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Dits et écrits d’un cinéaste chinois - Jia Zhang-Ke
jeudi 16 février 2012 par Jean-Paul Gavard-Perret

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JIA ZHANG-KE : ERES ET AIRES DU SOUPçON

Jia Zhang-Ke, Dits et écrits d’un cinéaste chinois (1996-2011), Editions Capricci, Paris, 2012.

Trois films "Xiao Wu, artisan pickpocket", "The Worlds", "Still Life" ont suffi à Jia Zhang-Ke pour être considéré à juste titre comme le plus grand cinéaste contemporain. A son compteur aujourd’hui une dizaine de longs métrages. Ses " dits et récits " offrent le témoignage du réalisateur à la fois sur son esthétique (qui est une éthique - nous y reviendrons) et sur la condition du cinéma chinois mais pas seulement.

Interviews, textes de conférence représentent une forme d’hygiène pédagogique ancrée dans l’histoire de la Chine pour raconter son cinéma. Sans phrases imbroglios ni pirouettes, avec le pur plaisir de dire au plus juste Jiu Zhang-Ke parle de son art avec lucidité et émotion. Toute l’attention qu’il porte à son travail et à ses enjeux est là. Le livre permet donc - pour beaucoup de lecteurs - une première entrée dans un cinéma encore méconnu mais qui peu à peu va envahir le monde.

Le réalisateur souligne la ruse nécessaire afin de dégager les foules d’une certaine idéologie - ou plutôt d’une idéologie certaine - et les appâter par des attraits sensuels et romanesques sans tomber dans une superficielle diversion au souci de vivre. Pour Zhang-Ke le cinéma se doit une autre ambition.

Il explique comment pendant le maoïsme une certaine vulgarité s’est renforcée et comment le cinéma a pu effectuer un retour loin des stéréotypes. "Le vécu personnel, les sensations physiques avaient peu à peu disparu au profit d’un courant dominé qui s’était substitué à eux" écrit celui qui garde une fois à une culture chinoise plus profonde et dont "le fondement est inébranlable".

Toutefois Zhang-Ke ne se limite pas à une vision étroite et nationaliste de son art. Par exemple les pages magistrales sur Ozu ou sur les réalisateurs taïwanais Hou Hsiao-Hsienet Tsai Ming Liang permettent de prouver une largeur de vue même face au cinéma de pays plus ou moins ennemis héréditaires de l’Empire chinois.

Il remet à plat les limites du cinéma continental en renaissance : " nous devons élaborer une réflexion approfondie sur certaines conceptions du cinéma comme celle du grandiose : en quoi le grandiose est-il un critère de qualité ?". Question capitale pour un pays qui se doit de sortir d’un cinéma épique au lyrisme à la platitude grasse.

L’artiste évoque comment un créateur doit se dégager des forces sociales et politiques surtout lorsqu’elles deviennent tyranniques et assumer ses aspirations personnelles face aux pouvoirs. Lucide, Zhang Ke sait que les contraintes d’hier peuvent être remplacées par d’autres règles plus implicites - mais règles tout de même. Un cinéaste digne de ce nom a pour nécessité de lutter contre les refoulements imposés du dehors comme du dedans.

L’auteur explique enfin combien l’aventure cinématographique court des risques à ignorer le bien et le mal. Pour lui l’esthétique se mêle à l’éthique (comme chez Ozu son maître). Le privilège des vrais explorateurs et transfuges est donc de la respecter. Car plus qu’une règle elle devient une plongée dans le réel comme dans la maison de son propre être. Contre la grande somnolence qui pèse sur les hommes le vrai cinéaste doit donc ne jamais quitter le monde mais s’y engager afin de lui donner l’éclat de lumière dont il manque.

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