vendredi 6 novembre 2020 par Abdelali Najah
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Rachid Elhachimi : Effacer les frontières et les limites entre le soi et l’Autre.
Le romancier marocain Rachid Elhachimi vient de publier son nouveau roman « Une maison soufie » aux éditions Le Lys bleu, un roman historique qui traite la question de l’esclavage au Maroc. En effet, l’esclavage reste le tabou des tabous culturels qui entrave la socialisation de l’enfance au Maroc et devise la société en deux types de citoyenneté de par la couleur de la peau.
Rachid Elhachimi est parmi les rarissimes écrivains qui ont franchi le seuil du silence de l’histoire sur l’esclavage et la vie religieuse, culturelle et sociale au Maroc en particulier, et dans le monde arabe en général. Dans cet entretien, il nous raconte les lignes directrices qui l’ont poussé à aborder ce sujet épineux, et nous décortique les éléments clés de son roman « Une maison soufie ».
Présentation :
Je suis Rachid Elhachimi, romancier, nouvelliste et étudiant chercheur en master Langue et Communication à la faculté polydisciplinaire d’Er-Rachidia, Université Moulay Ismail- Meknès. Je suis enseignant de langue française au collège depuis 2016. J’ai publié trois ouvrages en arabe : La mémoire du narcisse (roman publié en 2018), La petite Plante de Bambou (recueil de nouvelles publié en 2018) et Ksar Douira : lumières sur l’histoire, l’héritage et la culture (étude anthropologique publiée en 2019), et un roman en français « Une maison soufie ». Je suis auteur de plusieurs articles d’expressions arabe et d’expression française dans le domaine de la critique littéraire s’intéressant principalement aux figures de l’interculturel dans le texte maghrébin, et l’anthropologie.
Le roman « Une maison soufie » :
Une maison soufie est mon quatrième ouvrage, mais c’est mon premier roman publié en français. C’est le texte le plus proche de mon cœur. Bref, il s’agit de deux récits qui se tissent parallèlement, le premier relate l’histoire de la petite fille nègre aux yeux bleus Railla, habitant à Dar Gnaoua avec sa mère et sa sœur Shams. Après la mort du grand-père, Rahila n’avait qu’un seul rêve : aller à l’école pour qu’elle soit capable de lire un manuscrit historique de l’aïeul de la famille. Un jour, au temps qu’elle croyait qu’elle est allée pour s’inscrire à l’école, elle est vendue par son oncle au palais royal pour y passer toute sa vie en tant qu’« esclave ».
Le deuxième récit est le manuscrit historique que Rahila n’arrive pas à lire. Il raconte l’histoire de Sidi Blal Bnou Mohammad Soudani, qui a construit cette Maison de Gnaoua en plein désert, une maison d’Amour inconditionnel et des rencontres interculturelles, et a fondu cette Tarîqa spirituelle de chercher Dieu. C’est à travers cette histoire que j’ai pu mettre l’accent sur les épisodes de la création de l’armée des esclaves d’Al-Bukhârî par le sultan Moulay Ismail vers la fin du XVIIème siècle. En vérité, ce roi a obligé les bourgeois à lui vendre ses esclaves, et a conduit les harratins (les nègres libres) par la force à l’esclavage.
L’intrigue du roman « Une maison soufie » :
Puisque le roman se compose de deux histoires, nous sommes devant deux intrigues essentielles : la quête et la métamorphose. Dans la première histoire, c’est la quête perpétuelle des espaces désertiques et des paysages spirituels qui conduit toujours Rahila vers les nouvelles expériences, et les aventures les plus belles et les plus amères.
Pour Sidi Blal Bnou Mohammad Soudani, il a subi un changement spirituel dans sa vie après avoir quitté la guerre et rencontré le derviche. Son histoire raconte la lutte en soi du bien et du mal, mais aussi du matériel et du spirituel.
Description psychologique des personnages du roman :
Ce qui peut unir Rahila et son Sidi Blal, les protagonistes du roman, est leurs caractéristiques psychologiques. Les deux sont sensibles et fragiles. Ils aiment toujours se retrouver seuls dans les espaces immenses comme les plateaux de prières et les dunes désertiques, et ils détestent les espaces fermés et les lieux étroits. Ils sont toujours à la quête de la liberté interne, de la spiritualité profonde et de tout ce qui est sublime. Ils sont nés de l’Amour, ils sont créés pour concrétiser l’Amour.
L’histoire de l’esclavage au Maroc :
Absolument. Le roman met l’accent sur plusieurs types d’esclavage au Maroc. D’abord, il y a l’esclavage classique, et c’est vers la fin du XVIIème siècle que ce type était très répandu. Ainsi, le sultan Moulay Ismail a obligé les riches du pays à Marrakech, à Fès et bien d’autres villes à lui vendre tous les esclaves, et a conduit les nègres libres à l’esclavage par la force de la religion et la force militaire, et par la simple raison que la couleur de leurs peaux est noire. Ensuite, il y a l’esclavage moderne qui reste lié toujours au palais royal. Rahila n’est qu’une victime parmi plusieurs victimes qui sont vendues par leurs parents pour passer leurs vies en travaillant, jour et nuit, dans les « Maisons du roi ».
Une approche historique de l’esclavage et du soufisme au Maroc :
Tout à fait. L’approche historique est adoptée tout au long du roman pour décrire l’évolution de l’esclavage au Maroc dès le XVIIème siècle jusqu’à nos jours, et ipso facto, montrer le changement qu’a connu Gnaoua en tant que pratique soufie par excellence. En revanche, l’historique ne peut jamais vivre tout seul, il a toujours besoin de l’imaginaire pour qu’il se complète. Dans Une maison soufie, nous assistons, il faut l’avouer, à une oscillation entre la neutralité et la subjectivité, entre le mensonge et la vérité, entre la fiction et l’Histoire. Il ne s’agit pas ici de deux mondes différents qui divisent le texte en deux réalités, mais deux mondes qui se complètent dans la mesure où tout élément, toute pièce, toute composante enrichit l’autre.
Le silence de l’histoire marocaine sur l’esclavage et le soufisme :
Les livres traitant de l’esclavage au Maroc sont trop rares. Malheureusement, c’est une vérité que personne n’avoue. Cela pourrait s’expliquer par l’envie d’oublier et de faire oublier cette vérité amère d’esclavagisme. Ainsi, nous ne parlons que de notre courage et nos beaux comportements. C’est pourquoi, il faudrait réaliser des recherches sérieuses non pas seulement sur l’histoire d’esclavage, mais aussi sur l’héritage culturel nègre qui serait certainement riche et pluriel, surtout lorsqu’on connaît que la négritude marocaine n’est pas une question de couleur, mais c’est une question de culture.
En ce qui concerne le soufisme, il y a tant d’ouvrages qui décrivent les pratiques soufis populaires de façon folklorique, mais le vrai soufisme, étant une méthode spirituelle qui nous guide vers nous-mêmes, reste caché. En effet, les grands Maîtres n’ont pas inventé de simples pratiques vides de sens, mais ils ont créé une vision du monde, une philosophie de vie qui se base sur l’amour inconditionnel, l’amitié spirituelle et l’aimance réciproque.
Pourquoi « Une maison soufie » :
Depuis mon premier roman « La mémoire du narcisse », l’esclavage, la négritude et le soufisme étaient les sujets auxquels je m’intéresse toujours. Mais, je pense que l’expérience d’« Une maison soufie » est un peu différente. Mon objectif fondamental était de créer un monde poétique et spirituel où le Gnaoui, figure emblématique de l’homme universel, chante les poèmes de l’interculturel et de « l’hospitalité inconditionnelle ». C’était l’occasion aussi pour mettre en valeur les pratiques soufies et originelles du sud-est marocain, surtout à Merzouga où la porte de Dar Gnaoua est encore ouverte pour accueillir les gens de tous les pays et de toutes les cultures.
En guise de conclusion, votre dernier mot…
Je vous remercie infiniment Monsieur Abdelali Najah pour cet entretien littéraire plein d’émotions et de sensations. À cette occasion, je vous invite, mes chers lecteurs, à me découvrir à travers mon roman « Une maison soufie » qui tente de mettre la lumière sur des sujets historiques passés sous silence dans notre société : esclavage, négritude et soufisme. De même, il constitue une œuvre d’une grande originalité littéraire et romanesque. L’image de l’interculturel y est presque omniprésente, traversant les pages et les différents épisodes du récit. Les différents éléments de l’expérience interculturelle (plurilinguisme, intertextuel… etc.) sont là pour faire vivre dans un monde qui n’hésite pas à effacer les frontières et les limites entre le soi et l’Autre.
Biographie :
Rachid Elhachimi, romancier, nouvelliste et étudiant chercheur en master Langue et Communication à la faculté polydisciplinaire d’Er-Rachidia, Université Moulay Ismail- Meknès. Il est enseignant de langue française au collège depuis 2016. A publié trois ouvrages en arabe : La mémoire du narcisse (roman publié en 2018), La petite Plante de Bambou (recueil de nouvelles publié en 2018) et Ksar Douira : lumières sur l’histoire, l’héritage et la culture (étude anthropologique publiée en 2019), et un roman en français « Une maison soufie ». Il est auteur de plusieurs articles d’expressions arabe et d’expression française dans le domaine de la critique littéraire s’intéressant principalement aux figures de l’interculturel dans le texte maghrébin, et l’anthropologie.
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