Roman paru aux éditions Orizons dans la collection Littératures
samedi 22 août 2020 par Françoise Urban-MenningerPour imprimer
Cette fenêtre littéraire qui s’ouvre sur Prague, invite d’emblée le lecteur à y plonger son regard intérieur dès la découverte de l’illustration de couverture de cet imposant roman. Le fragment lumineux d’un tableau d’Ellis A.Ware intitulé "Mme Waller von Schwartzenberg à Prague et l’incendie du monde" immerge le lecteur dans cet "interstice du réel et de l’ondoyant" où il côtoie les fantômes littéraires qui hantent notre mémoire et l’histoire même de cette littérature qui nous fait et nous défait...
Dans la ville de Prague où naît Nafala Weill-Breslau en 1897 et décède entre 1939 et 1945, on va suivre le destin d’une femme exceptionnelle dont les amitiés et les rencontres hors du commun ont partie liée avec les entrelacs de l’Histoire avec un grand H. Son fils Nal né en 1920, parti en exil en 1938, meurt en 1970 tandis que leur amie commune Pauline Lamballe-Violet, disparaît à Venise, centenaire, en 1997.
Les personnages de cette oeuvre "construite comme un conte" aux dires de l’auteur autour de "Praga magica d’avant-hier" jouent leur vie à la perdre sur l’échiquier du monde.
Dans les apartés où Daniel Cohen se confie au lecteur, il avoue tenter "de jeter un pont sur l’abîme" et ajoute, à l’instar de Bachelard, que "tout est né dans le maquis de l’enfance". On comprend dès lors que tous les livres publiés par l’auteur composent une oeuvre monumentale, unique et pourtant à résonance universelle où Colomb-Béchar, Prague, Venise, Paris, New York, Jérusalem "s’étreignent".
Le fil rouge de ce livre, comme celui des précédents, renvoie à l’essence même de la littérature. L’oeuvre donne corps, vie et âme au destin de l’auteur qui n’est autre que celui d’écrire, écrire encore et peut-être "derrière l’entrelacs", "la volonté d’asseoir une mémoire". Car ne nous y trompons pas, Nafala, son fils Nal, leur amie Pauline sont les trois entités d’un même esprit, celui de Daniel Cohen qui promène à travers leurs pérégrinations, les personnages littéraires qu’il porte en lui et qui ont en quelque sorte façonné ses pensées et son imaginaire.
Défilent ainsi sur la scène littéraire de ce roman inclassable, les figures de Proust, Gide, Hofmannstahl, Malraux, Kafka, Valéry, Goethe et de bien d’autres auteurs qui nous paraissent d’autant plus proches et familiers que Daniel Cohen les place dans un entre-deux où de multiples anecdotes génèrent l’impression d’entrer dans leur intimité.
Mais la toile de fond demeure celle de la réalité tragique de l’Histoire qui fait saillir, sous la chair vive des mots, les cris déchirants d’une humanité en déshérence mise à mal et l’auteur de prédire ce temps où "le grand silence montera des abattoirs. "Le martyre des juifs remontera des abîmes" en 1970, lorsque Daniel Cohen a 20 ans et il devient, comme il l’écrit, "contemporain de ce tabou" qui va dès lors s’inscrire dans son oeuvre pour l’habiter.
De l’aveu même de l’écrivain, ce roman n’aurait jamais vu le jour, s’il n’était pas né de l’autre côté de la Méditerranée...Quant au couple Nafala-Nal, l’on songe à un autre livre de Daniel Cohen "Eaux dérobées" où il narre sa relation fusionnelle avec sa mère et la longue agonie de cette dernière qui tout en disparaissant s’incarnera dans l’encre et le sang des mots.
Selon ses propres termes, Daniel Cohen a voulu "créer une féerie et un style qui associent et fil méandreux de la mémoire et filigrane de la guerre plutôt que la guerre en actrice-événement".
Nul doute que le lecteur aura l’âme prise dans la magnificence d’une fête de l’intelligence, le chatoiement d’une écriture raffinée, empreinte d’une poésie d’une beauté mourante et vénéneuse à l’instar de celle que l’on ressent dans le film de James Ivory " Les Vestiges du jour" plusieurs fois cité par l’auteur.
Car dans l’oeuvre de Daniel Cohen, on trouve tout à la fois Proust, Kafka mais aussi des peintres, des musiciens, des poètes qui, dans une époque désenchantée, réenchantent pourtant le verbe et l’éclairent.
Indubitablement dans "Prague de leur fenêtre", Daniel Cohen a "touché ce vif-argent" qui glisse et se dérobe dans le même temps où l’on croit le saisir car l’écriture est cette quête qui appréhende les marges de l’infini sans jamais les atteindre.
Françoise Urban-Menninger
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