mercredi 17 avril 2019 par Abdelali Najah
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Badiadji Horrétowdo : Pour une écriture romanesque du développement social de la société africaine.
L’écrivain camerounais Badiadji Horrétowdo vient de publier son nouveau roman intitulé « Hadja Binta » aux éditions Proximité, un roman qui traite l’impact du changement social sur la société camerounaise par le biais de l’histoire d’une femme en quête du mariage et qui part de son Sahel natal du Nord-Cameroun vers le sud du pays, à Douala, où elle se trouve aux prises avec un réseau de prostitution.
Dans cet entretien, Badiadji Horrétowdo nous conte le cheminement de son parcours littéraire, ainsi que la situation culturelle dans le continent africain.
Voulez-vous présenter le romancier Badiadji Horrétowdo au public ?
Je suis un écrivain camerounais, auteur de plusieurs romans et recueil de nouvelles, dont la sensibilité porte surtout sur les injustices sociales, et plus généralement sur les thématiques de développement social de nos sociétés africaines. Je suis Ingénieur de formation. Après une dizaine d’années de carrière dans les multinationales au Cameroun, où je me suis établi à la fin de mes études supérieures effectuées en France, j’exerce actuellement en tant que Consultant dans le Secteur industriel.
Comment peut-on être ingénieur et devenir écrivain ?
Oui, une question qui m’est régulièrement posée. Heureusement que l’écriture ne suit pas une logique littérairement littéraire (rires). Je pense avoir mieux maîtrisé la langue à la faveur de mes connaissances scientifiques, l’appropriation du sens de la logique des choses. Le reste est une question de sens d’imagination, conjugué à l’art de la dérision et de l’indignation, à l’art d’exprimer la beauté et la laideur des choses, ce que nous aimons ou ce que nous rebutons, l’art en somme d’exprimer notre conviction intellectuelle avec une certaine sensibilité à laquelle peut s’accorder le lecteur indépendamment de ses appartenances sociales. Voilà qui échappe plus ou moins au diktat du diplôme et de la spécialisation, et leurs cloisonnements sociaux. Fort heureusement d’ailleurs ! (rires). Ceci étant, ce n’est pas nouveau ! Il y en a eu tant par le passé, des romanciers issus des filières scientifiques, et même parmi les plus célèbres que l’humanité ait connus !
Vous venez de publier votre nouveau roman intitulé « Hadja Binta » aux éditions Proximité. Pouvez-vous nous en parler davantage ?
« Hadja Binta » vient effectivement de paraître. C’est un roman qui explore l’univers peu connu d’une prostitution qui s’ignore dans le microcosme de la communauté du Sahel à Douala. Au-delà, je porte un regard sur cette société en pleine mutation, enlisée dans ses pesanteurs culturelles, et qui peine surtout à dissocier l’utile et l’essentiel (le productif) de l’inutile et du superflu (l’improductif et le destructif). C’est l’histoire d’une femme partie de son Sahel natal du Nord-Cameroun, et qui se retrouve dans le Sud du pays, à Douala, aux prises avec un réseau de prostitution qui ne dit pas son nom, dans sa quête innocente et légitime du mariage.
Après « Chronique d’une Destinée », publié en 2006, vous dénoncez une nouvelle fois dans « L’Âme perdue », la deuxième partie de votre récit initiatique, les injustices sociales dans votre pays le Cameroun. Pouvez-vous nous conter davantage ?
Disons que les deux ouvrages constituent les deux volumes de mon récit initiatique. Bien entendu le regard porte sur les réalités qui ont émaillé le parcours du narrateur, l’enfance, les périples primaires et secondaires, et les années supérieures en occident (Chronique d’une Destinée), son retour au Cameroun et les difficultés d’intégration dans son pays (L’Âme perdue). Sans doute un excellent prétexte pour témoigner sur les dérives qui minent nos sociétés, ma propre société je veux dire particulièrement. Des dérives qui entravent douloureusement son progrès et son développement.
« Chronique d’une destinée », n’est-il pas une autobiographie ?
Bien entendu ça l’est au sens strict du terme, comme je l’ai présenté ci-précédemment. Ceci étant, j’ai toujours pensé que toute œuvre d’un écrivain (du moins celle inspirée des faits de société contemporains de l’auteur) est l’expression autobiographique de ce dernier. Son récit est en vérité une appropriation des réalités directement ou indirectement vécues et qui, en somme, ont affecté plus ou moins et en tout cas sensiblement ses sens.
Dans « Échos du bercail », à travers huit histoires, dans un récit poignant, vous dénoncez aussi des injustices quotidiennes passées pour de nouvelles formes normatives ?
Oui ! C’est en vérité un recueil de certains de mes textes parus dans les années 2009 et 2010 dans le Quotidien Le Messager au Cameroun, pour lequel j’étais alors l’un des contributeurs. Seuls deux ou trois textes, je crois, sont des inédits. Simplement pour expliquer au lecteur que ces textes étaient motivés par le désir de dénoncer mois après mois tout en collant le plus possible à la marche du pays sinon de la sous-région voire de l’Afrique. Disons qu’il s’agit d’une autre approche de traitement de l’actualité, avec un regard direct mais romancé autant que possible sans pour autant perdre de vue l’objectif d’informer. Compte tenu du succès qu’avait rencontré cette démarche, mon épouse a estimé à juste titre qu’il fallait en tirer un recueil de nouvelles, qui paraîtra finalement en 2013 sous le titre de « Echos du bercail ».
Votre roman « Le Prince de Djenkana » est conçu comme un vibrant plaidoyer pour le progrès, la démocratie et la justice sociale. Qu’en pensez-vous ?
« Le Prince de Djenkana » est un roman historique qui traite des réalités contemporaines de certains pays de l’Afrique subsaharienne, prenant ressort dans leurs passés (historiques) que sont les périodes précoloniale et coloniale. Loin de toute idée simpliste de victimisation, car cela ne passe plus, vu l’ampleur du désastre aliénant désormais l’élémentaire du bon sens humain dans nos sociétés disloquées au plus profond de ce qu’elles pourraient se reconnaître en tant que peuples et nations. Nombre d’entre elles, par les pays qu’elles constituent, n’en sont nullement encore ! Pire, au lieu de cela, au lieu de tendre vers ces accomplissements, elles régressent plutôt ! Voilà qui est absurde, et qui a singulièrement motivé la gestation de « Le Prince de Djenkana ».
Les critiques vous qualifient de romancier engagé. Que pensez-vous de l’écriture et l’engagement ?
D’une certaine façon, l’écriture est l’expression de la conviction intellectuelle de l’écrivain. L’écrivain, dit-on, est le miroir de sa société. Dès lors, il est difficile à mon sens d’être le miroir de sa propre société et de passer sous silence ce qui la mine et qui incommode naturellement notre sens intellectuel. Sinon, l’écrivain s’érigerait en complice ! Je suis de l’idée en somme, que l’écriture et l’engagement sont intimement liés. L’art pour l’art n’a à mes yeux de sens que s’il allie l’utile à l’agréable, en plaçant de quelque façon possible la cause humaine au centre des préoccupations !
Pouvez-vous nous parler de la scène culturelle au Cameroun en particulier, et en Afrique en général ?
Les progrès plus ou moins notables sont enregistrés ici et là, par la prise de conscience plus ou moins conséquente de l’intérêt de la culture dans une société qui se veut humaine et donc progressiste. Mais en général, les pays africains tardent à accorder à la culture la place qui doit être la sienne en tant que vecteur de construction sociale et de développement. Pour ce qui est du livre cela passe par la politique du livre dans toutes ses phases d’articulation. Des progrès ont notamment été enregistrés au Cameroun mais bien des efforts restent encore à accomplir. Il existe désormais, à titre d’exemple, un salon du livre à périodicité biannuelle !
Quelle est la position du roman africain dans l’histoire de l’art romanesque ?
Le roman africain, dans le concert planétaire, gagne de plus en plus en respect et en reconnaissance. C’est un fait. Cela est de longue haleine de par l’histoire même du continent et les préjugés qui l’ont si longtemps accablé et qui continuent d’ailleurs de l’accabler, impliquant d’une certaine façon la méconnaissance de bon nombre de ses auteurs, et surtout ceux du terroir ! Voyez-vous, la notoriété internationale de l’écrivain africain s’acquiert encore à Paris, Londres ou New-York, et que sais-je encore ? Ce qui n’est pas forcement juste pour l’Afrique dans la mesure où, là-bas, le jugement est indexé au prisme de la doctrine prédominante, plus ou moins dite, et qui n’est pas toujours en phase avec les préoccupations et les réalités de nos sociétés des Tropiques. Un éditeur accepte et publie ce qu’il veut bien mettre à la disposition du lectorat-cible. Un écrivain voulant éditer dans ces pays, a dès lors forcément trois équations à résoudre : le lecteur-cible (l’Occidental, dont les priorités et sensibilités sont loin d’être toujours celles de l’Africain) ; le choix du sujet(l’intérêt social de celui-ci, dont la sensibilité qui l’évalue, l’intérêt financier, s’il est « bancable » ou non) ; ce qu’il faudra éviter ou non de dire et comment le dire s’il est dicible. Je ne dis pas que l’écrivain du terroir n’est pas également confronté à ces équations, mais la différente réside dans le fait que lui, son lectorat-cible est d’abord et directement sa propre société. Je ne dis pas que tous les livres édités en Afrique sont intéressants, non, loin s’en faut ! Il y a dans le même temps de très intéressants livres africains produits en Occident, mais combien d’écrivains y ayant été édités sont pleinement satisfaits du rendu de leur production ! J’en connais qui, en off, piaffent du fait de l’aseptisation de leur texte ! En vérité je pense que le roman africain ne sera pleinement africain, aussi bien par leur qualité que par leur authenticité, que si les pays africains acceptent le principe de l’écriture comme moteur des libertés et exigences intellectuelles, et se dotent d’une vraie politique du livre, plaçant, entre autres, le business[du livre] non seulement au cœur de l’économie nationale, valorisant par là-même la production intellectuelle, mais aussi au service des populations [de sorte que le livre leur soit accessible], à l’image de ce qui se fait outre-eaux !
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