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Un tournant de la vie - Christine Angot

Editions Flammarion, 2018

lundi 15 octobre 2018 par Alice Granger

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Ce qui frappe, c’est que ce roman de Christine Angot est presque entièrement un dialogue. D’où cette impression obsédante que la narratrice n’est jamais seule ! Elle a quitté il y a neuf ans Vincent pour son ami Alex, puis lorsqu’elle revoit Vincent, elle est comme une balle qui rebondit de l’un à l’autre, sans savoir qui va la retenir finalement, ou bien quelle va être l’issue !
La narratrice est dans la rue, et en lisant je me suis dit, lorsqu’en face elle aperçoit Vincent, son ex, oh mais il l’attendait au tournant ! Le prénom Alex, aussi, dit quelque chose ! On entend « à l’ex » ! Histoire d’ex… Vincent, l’ex, l’attend au tournant parce qu’il a toutes les chances de réapparaître dans la vie de la narratrice avec Alex, puisque celui-ci, musicien, travaillait avec lui, c’était son meilleur ami ! La narratrice le voit de l’autre côté de la rue, c’est le choc, sans parler avec lui, mais juste après, comme si les grands esprits s’étaient rencontrés, Vincent reprend contact avec Alex pour qu’ils recommencent à travailler ensemble. Mais un autre sens semble surgir à la fin du roman de Christine Angot, auquel on ne s’attendait pas ! C’est plutôt Alex qui est brutalement concerné par ce qui attendait au tournant, qui est apparu sous les traits de Vincent. C’est ça qui l’attendait au tournant, qui l’empoisonnera de l’intérieur tout le temps du roman ! Tandis que Vincent s’est éloigné, lui il reste avec la narratrice, mais ce qui l’attendait au tournant explose comme la vérité brutale. Ou plutôt comme une implosion ! Une insuffisance rénale aigüe, des reins foutus, une vie pourrie extrêmement dépendante avec les contraintes de la dialyse. Alex brutalement face à face avec sa fragilité extrême qu’on sentait avant entre les lignes, une vérité tsunami ! Toute cette histoire des deux hommes amis et entre eux la narratrice qui semble ne pouvoir se séparer d’aucun des deux, aboutit à cette destruction à l’intérieur du corps d’Alex, tandis que la femme toujours si inquiète tout au long du roman on dirait qu’elle s’en tire bien de cet enlisement amoureux et de cet épilogue brutal pour Alex ! Est-ce que c’est lui, le véritable ex ? Détruit de l’intérieur par l’indécision apparente de la narratrice entre les deux amis ? Ou bien non pas l’indécision, mais au contraire la décision forcenée, obsédante, inconsciente, que la destruction arrive au destinataire ? Car avec Alex, elle est très bien, pendant neuf ans. Puis lorsque réapparaît Vincent, on dirait qu’il est le révélateur de quelque chose tandis que son cœur bat en le voyant. A partir de là, qu’est-ce qui est important ? L’amour revenu de la narratrice pour Vincent, qu’elle questionne à l’infini pour être sûre, sûre, sûre qu’il l’aime, alors qu’il est présent, absent ? Ou bien l’effet qu’a ce retour de l’ex sur… Alex ? Christine Angot, par son dialogue et ce drôle de huis-clos, nous fait suivre en temps réel ce qui se passe, comme si l’important était cet amour que la narratrice a pour deux hommes, ne pouvant pas choisir, tenant autant à l’un qu’à l’autre. En vérité, cette focalisation-là ne distrait-elle pas le lecteur de ce qui se passe dans l’ombre ? De ce qui se passe dans le corps d’Alex ? Ne pouvant finalement plus vivre que branché chaque jour de longues heures à une machine qui supplée aux reins morts, n’est-il pas lui-même comme mort ? Le retour de l’ex ayant été l’arme pour l’atteindre ? Et ainsi, le huis clos que dit le dialogue incessant semble en passe d’être détruit ! Tandis que la narratrice, que nous imaginons forcément attentive au chevet d’Alex frappé de plein fouet, lorsqu’elle revoit Vincent de l’autre côté de la rue comme au début du livre, ne sent plus son cœur battre pour lui, et donc cela ne se referme plus en cercle, comme si elle n’était plus dépendante. Etrangement, une fois qu’Alex est atteint dans son corps de cette manière si brutale, montrant la violence qu’a été pour lui la reprise de flammes entre Vincent et sa compagne avec laquelle il est récemment pacsé, Vincent ne fait plus battre son cœur !

« Tu voudrais vivre avec Vincent ? / Je crois pas. Je pourrai pas. Je me sens vivre avec lui. Je ris. Je suis bien quoi. Je suis heureuse. Dès qu’il est là, je me sens réveillée. Je me sens vivante. Mais je ne pourrais pas vivre avec lui. Je crois pas. C’est pas pour rien qu’on s’est quittés. Il est très égoïste Vincent tu sais. Alex, non. Pas du tout. Pas assez d’ailleurs. Parce qu’il m’entraîne pas. Il m’entraîne pas dans sa vie. Il en a pas la force, ou pas le désir… J’arrive pas à me sentir entraînée en tout cas, par lui. Moi je l’entraîne dans ma vie je crois. Et il me suit. Comme il suit Vincent. Et Vincent, justement, il m’entraîne dans la sienne. Dans sa vie. J’ai l’impression de disparaître quand il est là. D’être dans une autre vie. Ça me fait du bien. J’aime ça. Alex, c’est quelqu’un qui t’aide, qui te soutient, qui est derrière toi, qui te rend service, qui te protège. Qui te sert même. C’est génial de l’avoir avec soi. Il peut aller loin pour toi. Mais il y a des moments t’en as marre, ça suffit pas. Est-ce que j’ai besoin de quelqu’un qui m’aide, moi ? Non. Avant, oui. Mais plus maintenant. » Voilà ! Plus maintenant ! La narratrice était à la fois dépendante de quelqu’un qui l’aide, la protège, lui rende service, et d’un homme qui l’entraîne dans sa vie ! D’où cette sensation d’un huis-clos. Puis, peu à peu, il semble qu’elle a de moins en moins besoin de quelqu’un qui la protège (et qui le fait parce que lui-même, étant dans une situation matérielle précaire, n’ayant pas d’argent car pas de travail fixe, trouve avec elle l’abri) ! Alors, comme par hasard, Vincent apparaît à un tournant de la vie pour, littéralement, faire du mal à ce pauvre Alex, le torturer à l’intérieur ! Cet homme dépendant, en fait, montre cette dépendance à ciel ouvert, par les tuyaux le reliant à la machine à dialyse ! Transfert de cette dépendance d’Alex à la narratrice vers la machine, tandis qu’elle se sèvre ? Vincent, l’homme qui est capable d’emmener la narratrice dans sa vie, en réapparaissant l’a en effet emmenée dans une nouvelle vie ! Celle où elle n’a pas besoin d’être aidée, soutenue ! Celle où elle-même, peut-être n’aide-t-elle plus Alex ? Ou bien, c’est plus clair ? C’est lui le dépendant, plus elle ?

Mais ça a été implacable, d’une dureté, d’une violence ! Juste en faisant jouer un ex par rapport à un compagnon avec lequel ça ne peut plus durer, y en a marre !

Ce roman, un tournant dans l’écriture de Christine Angot ?

Alice Granger Guitard



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