lundi 11 novembre 2019 par penvins
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Ce roman de Lionel-Edouard Martin, dont le propos est sans doute plus difficile à apercevoir que ceux des romans précédents, comme si le sujet rendait aveugle le lecteur fasciné, parle de la mort et de la transmission. Pas pour rien qu’en toile de fond il y a la Grande Guerre.
La mort ce sont d’abord les charognards, les grolles en patois poitevin, ceux qui viennent dévorer le ventre de Popotame mais peut-être aussi sauvegarder sa trace.
La moindre nichée doit avoir dans le sang le sang de monsieur Charles
C’est donc là, entre la mort et la transmission artistique que se situe ce texte nostalgique. Le narrateur ressuscite par la voix de la vieille cuisinière l’histoire de Charles, dit Popotame en raison de son embonpoint, retrouvé mort en juillet 1935 le ventre dévoré par les charognards.
Durant les années qui entourent la Première Guerre mondiale, à une époque où la bourgeoisie se donne des airs de noblesse et où chacun aime barbouiller la toile, une époque où le prétendu baron s’entend dire par la cuisinière "Rangez-moi ça, monsieur le baron, ou je vous le coupe", le petit baronnet est initié à la peinture, mais sans doute pas à la vie telle que la concevaient son père et ceux qui l’avaient précédé. Monsieur le baron, chasseur, viandard dont le fils au contraire ne mange que des viandes blanches et autres nourritures de femmes et a des airs de poupon hermaphrodite qui font dire de lui qu’
à trente-cinq ans personne ne le prenait vraiment pour un homme.
Popotame qui donc ne sera jamais un homme, qui sans doute ne peut l’être avec son petit bouais :
le garçon flasque, là, sans désir. Pas même le "bouais" qui se redresse, s’il en a un.
Les cailles de Popotame seront donc redécouvertes par le narrateur à l’occasion d’un emploi temporaire de guide au musée municipal. La transmission passe par le local. Ce sera le grainetier, l’Érudit local qui servira d’intermédiaire pour que l’œuvre se fasse connaître [ tout au moins des lecteurs du roman puisque comme on le lira les toiles de Charles s’arrachent désormais à Drouot…].
De même ce sera un peintre amateur, Desmassoures, qui initiera - comme en miroir de l’Érudit local et du narrateur – le jeune Charles à la peinture de son temps. Et tout spécialement à celle du Douanier Rousseau. Peinture naïve pour celui qui ne connaît rien. Ainsi quand le liquoriste bon vivant qu’est Desmassoures cesse de lui donner des leçons, le gros garçon s’affranchit de son style et en revient à une nature plus indolente
un autre monde que celui des viandards, où la vache paissait loin du taureau, la chèvre à l’écart du bouc, où la poule picotait loin du coq.
Pour tout dire un monde asexué. Il doit encore se débarrasser de ses peluches, arrêter de sucer son pouce… devenir sale puis mystique… avant d’être confronté aux réalités du monde des adultes, à leurs nudités, à une sexualité sans poésie.
Ils sont nus dans la lumière, et les vairons nagent dans la boue qui les étouffe.
[…]
Qu’ils soient nus, qu’ils se caressent : peu lui importe. Mais les vairons sont dans la boue, les innocents. Peut-être morts. Les vairons captifs de la translucidité.
On hésite à interpréter ce roman complexe, quel est cet artiste qui se refuse à entrer dans la vie, ce personnage en rupture avec l’oralité dévorante des romans précédents, le titre et le dernier chapitre du roman nous donnent sans doute une piste si ambiguë soit-elle ? Trop blanc ce sont à la fois les dessous de Berthe, mais aussi le sperme des jumeaux, ce sont leurs petites têtes d’ange qui cachent bien leur malfaisance et surtout la blancheur de la peau de Popotame qu’il abrite sous un parapluie, son incapacité à devenir un homme. Mais c’est aussi le monde qui émerge après la Grande Guerre où le rêve d’un poète n’est plus possible tant on a perdu le désir de transmettre.
Les deux balles dans le ventre donneront aux grolles l’opportunité de
tâcher de lui ravir son âme [… et de] l’emporter en enfer […]
où peut-être il rejoindra le poète et son soldat étendu deux trous rouges au côté droit ?
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