Editions Flammarion, 2019
vendredi 18 janvier 2019 par Alice GrangerPour imprimer
Je voudrais concentrer ma lecture non pas sur la dépression profonde qui imprègne ce roman car j’ai l’impression qu’elle est là juste pour faire se perdre le lecteur tandis que la vérité est ailleurs, mais déjà sur un tic d’écriture. Michel Houellebecq ne cesse de dire « quoi qu’il en soit », de sorte que j’en ai eu très vite plein les oreilles ! Et je me suis demandée, quoi qu’il en soit de quoi ?
Dans ce monde désenchanté d’une bite qui espère une chatte mouillée mais finit par ne plus réagir et d’une chatte dont l’homme à la dérive n’est plus jamais sûr qu’elle attend une bite, trône ce couple parental fermé sur lui-même, pour lequel l’amour qui les unit suffit, laissant on l’imagine le fils dehors, abandonné, oublié, tout en ne manquant bien sûr de rien puisque le milieu est aisé. Lorsque le père est atteint d’une tumeur cérébrale incurable, le couple décide de se suicider ensemble, comme si leur amour parfait en était déjà un, car ne laissant aucun sens à la vie en dehors de lui.
Longtemps, nous croyons, en lisant, que le narrateur, en phase avec un monde morne abandonné à lui-même comme le fils en deuil de parents morts d’amour et qui semble imploser avec la violence sociale qui va avec, est inconsolable de l’amour parfait qu’à son tour il a vécu avec Camille. Après la rupture, il est allé à la dérive, avec de jolies femmes au cul intéressant qui lui ont donné le change tout en l’enfonçant dans la dépression. Mais la rupture elle-même est intéressante. Alors que tout est parfait, et qu’on s’attend à ce qu’il forme avec elle le même couple aussi soudé par l’amour que le couple parental, voici que le narrateur trompe cette femme aimée, et se fait surprendre par elle en compagnie d’une autre femme. Elle disparaît à jamais.
Or, tandis que la dépression semble irrémédiable malgré la prise de Captoprix, l’antidépresseur nouvelle génération qui n’inhibe plus la recapture de la sérotonine c’est-à-dire la disparition de celle qui a été produite comme l’ancienne génération le faisait, mais suscite sa production, le narrateur entreprend un retour vers le passé, d’abord les retrouvailles avec un vieil ami aristocrate agriculteur, en fait le seul ami, qui va se suicider face aux CRS, pendant une manifestation d’agriculteurs mis en faillite par la baisse du prix du lait par Bruxelles. (La sérotonine est un médiateur chimique produit à la fois dans les intestins et le cerveau où il est un neurotransmetteur, c’est la substance du bonheur, de la régulation de l’humeur). Cet ami est également désespéré par l’abandon par sa femme. Jusque-là, nous sommes embrouillés, persuadés que nous sommes que le narrateur est lui-aussi désespéré par le départ de Camille, la femme aimée ! Et que plus aucun bonheur ne peut produire de la sérotonine si apaisante, tandis que l’ancienne sérotonine, celle produite par la Camille du temps du bonheur et double de la mère unie dans l’amour au père, est déjà depuis longtemps recapturée, non disponible !
Or, il retrouve cette Camille, et l’observe sans se faire voir. On a la puce à l’oreille. Pourquoi diable ne tente-t-il pas des retrouvailles ? Que veut-il en vérité voir, vérifier ? Il l’épie jusque dans sa maison, au cœur de la forêt, une maison isolée semblable à celle qui abrita leur amour. Bientôt, voilà, il aperçoit un petit garçon. Il avait déjà deviné qu’elle n’avait pas d’homme dans sa vie. Et que ce n’était pas un homme dont le narrateur cherchait à vérifier qu’il était avec elle ! C’est le petit garçon qui l’intéresse, en fait. Et cette mère seule avec son garçon, couple seul au monde dans la maison isolée dans les bois ! Un moment, il cherche encore à nous mettre sur la mauvaise piste, en nous faisant croire qu’il va tuer l’enfant, le fils ! Mais non ! Et pas plus lui-même. Bizarrement, il ne se suicidera pas, il laissera couler sa vie comme ça, s’achetant un petit appartement dans une tour du quartier chinois parisien, s’installant, comme par hasard, alors qu’il a jusque-là toujours habité à l’hôtel ! Bref, la vérité, c’est que, enfin, le fils est seul avec sa mère, et c’est le narrateur lui-même, apaisé parce que la femme aimée n’est pas dans un amour parfait avec un autre, elle reste, dans cette vie avec le fils, comme aussi fidèle à l’homme qu’elle n’a pas remplacé, elle vit dans une maison semblable à celle du temps du bonheur ! Le désir du fils abandonné par ses parents suicidés par amour se réalise ! La mère n’est pas partie dans la mort avec le père atteint d’une tumeur au cerveau, elle est restée avec le fils ! C’est ça la sérotonine dont la production est suscitée ! La mère tout entière au fils ! Quoi qu’il en soit de cet amour parfait entre un homme et une femme, entre un couple parental pour lequel plus rien n’existe hors de cet amour, et bien lui, le fils devenu grand, il se débrouille pour que si, le fils deviendra tout ce qui compte pour sa mère ! Alors, le narrateur va finalement s’installer dans un petit appartement vraiment à lui, sans plus rien désirer, mais sans se décider au suicide. La sérotonine produite par l’image de la mère seule avec son fils semble avoir un effet bien supérieur à celui du Captoprix ! Quoi qu’il en soit, voici un fils abandonné par l’amour parfait entre ses parents, mais qui se débrouille par l’imaginaire pour réaliser son désir ancien ! Un Houellebecq peut en cacher un autre !
Alice Granger Guitard
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