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Ma fellatrice idolâtrée, Fernando Arrabal

Dessins d’Antonio Segui, Quadri Gallery, 2009

lundi 5 mars 2012 par Alice Granger

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Ce poème, Fernando Arrabal l’a écrit en 2009, plus de deux ans avant qu’une fellation à New York ne déclenche le voyeurisme médiatique planétaire le plus fou, avec cette foule bouche grande ouverte en train de sucer et avaler la grande giclée scabreuse. C’est dans ce contexte que m’a attirée cette phrase d’Arrabal dans sa préface de février 2009 : « On dirait que le poète sait exprimer le manque d’innocence. » Le poème d’Arrabal pourrait être lu comme la défense la plus intelligente contre la condamnation avant tout procès par le consensus autour du diagnostic : « Obsédé du sexe », « Addiction sexuelle à soigner ».

Le manque d’innocence ! Que le personnage qui entre en action dans le poème, cette « fellatrice idolâtrée », reconnaît d’emblée, puisqu’elle dit : « c’est une dépravation de lécher ton phallus. » Ce premier vers désigne tout de suite le phallus, dont s’empare la fellatrice, avouant un peu plus loin que « c’est une folie que ma bouche soit vulve. » Phallus. La fellatrice érige le phallus juste par sa « dépravation », par « cochonnerie », par « incongruité », par « aberration », par « faiblesse », par « sacrifice », par « contradiction », par « lubricité », c’est elle qui en fait un phallus, qui en fait quelque chose de massivement investi par elle, comme quelque chose dont ce n’est pas possible qu’elle se détache, c’est elle qui initie le formidable organe érogène ainsi que les autres orifices du corps, c’est elle qui ne le lâche jamais, qui le sature, qui l’attire dans ses orifices à elle, dans son voile, c’est elle qui n’en finit pas de le persuader qu’il a tout pouvoir comme si elle acceptait soudain d’inverser les rôles et que, alors, ce serait lui qui l’étoufferait, qui la pousserait au sacrifice. Mais d’abord, c’est elle qui, par sa dépravation, excite le phallus, l’éveille à lui-même et à son addiction à elle, c’est elle qui, en le saturant de stimulus érotique, s’impose comme l’unique et éternelle idole qu’il va idolâtrer. N’y a-t-il pas un temps précoce de la vie où le corps, ses zones érogènes et ses orifices sont entre des mains totalitaires qui, sans innocence mais en toute innocence, s’en donnent à cœur joie, vulve qui voudrait à nouveau ravaler ce qu’elle a laissé sortir. Lorsque ma bouche c’est ma vulve, cela veut dire que toutes les paroles qui en sortent c’est pour te mettre dedans, et que, puisque j’ai su faire ce qu’il fallait pour que je sois ton éternelle idole, tu ne peux jamais y résister. Le phallus dont la fellatrice s’occupe si bien, par amour bien sûr, un amour si romantique, qu’est-ce qu’il est, face à la fellatrice idolâtrée qui s’aime tellement elle-même ?

La deuxième partie du poème renverse ce que la première partie peut avoir de sacrificiel, d’auto accusatoire. Ce n’est plus une contradiction, un péché, une faiblesse, de faire ce qu’elle fait au phallus qu’elle circonvient, il faut bien le dire, dont elle s’empare comme si c’était lui qui le lui demandait. Car la fellatrice idolâtrée ne fait pas ça pour rien, ni même pour la jouissance qui explosera de ce phallus dans sa bouche, jouissance qui initiera le processus de l’idolâtrie qui sera tout profit pour l’idole. Car ce qu’aime celle qui s’est imposée, on dirait en propriétaire, en fellatrice, ce n’est pas de jouir aussi, c’est « J’aime être éternelle pour ton temps et ton rut. » Ce qu’elle aime, c’est que la dépendance qu’elle a accrochée dans le phallus la rende éternelle elle. Et la preuve se fait par ce phallus qui vient « entre mes seins pressés », par cet anus qu’elle peut fouiller de ses doigts tellement elle est experte des zones érogènes du corps qu’elle touche, par ce phallus qui se fait sucer par elle. Addiction, dépendance, instaurées par ce premier temps d’entreprise de saturation des zones et organe érogènes : « J’aime être ta drogue du monde le plus immonde. » « J’aime que mon cul te soit un coin de ciel. » « J’aime que ma bouche te berce au plus intime. » Berce ! Bébé. Bébé garçon. C’est la fellatrice qui a la main ! C’est le phallus qui est passif. Qui s’érige par ce qu’elle lui fait, elle qui est toujours là tout autour, concentrant tout l’amour et rien en dehors. Lui, il n’a même pas à l’intérioriser, à se la représenter, il faudrait pour cela qu’elle soit un peu absente, non, car « j’aime être éternelle pour ton temps ». « J’aime provoquer l’explosion de ton suc. » Elle l’active, lui le passif, au berceau, elle qui le tête, lui qui lui donne le lait, le suc, l’idolâtrie… le paiement… Cela peut coûter très cher, qu’il n’y ait pas un profit pour elle, dans l’affaire… Qu’elle n’ait pas un paiement en retour, un bénéfice. Tout l’amour qu’elle a donné ! Toutes ces zones érogènes qu’elle a éveillées et saturées jusqu’au rut, jusqu’à l’épilepsie !

Car ce qu’elle veut obtenir, c’est qu’elle se sente « rehaussée, abaissée vers ta tige. » « J’exulte, corrompue, pour attiser ton vice. / J’adore m’encanailler, ton gland touchant ma glotte. » « Je m’enflamme en suivant la règle de l’extase. / Je m’enivre, en fumant, de ton filtre d’amour ».

Fernando Arrabal, dans sa préface, souligne cette universelle carence d’innocence que nous ressentirions tous, comme si chacun de nous avait commencé sa vie entre des mains qui, nous prenant pour un petit phallus à ériger, auraient saturé nos zones érogènes en nous attachant à jamais à une idole éternisée, rehaussée. Comme si chacun de nous avait subi, passif entre des mains actives, un passage à l’acte, dont, ensuite, nous serions, comme Arrabal, incapable de rendre compte. Refoulement originaire d’une séduction non innocente ? C’est en effet très compliqué de naître, et que le statut de notre corps ne soit pas circonvenu par une folie propriétaire qui sait tout sur nos trous, notre peau et nos bosses !

Bravo pour ce si intelligent poème, accompagné des dessins si suggestifs d’Antonio Segui ! C’est Arrabal le surdoué, comme toujours ! La fellation de New York est la version hard de ce poème qu’Arrabal dit romantique. On a vu un phallus sucé à n’en plus finir à travers les nouvelles enflées par les médias, et l’avidité planétaire était priée de tout bien avaler, afin qu’elle, elle, elle se « sente rehaussée, abaissée » vers sa tige… On imagine que, comme nous le confie Arrabal dans sa géniale préface à son génial poème, l’addict au sexe, à New York et ailleurs, est lui aussi incapable de rendre compte de cette carence d’innocence. De cette séduction originaire ?

Alice Granger Guitard

Spectacle Arrabal



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