dimanche 11 mars 2012 par Jean-Paul Gavard-Perret
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MALAISE DANS LA POESIE
Franck Venaille, « C’est à dire », Mercure de France, Paris.
Au fil du temps Franck Venaille est devenu un poète incontournable et « bancable ». Un peu comme - mais à un degré moindre - Yves Bonnefoy. « La guerre d’Algérie » (Editions Minuit, 1978) restera son livre majeur même s’il ne connut pas à sa sortie l’accueil qu’il aurait mérité. Sans doute était-il trop neuf, trop inattendu. Il serait bon de le relire aujourd’hui pour apprécier une écriture qui ronge encore, bouleverse sans abdiquer jamais.
Avec le temps l’auteur s’est assagi. En conséquence la critique aime de plus en plus son écriture. Elle cultive un goût immodéré pour la nostalgie. Cette manière de dire laboure l’ornière où la poésie est censée pratiquement faire sous elle. Il est vrai que la déréliction est propice au lyrisme. Venaille y sombre assez périodiquement jusqu’à proposer ici une sorte de brouet prévisible. Trop rarement il cherche un sens inattendu aux mots pauvres de notre tribu..
On préférera donc dans ce livre les quelques textes sobres et pointus. Il s’agit de faire le tri et de passer outre les images gratuites et vides afin de retenir celles comme disait Artaud « à l’épouvantable nécessité ». Elles existent mais de manière parcimonieuse.
On aurait voulu aimer l’ensemble néanmoins le goût prononcé pour un esthétisme ludique noie un peu (beaucoup) le poisson. « L’angoisse animale » qui réclame une écriture lapidaire afin qu’en jaillisse l’émotion instinctive est souvent dénaturée par une approche baroque et en manque total d’unité.
Plutôt que de se colleter au dur désir d’exister - et sans doute aussi pour le supporter - Venaille se grime en « cheval flamand ». Il parle le « langage des mouettes ». Seul toutefois celui de l’animal humain devrait suffire pour se battre avec le peu qu’il est.
« C’est à dire » finit un peu tristement le triptyque entamé par « Chaos » (2006) puis « ça » (2009). On retiendra principalement de cette triade l’élément du milieu. Il est le plus apte à atteindre l’essence de l’existence. À l’inverse dans ce dernier recueil le poète n’avait même pas à préciser comme il le fait page 95 « je me dois de préciser que je suis las ». Cela se sent.
A trop revenir sur le passé dans un brouillard blafardo-lyrique son livre ressemble à un sac de voyage. S’y empilent des éléments par trop disparates. Certes chacun pourra retenir au fil des pages ce qui l’intéresse. Mais lire l’ensemble paraît une épreuve indigeste. Sans cohérence directe le livre s’abolit de lui-même. L’occurrence du jouir poétique ne fait qu’éveiller des nostalgies. La lecture reste donc des plus passives.
Qu’on se rassure toutefois. Un tel livre représentera pour beaucoup le bon chic bon genre d’une poésie qu’on estimera être celle du temps. Elle ravira ceux qui ne connaissent de la poésie que ce qu’en disent les Télérama et autres Quinzaine Littéraire ou Matricule des Anges. A tout prendre, dans le genre passéiste, il faudra mieux se référer à Yves Bonnefoy.
Côté postmodernité le poète est autant aux abonnés absents. Il conviendra d’aller glaner du côté des Pietr Linchen, Philippe Castellin, Evelyne Broudoux, Tibor Papp , L-M de Vaulchier, ou autres Patrick Le Divenah ou Isabelle Lartault les réels talents. A savoir celles et ceux qui osent affronter, entre autres, la poésie numérique et celle des « pures données » que défend Christiane Tricoit dans sa superbe revue « Passage d’Encres ». Mais répétons-le : « C’est à dire » restera une provisoire bible à ceux qui saluent poliment et dévotement la poésie lors de son printemps officiel en l’an 2012.
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