Ouvrage publié aux éditions Orizons
mercredi 19 septembre 2018 par Françoise Urban-MenningerPour imprimer
"Difficulté"...Et pourtant Daniel Cohen de conclure dans "Le Trésor familier des rythmes", dont le titre fait référence à Mallarmé, par cette déclaration éclairante "Adolescent, le roman avait été le ciel"...C’est dans ce même ouvrage que l’auteur retranscrit son enfance passée au Sahara et c’est un vrai bonheur que d’appréhender les descriptions éminemment poétiques de ces années baignées de lumière restituées par une écriture étincelante même si la famille de Daniel Cohen était très pauvre et le livre, un luxe quasiment inaccessible. On perçoit d’emblée chez l’enfant, l’âme d’un poète lorsqu’il évoque l’image du cygne qu’il transpose dans les nuages, il écrit : Je suis un homme-promeneur, ou plus exactement un homme-enfant-promeneur". Tout est dit dans cette phrase et c’est réellement à une promenade que l’écrivain nous convie à travers les livres qu’il a lus et qui l’ont accompagnés tout au long de sa vie. Nous le suivons volontiers dans ses pérégrinations car nous-mêmes sommes habités par les fantômes de nos lectures et par ceux qui les ont rédigés. Ils vivent en nous, parfois à notre insu, à l’instar de Proust que Daniel Cohen convoque à maintes reprises et revoici les cygnes qui sous forme d’allégorie réinvestissent son "espace". Et l’auteur de s’interroger sur la trame mystérieuse qui se tisse dans son inconscient :"Quant à savoir si l’oeuf d’or du soleil, pour reprendre des mots de Proust, s’est posé sur le plateau de la balance, comment répondre objectivement ?"
Mais Daniel Cohen, s’il a la tête dans les livres et leur sacrifie jusqu’à ses dernières ressources financières, n’en est pas moins un être de chair. Un cancer qui nous remémore celui de sa mère dans "Psoas" lui rappelle son humaine condition :"Vlan ! Je redevenais un homme perdu dans ses excréments./ Littérature./ Elle s’effumait." Et de revenir sur la bibliothèque de son enfance qui tenait en deux étagères mais qui sera étoffée par sa mère qui achètera quelques titres classiques "Larousse" jusqu’à la constitution de sa "première et grande bibliothèque" qui sera"pillée" les jours d’infortune par les huissiers...
Mais plus tard Daniel Cohen de déclarer :"Les livres m’avaient mangé, cancérisé..."et d’ajouter "il convenait de s’extirper, de se redresser".
Et c’est toujours par les livres que l’auteur renaît accompagné par Proust, Gide, Claudel ("Le miroir et ses portes"), c’est par les livres qu’il aborde la dernière partie de sa vie, celle dont le philosophe Gaston Bachelard nous disait qu’elle nous amenait à retourner sur les pas de notre enfance : "Me revoici revenu à l’enfance matricielle" qu’il qualifie de "réenfance".
L’homme-enfant-promeneur n’a pas fini avec les trois ouvrages qu’il vient de publier de nous surprendre avec ses tours et détours au pays de la littérature car il nous faut lire et relire Daniel Cohen. Chaque livre se prête à plusieurs lectures : celle de l’enfance au Sahara, "la question juive" qui apparaît en filigrane et dont l’auteur dit qu’elle est "le talon d’Achille de la France", les problèmes d’argent qui gangrènent toute création et bien évidemment la poésie que j’ai déjà évoquée avec ses mots rares et choisis dans un jardin d’écriture à nul autre pareil... Je retiendrai le joyau cette "lumière intérieure" débusquée à Colomb-Béchar qui octroiera à Daniel Cohen "Le don de danser avec les lettres" car c’est véritablement l’écriture qui fait l’essentiel de son être, une écriture "à la phrase d’une rare beauté" nous dit Françoise Maffre Castellani dans le livre qu’elle consacre à l’auteur "L’écriture et la vie".
Daniel Cohen l’avoue "Les écrits de ce volume m’ont aidé à tenir" et d’ajouter : "Déjà, je pense à quelques autres livres" avec cette question épineuse qui le taraude :"...mon corps si rude, si vindicatif, le permettra-t-il ?" Si nul ne peut lui répondre, on ne peut qu’affirmer que "Le Trésor familier des rythmes" s’inscrit d’ores et déjà tel un livre majeur remarquable parmi ceux qui nous éclairent dans cette vie qui nous fait et nous défait, un livre qui à lui seul en contient plusieurs et constitue ainsi une bibliothèque de choix !
Françoise Urban-Menninger
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