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Chers fanatiques - Amos Oz

Editions Gallimard, 2018

jeudi 2 mai 2019 par Alice Granger

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Dans ces trois articles, Amos Oz veut simplement « retenir l’attention de ceux qui pensent autrement » ! Surtout pas avoir le dernier mot ! Cette pensée mérite vraiment d’être minutieusement écoutée ! Il en va d’en précieux travail de la paix et d’une formidable leçon de sagesse !

Dans le premier article, il se demande comment travailler à endiguer le fanatisme, en commençant à réfléchir sur sa nature. Il dit que ce n’est pas une résistance de la pauvreté contre la richesse, car l’inégalité entre les riches et les pauvres est vieille comme le monde. C’est une nouvelle violence, une guerre, un combat de « ceux qui croient que la justice… compte davantage que l’existence ». Champ de bataille mondial actuel qui est un choc de civilisations entre l’islam et l’Occident (Samuel Huntington), la pensée dominante offrant « une vision du monde raciste ». Thèse de Huntington qui a pour effet de répandre le sentiment d’une confrontation entre sauvages terroristes orientaux et Occidentaux civilisés. Cette version qu’Amos Oz qualifie de mauvais western est très commode, écrit-il, pour le gouvernement israélien, qui peut assimiler la lutte du peuple palestinien pour se libérer de l’occupation israélienne à cette confrontation entre sauvages et civilisés. Or, l’extrémiste ne discute jamais, il veut juste éliminer, il ne s’interroge jamais sur l’Occident, la mondialisation, le capitalisme, la colonisation, la laïcité et l’hédonisme, s’ils sont bons ou mauvais.

Amos Oz rappelle que le fanatisme est très antérieur à l’islam, et surtout à l’islam radical. C’est une constante de la nature humaine, et ces « crimes haineux » sont de tout temps commis quotidiennement. De manière simpliste, on désigne les coupables de nos souffrances, et il suffirait de les éliminer ! D’abord, écrit-il, l’opinion publique est secouée par une vague d’indignation générale : contre le « discours hégémonique » de l’Occident, qui suscite un dégoût subversif ; Occident qui éprouve une répulsion face à l’Orient ; Orientaux qui ont de l’hostilité pour les Occidentaux ; les laïcs qui ont de la répugnance pour les croyants ; et vice-versa les religieux qui ont de l’aversion pour les laïcs. Bref, une haine généralisée, qui enfle depuis les bas-fonds de la misère ! C’est toujours la même chose derrière n’importe quelle forme de fanatisme ! C’est que, depuis un demi-siècle, le concept de multiculturalisme et la politique identitaire se sont mués partout « en une politique de haine identitaire » ! On visait un horizon culturel et émotionnel, mais ensuite on a régressé vers l’isolationnisme et le rejet de l’autre, avec le reflux de la haine de tous les côtés !

Amos Oz, qui a grandi à Jérusalem, a constaté que le dénominateur commun des pseudo-prophètes, toutes obédiences confondues, est de forger à tout prix une formule simple de salut ! Afin de se débarrasser des méchants et de hâter la rédemption ! Amos Oz était lui-aussi, pendant son enfance, un petit fanatique sioniste nationaliste ! Il lançait des pierres contre les véhicules britanniques, pendant l’Intifada originelle, celle des Juifs contre l’occupation anglaise. Puis il a découvert que le monde est ambivalent, que dans certains conflits tout n’est pas noir ou blanc ! Et que les extrémistes haïssent le changement ! Alors, il a perdu son innocence et entrevu la profondeur du monde ! En même temps qu’il a eu l’intuition de la féminité ! Il se rend compte que la haine aveugle efface toutes différences entre les deux camps antagonistes !

Il est bien conscient que le fanatisme existe en Israël comme aux quatre coins du monde, et pas seulement le fanatisme radical ! La cause de la flambée du fanatisme est « la quête de solutions simples et lapidaires, d’une rédemption instantanée » ! Il souligne que la distance qui s’agrandit par rapport aux horreurs de Staline et de Hitler favorise cette haine, alors que longtemps les racistes eurent honte de l’être. A nouveau, partout relève la tête l’envie d’écrabouiller « une bonne fois les méchants dans un bain de sang » !

Si le fanatisme radical est très visible, comme dans l’islam radical, « il existe des formes de fanatisme moins flagrantes », et même en nous ! Ce qui caractérise le fanatique, c’est son manque de tolérance envers « la parole de ses adversaires » ! Le germe du fanatisme se cache dans le dogmatisme intransigeant, la certitude d’avoir raison, le mépris, l’exécration.

Bien sûr, la première responsabilité est d’apprendre dès l’enfance à distinguer entre les formes du mal, principe moral simple. Mais c’est bien plus complexe de distinguer entre les différentes nuances de gris. Ceux qui refusent ou sont incapables « de catégoriser le mal peuvent en devenir les esclaves ».

Les fanatiques, écrit Amos Oz, ont une vision manichéenne du monde, ils le voient en noir et blanc, le monde est une sorte de western « où s’affrontent les gentils et les méchants » ! Ils préfèrent sentir que réfléchir, ils aspirent à substituer à ce monde mauvais un monde meilleur, et sont souvent prêts à quitter le monde mauvais pour « le royaume du kitsch édulcoré ».

Le fondement de l’âme fanatique est la tentation si commune de se fondre dans la masse ! « L’envie de faire comme tout le monde et de suivre la majorité représente un terreau fertile pour les fanatiques, de même que le culte de la personnalité, l’idéalisation des leaders religieux et politiques, la fascination qu’exercent les stars du show-business et du sport ». Le dénominateur commun est que « l’adorateur sacrifie sa propre identité », il veut se perdre et s’unir « aux faits et gestes de l’objet du culte ». Il est subjugué par un système sophistiqué de propagande « qui s’adresse intentionnellement à l’élément puéril de l’esprit humain, lequel aspire à fusionner, retourner dans la chaleur du sein maternel » ! Voilà ! Se « serrer dans la foule sous les ailes déployées d’un père, ce géant, un héros admiré, une déesse de beauté, une célébrité glamour », etc.

Amos Oz souligne l’infantilisation croissante des populations partout dans le monde, et ceci parce que les humains sont redevenus des gamins pourris gâtés, « des consommateurs faciles à manipuler » ! Et il met en exergue combien la « frontière entre la politique et le show-business s’estompe sous nos yeux » ! Il déplore que le monde « se transforme en un ‘jardin d’enfants planétaire ‘ » ! Et que la « politique et les médias sont devenus une branche de l’industrie du spectacle », où les électeurs de plus en plus nombreux votent « pour le candidat capable de les galvaniser, de les amuser, d’enfreindre les règles du jeu » ! Pour Amos Oz, la différence entre ces « ados attardés » et les fanatiques n’est qu’apparente. Car ces ados attardés peuvent tout aussi bien « renoncer à une existence riche et diversifiée pour se gaver de la malbouffe servie par ceux qui leur bourrent le crâne afin de les abuser » ! Ils s’affranchissent de leur liberté de penser, de réfléchir, de choisir !

Le fanatique veut vous modeler à son image, vous convertir tout de suite, vous persuader de quitter votre monde pour adopter le sien, en abolissant les différences pour fusionner avec lui. Son monde, écrit Amos Oz, est sans rideau, sans vie privée. Le fanatique veut nous améliorer, nous régénérer, nous ouvrir les yeux, incroyablement altruiste et désintéressé, cherchant à racheter notre âme. Son désir le plus cher est de nous « tirer du trou miteux où nous végétons dans le but de nous installer dans le lieu sublime où il se prélasse… pour notre bien ». Et ceci parce qu’il nous aime d’un amour inconditionnel ! Mais si on ne marche pas, il nous tranche la gorge ! S’il s’intéresse plus à nous qu’à lui-même, c’est qu’il n’a pas vraiment de personnalité, ni de vie privée. Bref, il veut ramener tout le monde dans le droit chemin, par exemple un musulman fanatique veut sauver du matérialisme, qui est pour lui une maladie mentale. Dieu, ou l’idéologie, a envoyé le fanatique pour nous sauver.

Bref le fanatique « se considère comme un parent » face à vous qui êtes un « enfant ignorant » ! Souvent, l’entrée en fanatisme commence à la maison, justement, et par l’envie de changer ceux qu’on aime.

Une grande confusion règne dans l’esprit du fanatique : il mélange l’intransigeance à un sentimentalisme sans aucune imagination. C’est pour cela qu’Amos Oz s’est aperçu que si quelque chose réussit à introduire une minuscule lézarde dans le système en éveillant par surprise l’imagination du fanatique, ce serait un début d’antidote à la brutalité ! Et il conclut donc en écrivant que la « curiosité et l’imagination seraient susceptibles, dans une certaine mesure, d’immuniser contre le fanatisme. » Même par rapport au fanatisme qui est en soi, se mettre à la place de l’autre, se glisser dans sa peau, être curieux de lui, sonder la profondeur du fleuve qui nous sépare, serait un moyen de faire une formidable découverte. « La curiosité pourrait être, en effet, un préalable à l’ouverture d’esprit et à la tolérance ». Pour lui, curiosité et imagination vont ensemble. Et j’aime comme il parle des ragots. Dans « Ailleurs peut-être », il l’avait déjà fait et j’avais trouvé cela extraordinaire ! Je suis tellement d’accord avec lui pour penser que les « ragots sont probablement les petits cousins de la littérature… Les curieux et les imaginatifs rêvent de savoir ‘ce qu’il se passe chez l’autre’… Les potins comme la littérature, chacun à sa manière, pourraient fournir un antidote au fanatisme, car les deux se délectent des différences fascinantes qui existent entre les êtres. » Outre la curiosité et l’imagination, l’humour et l’autodérision aussi peuvent préserver du fanatisme ! Un fanatique n’a pas d’humour. Or, l’humour inculque le sens du relatif, il dégonfle « la personne toute gonflée de son importance que vous êtes ».

Ensuite, il faut bien savoir qu’on ne peut jamais lutter contre l’idée du fanatique par un coup de matraque. « Il doit y avoir une réponse, une contre-proposition… une croyance plus crédible… » Même si Amos Oz n’est pas contre l’idée d’utiliser la matraque contre des assassins. Il n’est pas un pacifiste, pour lui ce n’est pas la violence qui est le mal absolu, mais l’agressivité, « mère de toute violence ». Cette agressivité certes peut être canalisée à coup de massue, mais à condition que ce soit accompagné d’une idée séduisante et convaincante. C’est-à-dire qu’il faut proposer quelque chose ! Combattre les extrémistes c’est d’abord contrôler le petit fanatique qui est en nous. En faisant preuve de curiosité, en essayant de regarder par la fenêtre du voisin, où le point de vue est différent du nôtre. C’est ce que fait Amos Oz, par exemple par l’amitié avec le poète palestinien Mahmoud Darwich ! « S ‘immuniser contre le fanatisme implique, entre autres, la volonté d’exister dans des situations ouvertes qui ne tournent pas en rond et ne peuvent pas se régler d’une façon tranchée. Une propension à vivre avec des questions et des options dont les solutions se perdent à l’horizon voilé de brume ». La grand-mère d’Amos Oz lui a transmis le « secret des questions en suspens, le charme des situations non résolues, les joies de la diversité, la source de richesse que représente la multiculturalité, les us et coutumes différents ». Il souligne combien le fanatisme commence à la maison ! « A des degrés divers, nous aspirons tous à influencer nos proches parents… » Cela ne pose pas problème temps qu’il ne s’agit pas de fusion, d’essayer d’imposer un moule aux autres pour qu’ils cessent d’être eux-mêmes et deviennent des clones ou des satellites de nous-mêmes ! Amos Oz nous fait plonger jusqu’aux racines si régressives du fanatisme ! Sauver les autres, si dangereux par leurs différences qui dérangent le fanatique, en les faisant fusionner avec lui qui est déjà revenu dans le sein matriciel paradisiaque en dehors duquel c’est le mal ! Le fanatique est donc celui qui pense déjà en jouir de manière privilégiée, et la différence des autres pouvant mettre en doute cela, il s’agit de les faire disparaître en temps qu’autres pour devenir des mêmes, des clones. Le « fanum », en latin, est un lieu consacré, un temple ! Le fanatique est prêt à quitter le monde pour rejoindre cette matrice paradisiaque, ce temple, cet autre monde fusionnel, non sans chercher à sauver les autres qui se sont perdus dans le monde mauvais, mais en vérité qui dérangent par leurs différences ses certitudes de pouvoir jouir du « fanum ». Au lieu de chercher à faire fusionner l’autre différent à soi, comme s’il s’était fourvoyé et nous non, Amos Oz, afin de lutter contre le fanatisme qui est d’abord en soi et à la maison, propose au contraire d’être curieux de cet autre différent, et l’imagination comme antidote ! C’est pour cela sans doute qu’il est aussi pour le dialogue avec les Palestiniens, et pour l’existence de deux Etats qui puissent faire enfin la paix.

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Dans son article « Non pas une lumière, mais plusieurs », Amos Oz réfléchie sur un plan culturel au judaïsme. Il souligne que la nation juive se distingue de presque toutes les autres par le fait que son principe vital se transmet par les livres. Il pose que la douleur est le plus grand dénominateur commun à l’humanité, et que ça, même un gamin le sait ! Donc, pour lui, cette douleur est un grand démocrate ! C’est l’expérience la plus répandue au monde ! Et à partir de là, il énonce un commandement moral : « Tu n’infligeras pas la souffrance ! »

Amos Oz souligne d’emblée à quel point il est impossible de trouver deux Juifs du même avis, et combien les débats les plus enflammés les ont toujours divisés à cause de leur désaccord sur la question de la hiérarchisation des valeurs. C’est pour cela qu’ils n’ont jamais eu de pape. Ce climat de tension est source de créativité et de renouveau spirituel. De nouveaux textes ébranlent les écrits antérieurs. Jeu séculaire des interprétations. « Le judaïsme se caractérise alors par un gène anarchiste et virulent, responsable de débats interminables et passionnés ». Les Juifs ne sont donc pas des bâtisseurs de pyramides ou de cathédrales, ni de murailles de Chine, mais « ils rédigent des textes qu’ils lisent en famille, à l’occasion des fêtes ou des repas ». « Cette parabole pourrait nous servir d’identité : les livres et les repas de famille » ! Ces fêtes se ressemblent : « Les méchants voulaient nous tuer, nous avons survécu et maintenant, passons à table ». Puis Amos Oz recherche quel est le ciment du judaïsme, et retrouve pour nous un « ostracon » découvert sur un site archéologique, un tesson d’argile sur lequel il y a une inscription, une sorte de SMS envoyé au XXIe siècle depuis le Xe siècle avant Jésus Christ. Et ce message « recèle un commandement moral et juridique issu d’une civilisation qui réclamait la justice pour les faibles et les déshérités » ! Amos Oz souligne que le nœud du problème réside dans l’esclave, la veuve, l’orphelin, l’étranger, l’enfant, le pauvre, à savoir tous les opprimés de la société israélite de l’époque ! Le message nous dit que la revendication sociale existait déjà il y a trois millénaires, et que la loi était déjà apparue avant David, et même avant l’apparition de la royauté. Cette loi hébraïque ancienne, outre qu’elle imposait le culte divin et l’obéissance au roi, était avant tout faite pour protéger les pauvres, les étrangers, les sans-défense. Donc, elle ne servait pas à renforcer le pouvoir des grands de ce monde, dit Amos Oz ! Ce morceau d’argile conforte sa position à propos de savoir à qui appartient cette terre, vraiment au cœur du conflit israélo-palestinien ! Nous sentons que s’il se refuse à reconnaître l’autorité des rabbins, des saints, des maîtres, c’est à cause de cette inscription vieille de trois mille ans sur un morceau d’argile ! Le commandement moral de ne pas infliger la souffrance ! En somme, de ne pas en rajouter à celle originaire ! Tous les autres commandements se ramènent pour lui à celui-là ! Et il résume l’humanisme par une simple formule : « le droit de tous à la différence » ! Nous voyons que c’est à des années-lumière de la position du fanatique ! Et s’unir autour du droit à la différence fait la force du peuple juif. L’altérité est une bénédiction. Et les débats stimulent la créativité. Il n’y a pas de lumière universelle, mais une multiplicité infinie. La destruction du Premier Temple est due à un groupe d’extrémistes qui, ayant perdu le sens des proportions et de la réalité, ont entraîné le peuple juif à affronter des forces infiniment plus puissantes (donc sans évaluer les forces de l’autre différent). Ces extrémistes étaient persuadés que Dieu les aiderait !

Le peuple juif a la nuque raide, n’est pas docile. La nation ferraille contre les prophètes, et ceux-ci contre Dieu. Des rabbins hassidiques ont même traduit Dieu en justice… ! La rébellion revient à travers l’histoire juive. Mais, estime Amos Oz, c’est le poète, et non pas les rabbins, qui est le véritable héritier du judaïsme dans ce qu’il a de meilleur. Il le dit en pensant au poète Yehuda Amichaï. Le noyau dur de l’anarchisme, c’est ce gène rebelle, qui est inscrit depuis des millénaires dans le judaïsme. Le peuple juif ne se contente pas d’obéir aux ordres, il aspire à la justice et l’exige du créateur lui-même ! La civilisation juive s’est édifiée au cours des siècles par l’énergie créatrice « née de la tension entre le prêtre et le prophète, etc… les sionistes et les antisionistes… les religieux et les laïcs et entre faucons et colombes de nos jours ». A son apogée, le judaïsme « est une culture de la concertation, de la négociation… Nous pouvons vivre dans une situation ouverte. » Le judaïsme encourage même la dissidence. Il est proche de la technique du contrepoint, ou bien la polyphonie humaine. Mais des foyers d’obéissance aveugle sont apparus dans le judaïsme, faisant de lui une religion plutôt qu’une culture, et cela a été une déviation de la tradition. Pour Amos Oz, l’obéissance n’est jamais morale !

Parce que la hiérarchie du pouvoir ne vient jamais d’en haut, le judaïsme à travers les âges a toujours été démocratique. Big Bang, lorsque Moïse a reçu la Torah sur le mont Sinaï, telle une énorme météorite dont les interprétations se propagent à travers les générations, mais la créativité se réduit comme une peau de chagrin, parce que l’expertise savante prend la place. Alors, le judaïsme se sclérose, innove de moins en moins.

Pourquoi, selon Amos Oz, le judaïsme a-t-il résisté aux pressions et tentations des mondes extérieurs ? Cela n’est pas dû seulement à la dévotion des Juifs, mais aussi au fait que, dans les enclaves de l’Europe orientale ou d’Afrique du Nord, les Juifs avaient un mode de vie similaire à celui de leurs voisins non juifs ! Ainsi, ils ont pu protéger leur différence identitaire. Au fur et à mesure que l’environnement non juif devint plus tolérant et réceptif, les Juifs ont pu être plus créatifs dans leur application de la Halakha (loi juive). Lorsque cet environnement non juif se démarqua de la religion pour se polariser autour de la nationalité et parut plus attrayant, le judaïsme se sentit coincé dans la Halakha, et l’identité juive en a subi le contre-coup. Beaucoup de Juifs se sont accrochés à leur religion, mais d’autres nombreux n’en étaient pas satisfaits. Un grand nombre s’assimila. En s’exposant à l’anathème, l’excommunication, l’insulte. Au XVIIIe siècle beaucoup de portes s’ouvrent aux Juifs, nationalisme, émancipation, intégration à la société d’accueil, cosmopolitisme, modernité. Mais le judaïsme halakhique ( la Halakha regroupe l’ensemble des prescriptions, coutumes et traditions qui sont dénommées ‘loi juive’ ) a refusé de s’adapter, refusant d’admettre cette situation inédite. De même le judaïsme halakhique non sioniste a refusé le phénomène inédit constitué par l’indépendance politique du peuple juif en Israël et l’édification de Jérusalem « par un mouvement politique moderne et séculaire, influencé par des courants nationalistes apparus ailleurs dans le monde ».

Amos Oz se dit hérissé d’entendre dire que les millions de Juifs exterminés par les nazis l’ont été pour sanctifier le nom divin ! C’est, dit-il, une profanation à leur mémoire ! Ils ont simplement lutté pour leur vie, la survie de la nation. Lorsque, en 1950, après un attentat sanglant dans un bus, le ministre de la défense déclare à la Knesset que « Le sang juif ne sera pas versé en vain », Amos Oz est aussi hérissé. Le concept n’existe pas dans les sources juives ! Alors que « le sang juif » était une notion fondamentale pour Hitler, et s’est répandu parmi les Juifs israéliens les plus extrémistes !

Amos Oz insiste pour dire que le « retour à Sion » actuel, l’édification des villages juifs, du kibboutz et des villes n’est pas l’œuvre du Messie, mais celle « d’un mouvement politique laïc, pragmatique et moderne ». Et il dit que les événements théologiques les plus cruciaux du judaïsme au cours des dernières générations ne se sont pas produits au cours de séminaires ou par des rabbins, mais dans la poésie, la prose et la philosophie hébraïques ! Il trouve intéressant de constater que le conflit théologique n’ait pas disparu ! Les écrivains n’ont jamais cessé d’exprimer leur détresse spirituelle ! Ce sont eux, pas les écoles talmudiques, qui sont les sources vives de la culture juive, écrit-il ! Selon lui, ce ne sont pas les commandements qui ont préservé les Juifs mais l’inverse ! Ce sont les Juifs qui le sont restés par observance des commandements ou d’une autre manière. Ce sont des millions de choix personnels de millions de Juifs au cours des générations, qui ont décidé de garder leur identité ! Et cette identité n’a de sens qui si la porte de sortie est grande ouverte ! La civilisation juive inclut tout ce qui a été accumulé au fil des générations, que ce soit de l’intérieur ou intégré de l’extérieur.

Le ghetto n’est pas une création juive, il a été imposé par décret étranger, et certains d’entre les Juifs s’en sont entichés et l’ont importé en Israël, car seulement entre ses murs ils se sentent au chaud et en sécurité.

En matière de politique, la loi halakhique est restée à l’âge de pierre, alors qu’elle est très pointue en droit financier, parental, familial, éducatifs. Elle ne connaît sur le plan international que la loi du plus fort ! Car le peuple juif n’a jamais eu la possibilité ni l’expérience d’élaborer des lois sophistiquées concernant les relations internationales.

Depuis la création d’Israël, les partis religieux ont « instrumentalisé la politique pour renforcer ce qu’ils appellent sottement ‘la spécificité juive de l’Etat’ » ! Alors, oui, Israël s’éloigne depuis quelques années de la vision idéale qu’Amos Oz a d’un Etat juif, où « l’interdit d’infliger la douleur semble sérieusement ébranlé » ! « L’Etat juif est issu d’un mariage mixte. Il est né de l’union de la Bible et des Lumières, du rêve et du retour à Sion et des aspirations qui ont débouché sur le printemps des peuples européens… des modes de vie particuliers à la Diaspora et des idéologies modernes prônant la liberté, la fraternité entre les peuples. » « Ce mariage entre la ‘Knesset Israël’ et les idées de liberté et de démocratie est difficile » ! En tout cas, « Israël ne peut être ‘judaïsé’ de force », écrit-il ! Est-ce que reconstruire le Temple, annexer tous les territoires occupés, refouler définitivement les Arabes, remettre l’Amérique et l’Europe à leur place améliorerait la situation des Juifs, se demande-t-il ? Non, car cela provoquerait au contraire leur perte !

Réfléchissant sur la droite israélienne, Amos Oz trouve qu’elle a en commun avec le judaïsme halakhique le fait que les deux soient en conflit réel ou subjectif avec le monde extérieur. « Chacun affirme qu’un éternel litige oppose Israël aux nations. » Les deux reprochent à la gauche israélienne leurs efforts pour résoudre « le conflit éternel » avec les Arabes ou avec le monde entier car, selon eux, ce serait une menace envers la singularité du peuple juif ! La résolution du conflit aurait pour conséquence que le monde extérieur pervertirait le peuple juif, lui ferait perdre son identité, l’assimilerait. Sans menace d’un adversaire ou ennemi qui cherche à l’anéantir, l’identité juive serait en danger. Cette identité aurait selon eux besoin de la menace d’anéantissement pour se renforcer et se perpétuer. Il y a donc un clivage vieux de plus d’un siècle et demi entre Juifs religieux et Juifs séculiers. Heureusement, souligne Amos Oz, les « éléments tolérants et dynamiques que le judaïsme oriental a insufflés à Israël, la culture hébraïque issue des premières générations du sionisme, la littérature hébraïque contemporaine, la culture yiddish et ladino, les courants non orthodoxes du judaïsme », figurent à l’ordre du jour de la culture israélienne contemporaine ! C’est un héritage ancien, important pour dépasser le conflit.

Pour Amos Oz, certes les frontières sont importantes, mais ce qui se passe à l’intérieur est bien plus important ! Israël, dit-il peut être à l’intérieur de ses frontières un monstre ou une caricature, ou bien une société juste, morale et créative ! Il s’écrie que ce « serait folie de laisser le problème des frontières vampiriser et fausser la réalité » ! Jamais, au cours de l’histoire juive, la question des frontières n’a été primordiale ! Il faut sortir de cette torpeur hypnotique, et enfin se demander ce qui va se passer maintenant ! D’autant plus que de nombreux Juifs, souvent jeunes, pensent que le judaïsme est un dangereux prolongement de l’extrémisme, un nationalisme, une tentative brutale d’extorsion, un rouleau compresseur pulvérisant les vies privées, les libertés individuelles ! Angoisses qui menacent le lien charnel que, partout, les Juifs entretiennent avec leur héritage ! Certains Juifs sont même prêts à tout jeter, pour aller vers une autre spiritualité ! Pour Amos Oz, tout cela est un désastre. Il regrette l’auto-sous-estimation des laïcs face à la pseudo-authenticité des Juifs ultra-orthodoxes !

Donc, tout cela amène Amos Oz à reconsidérer la question : qui est Juif ? Et sa réponse est en relation avec qui a le plus d’affinité avec le fameux ostracon, ce morceau d’argile avec une inscription demandant de ne pas infliger la souffrance ! « La démocratie et le pluralisme ne sont que les expressions populaires de la vie et de l’égalité de la valeur humaine… La sainteté de la vie découle directement du noyau le plus intime du génie juif dans ce qu’il a de meilleur. A mon sens, on peut mettre sur le même plan : ‘Tu n’infligeras pas la souffrance’ et ‘ Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse’ ». Et il défend le fait que les laïcs sont aussi les légataires de la culture juive, parfaitement légitimes, même s’ils ne sont pas les seuls. Et eux, ils ne sont pas esclaves de leur héritage, et ils peuvent choisir d’en privilégier des parties et pas d’autres, et accepter que des générations suivantes fassent autrement ! Car les laïcs pensent que leur passé leur appartient et qu’ils n’appartiennent pas au passé ! Amos Oz pose bien le problème : est-ce qu’on contrôle le passé, ou bien sommes-nous asservis à lui qui balise tout ? Or, il rappelle que la loi primordiale du judaïsme est que « l’être humain l’emporte sur son patrimoine ancestral » ! On dirait que ce patrimoine, c’est comme une immense bibliothèque constituée au long des siècles et des générations, et que chaque être humain peut aller y lire ce qui l’intéresse le plus, comme des leçons du passé pour sa vie en train de se vivre, pour créer et imaginer. « Ce qui fleurit aujourd’hui peut fertiliser ce qui fleurira demain, et ce qui fleurit demain pourrait ressembler, à l’inverse, à ce qui s’est épanoui hier ». Pendant des milliers d’années, la culture juive a aussi assimilé les semences venant d’autres cultures et a elle-même pollinisé différents mondes ! Amos Oz écrit qu’il est impossible de se renouveler sans le temps jadis, mais que le temps jadis ne peut pas non plus exister sans renouveau !

C’est une très belle et indispensable leçon de sagesse, enseignant la non peur de l’autre, que notre identité ne dépend pas d’un ennemi à repousser, mais au contraire c’est la curiosité à son égard qui nourrit notre créativité et notre identité, qui se forge sur ce commandement si ancien : Tu n’infligeras pas la souffrance ! Cette sacralité de chaque vie ! Celle donc aussi d’un Palestinien ! Amos Oz fait partie de cette poignée de travailleurs de la paix authentiques, qui dans cette pollinisation du passé dans le présent et vice-versa, et entre les cultures, entrevoit une universalité intellectuelle comme Fernando Pessoa l’espérait aussi, et c’est l’espoir d’une réconciliation fraternelle !

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Troisième réflexion d’Amos Oz : « Des rêves auxquels Israël devrait renoncer au plus vite »

Il commence par une question de vie ou de mort : s’il n’y a pas bientôt deux Etats, Israélien et palestinien, il n’y en aura plus qu’un seul, et ce sera un Etat arabe, qui s’étendra de la Méditerranée jusqu’au Jourdain. Si Juifs et Palestiniens peuvent et doivent vivre ensemble en paix, les Juifs ne peuvent vivre en tant que minorités sous domination arabe, car presque tous les régimes arabes du Moyen-Orient oppriment et exploitent leurs minorités ! Et puis, Amos Oz défend aussi le droit à être une nation majoritaire pour les Juifs israéliens comme pour n’importe quel autre peuple. Il n’est pas pour un Etat binational ! Sans deux Etats, probablement les Juifs fanatiques instaureront une dictature temporaire, régime raciste qui opprimera en même temps les Arabes et les Juifs résistants. Il avertit qu’aucune minorité opprimant une majorité n’a pu durer dans l’histoire moderne ! Et finalement, dans le sillage d’un boycott international ou d’un bain de sang, ce sera probablement la création d’un Etat arabe !

Alors, ce temps de gestion du conflit ? Cela a été l’histoire des dernières décennies ! Mais Amos Oz entrevoit désormais des solutions, et même que « nous n’avons jamais eu meilleure occasion d’y mettre fin ». Parce que « à l’heure actuelle, comme dans un futur proche, l’Egypte, la Jordanie, l’Arabie Saoudite, les Emirats, les pays du Maghreb et même la Syrie d’Assad ont à affronter un ennemi bien plus immédiat, plus destructeur et dangereux qu’Israël » ! Il y avait eu en 2002 le plan de paix saoudien, qui était une initiative de la Ligue arabe.

Bien qu’il pense que la puissance militaire est importante pour empêcher l’anéantissement, il dit qu’Israël ne peut pas gagner une guerre, car elle n’a pas d’objectifs nationaux consensuels pouvant être réalisés par l’armée. Matraque ou pas, le conflit avec les Arabes, depuis un siècle, est une plaie purulente, et c’est absurde de frapper une plaie ! La coercition qu’Israël impose sur les territoires occupés fragilisant l’Autorité palestinienne, sa chute mettrait Israël face au Hamas en Cisjordanie. D’autre part, des millions de Palestiniens sont chaque jours humiliés, opprimés, privés de leurs droits, leur dignité humaine et nationale est bafouée, leurs biens sont confisqués, leur vie sous occupation israélienne est indigne, et tout cela ruine le commandement ancien si tolérant et ouvert, et qui fait l’identité juive véritable, « N’inflige pas la souffrance » ! Que signifie ce que disent les colons et la droite, à propos de leur droit légitime à revendiquer la totalité de la terre ? Ce n’est pas « ce dont j’ai envie » qui prime ! « La légitimité repose sur la reconnaissance générale », dit Amos Oz ! Mais aux yeux des colons et de la droite, il s’agit du commandement religieux de posséder chaque arpent de terre biblique ! Et Amos Oz répond : « Aucun commandement en ce sens ne figure dans les sources juives » ! La droite et les colons ne veulent pas seulement faire la guerre aux Arabes mais à l’islam tout entier, et certains même veulent engager les hostilités contre le monde entier, par exemple en remettant l’Amérique à sa place avec la victoire du Likoud. Aujourd’hui, écrit Amos Oz, Israël tente de remettre le monde entier à sa place, en brisant l’alliance avec les Américains, en disant qu’Obama leur met des bâtons dans les roues ! Mais l’élection de Trump grise à nouveau les colons et leurs partisans ! En vérité, à part les colons et les fanatiques chrétiens américains, « le monde entier fait front commun contre l’occupation israélienne de la Cisjordanie et de la population palestinienne. »

Amos Os rappelle que chaque fois qu’Israël est entré en collision frontale avec une superpuissance, elle a perdu (Rome, Babylone). Si les consommateurs, un jour, boycottent les produits israéliens, l’économie israélienne s’effondrera. Selon David Ben Gourion, Israël ne peut survivre sans le soutien d’au moins une superpuissance, qui ont été dans le temps au départ la Grande Bretagne, puis un peu la Russie de Staline, puis brièvement l’Angleterre et la France, et depuis quelques décennies, les Etats-Unis, mais cela n’a rien de permanent ! En Israël, on ne sait pas distinguer entre le permanent et le transitoire. Or, il ne faut pas croire, écrit Amos Oz, que l’alliance avec les Etats-Unis est permanente ! En revanche, que les Palestiniens soient les voisins des Israéliens est une chose permanente !

Bien sûr, Amos Oz ne certifie pas que tout sera rose si la paix est signée avec les Palestiniens et si Israël se retire des territoires, mais à coup sûr ce sera pire sans cette signature, car à terme un Etat arabe « émergera entre la Méditerranée et le Jourdain ». Il rappelle que des millions d’Israéliens sont prêts à signer et à renoncer aux territoires en échange de la paix ! Cependant, il souligne un fait à ne pas négliger : la non confiance en les Arabes, la peur même. Donc, dit-il, cet « échange territoire-paix doit susciter un débat de fond, en pesant un danger contre un autre ». Et la paix ne se trouve pas à portée de mains comme dans un magasin de jouets ! « Pour faire la paix, il faut plus d’un partenaire », dit-il ! Il rappelle sa position sioniste, qui est depuis le départ très simple, très sage, très ouverte et tolérante : « nous ne sommes pas seuls sur cette terre. Nous ne sommes pas seuls à Jérusalem. Je dis la même chose à mes amis palestiniens : vous n’êtes pas seuls sur cette terre. » C’est d’une importance vitale ! S’apercevoir de l’autre sur cette même terre ! Et exiger que l’autre l’admette aussi !

Ce qui, en Israël et dans le monde jette la confusion et provoque une simplification excessive du conflit est de ne pas s’apercevoir que les Palestiniens luttent en fait sur deux fronts. D’une part, ils luttent pour la fin de l’occupation et pour leur indépendance nationale, et cette lutte doit être soutenue par tous, mais pas tous les moyens utilisés par les Palestiniens bien sûr ! D’autre part, ils luttent contre l’islam fanatique qui veut anéantir Israël ! Deux combats ont lieu sur cette terre, l’un est juste l’autre est abominable !

Evidemment, Amos Oz est conscient que deux Etats, ce ne sera pas tout de suite les jours heureux, que cela devra se construire, s’organiser. En tout cas, pas de choix, car le peuple juif n’a « nulle part où aller » ! Et les « Palestiniens ne partiront nulle part non plus » ! Eux aussi n’ont nulle part où aller ! C’est une tragédie qui oppose la justice à la justice, dit-il !

Alors, Amos Oz dévoile le secret sécuritaire le mieux gardé d’Israël : « nous sommes plus faibles – et nous l’avons toujours été- que l’ensemble de nos ennemis » !

Amos Oz refuse le fait que l’occupation des territoires serait irréversible ! Alors, comme en Afrique du sud, « nous devons choisir entre vivre en tant que nation souveraine dans un Etat d’apartheid juif, abandonner le rêve sioniste et nous résigner à être une minorité sous la domination arabe » ? Cette irréversibilité est une bombe à retardement, brisant l’esprit de la gauche sioniste qui s’oppose à l’occupation tout en continuant à croire que le peuple juif a un droit naturel, historique et légitime… dans un minuscule Etat démocratique ».

Amos Oz suspend un peu la peur existentielle, en rappelant que Israël connaît en ce moment un âge d’or culturel dans la littérature, le cinéma, la musique, le théâtre, les beaux-arts, la philosophie, la science, la technologie. Cette ère si créative donne de l’espoir ! Même si Amos Oz a peur de l’avenir, a honte de la politique du gouvernement, il est fier d’être Israélien, et il aime ce monde qui vocifère, où chacun a sa propre formule de rédemption, ce qui peut être rageant, mais on ne s’ennuie jamais !

J’ai voulu rendre compte très précisément de la pensée d’un travailleur de la paix qui, attaché à ce que chaque vie humaine compte et ancrant cela dans l’histoire juive avec son commandement de ne pas infliger la souffrance et dans l’ouverture curieuse aux autres, appelle de tout son cœur à la création d’un Etat palestinien voisin de celui d’Israël, car ni les Palestiniens ni le peuple juif n’ont où aller ailleurs, et qu’il s’agit dans cette création de la justice pour le peuple palestinien ET pour le peuple juif ! C’est un grand homme de paix, cet écrivain !

Alice Granger Guitard



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