de respect pour les musiques hindoues que j’ai découvertes dans les temples Boudistes durant mon long voyage des Indes en 1967. J’ai même introduit le « Cytar indien » dans la chanson « Galouli N’saha » dans un hommage personnel pour Ravi Shankar (Maitre incontesté de cet instrument divin).
* Que pensez-vous de la scène artistique d’aujourd’hui ? Et qu’elles sont les causes de cette décadence dans le domaine de la chanson marocaine ?
Je serais inquiet peut-être, comme vous, si je n’avais pas une autre vision sur la scène artistique qui me permet de croire à un avenir meilleur.
Certes, il y a un certain recul par rapport à l’âge d’Or de la chanson marocaine qui s’est épanouie avec succès dans le Maghreb et même dans le Monde arabe grâce à des artistes compositeurs et interprètes exceptionnels, ainsi que des musiciens virtuoses, tels Abdessalam Amir, Abdelwahab Doukkali, Abdelhadi Belkiat, les Mégri, Nass El ghiwane, Samira Bensaid, Said Chraibi …
C’est, donc, aux nouvelles générations de s’exprimer comme nous l’avons fait en créant de belles chansons basées sur des poésies profondes, interprétées par des voix douces, agréables à entendre et bien porteuses d’une culture ancestrale afin que tout marocain puisse retrouver ses sources et son identité, son esprit, et son âme. Ainsi, loin des plagiats et des fusions déroutantes, la chanson marocaine retrouvera sa souveraineté et son identité dans l’authenticité et la modernité.
*Avez-vous un autre point à ajouter à cet entretien, au sujet du « Mouve-ment Musical Mégri » ?
Il est de mon devoir d’assurer sa pérennité afin qu’il puisse jouer pleinement son rôle pour les nouvelles générations, quant à l’enrichissement du patrimoine musical contemporain du Maroc dans le domaine de la « World Music Arab ».
Je pense que le Destin a déjà choisi mon fils Nasr, en tant que flambeau du « Mouvement Musical Megri ». En effet, lui-même compositeur rénovateur et interprète de haute gamme doté d’une voix charismatique puissante, ce nouveau challenger de la chanson maghrébine est considéré par les fans des Mégri comme l’héritier légitime de ce style musical qui a plu au grand public du Monde Arabe, dès sa naissance dans les années 60.
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