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Propriété privée - Julia Deck
mercredi 23 octobre 2019 par penvins

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Évidemment ce roman va plaire, il met en scène des bobos écolos enfermés dans leur entre soi, il est bien écrit, très bien ficelé à la manière d’un polar et il permettra aux lecteurs boboïsés d’imaginer qu’ils livrent un combat contre la pensée dominante de notre époque. Comme s’il s’agissait de prouver que cette pensée ne résiste pas à l’épreuve des faits. Bien sûr ce quartier écolo où il importe plus de trouver son petit confort et où le retour à la nature n’est finalement qu’un effet de mode est une caricature à peine exagérée du monde dans lequel nous vivons, tout y est : les anxiolytiques comme la novlangue du marketing,

Des promoteurs s’offrirent à densifier le bâti pour maximiser le rendement du foncier.

mais en choisissant de traiter de ce qui n’est après tout qu’un épiphénomène, Julia Deck produit à bon compte un roman de distraction qui conforte le lecteur dans ses convictions et le place sur un terrain tout à fait inessentiel. On a certes le droit de se plonger parfois dans une littérature souriante, de s’offrir quelques heures de recul et de regarder avec un œil amusé ces bobos soucieux de leur bien-être s’être fourvoyés dans une rue en forme d’impasse, mais il y a dans ce parti pris bien ancré chez Minuit, avec quelques exceptions, d’une littérature hors sol comme le sont eux-mêmes les habitants de ce quartier, une volonté de ne pas mêler la littérature au réel, d’en faire une sorte de jeu, ici un jeu de massacre. Bien innocent tant les personnages sont des caricatures.

La vie est ailleurs que dans ce rêve d’une maison à soi conforme aux critères environnementaux en vigueur. C’est bien sûr aussi ce que dit cette fiction mais elle est trop bien menée, malgré les drames qui se jouent, le roman paraît tout entier contenu dans une mise en scène préexistante à l’écriture, les familles sont réparties le long d’une impasse selon un schéma qu’il est facile, crayon en main, de reconstituer, on navigue alors dans un espace incertain, lieu de tous les possibles un roman policier où bien entendu tout le monde peut être le coupable.
Et c’est comme si l’auteur avait voulu que nous nous sentions tous impliqués dans cette dérive qui conduit au pire. Confrontée à Bogaert qui rejette sa théorie de l’espace incertain, elle rit :

J’ai ri. Pour un peu c’était moi qu’il fallait inculper de je ne sais quoi. J’ai observé son visage sérieux, transparent. Mon sourire s’est décomposé.

C’est aussi de la part de l’auteur une manière de nous faire savoir son aversion pour le sérieux et ses certitudes. Julia Deck a choisi d’écrire une sorte de roman policier sans véritable issue, comme si le roman devait lui-même s’autodétruire. Ce qu’il fait.
Laissons donc le lecteur se forger une opinion, toute caricature s’appuie sur une réalité qu’elle déforme et donne de l’importance à ce qui n’en a pas. Dans son discours adressé à Charles, Eva nous offre parmi d’autres une lecture avec l’élégance de la légèreté qui permet de se dédouaner de l’illusion d’une supériorité :

Tu t’inventais un petit théâtre […] lisant à voix haute des extraits […] que tu ne craignais pas de proférer avec emphase, persuadé que nous seuls dans le périmètre avions accès aux sphères supérieures de la pensée. Tu me faisais rire.



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